UNE ANNÉE 2014 DE FESTIVALS
Découverts à Nantes, La Roche-sur-Yon et ailleurs, ou durant les trois rendez-vous immanquables que sont Cannes, Venise et Berlin, les films de festivals vus en 2014 regorgent de scènes surprenantes, de répliques cultes, d’images folles. Voici les moments qui ont le plus marqué notre rédaction : du football sans ballon et de la 3D où il faut cligner des yeux, Ch’tiderman et Ron Burgundy, DSK… et trois fois Deux jours, une nuit, mais zéro chat.
UNE SCÈNE
Dans TIMBUKTU, des jeunes engagent une partie de foot. Sans ballon. Abderrahmane Sissako était le premier surpris de voir ses comédiens amateurs se mettre à jouer comme si de rien n’était. Car rien n’y est. Si ce n’est l’imagination galopante des joueurs, défenseurs bienveillants et attaquants pacifistes. Pour eux comme pour la comédienne qui s’habille et se coiffe dans le roumain Métabolisme cette année, comme pour les enfants de Hook qui dévoraient leur repas imaginaire chez Spielberg, l’accessoire est accessoire. La volonté fait tout.
UNE SCÈNE BIEN WTF
Avant la projection unique de l’ADIEU AU LANGAGE de Jean-Luc Godard au Grand Théâtre Lumière de Cannes, le sentiment dominant était l’appréhension, de voir le dernier essai du cinéaste ainsi livré en pâture à un public pas forcément prêt à l’accueillir avec bienveillance. Une heure et quart plus tard, la principale réaction dudit public au cours de la séance fut pourtant un tonnerre d’applaudissements. Des applaudissements de sidération, d’ébahissement, comme il s’en entend plus communément devant un spectacle vivant et comme il devait y en avoir aux premiers temps du cinéma. La filiation est légitime, car ce qui a provoqué ces applaudissements est un détournement génial de l’effet forain qu’est la 3D au cinéma. En rompant au cours d’une séquence le parallélisme entre les deux objectifs nécessaires à la création d’une image en relief, Godard nous met un plan différent dans chaque rétine, rendant à cet instant le montage d’Adieu au langage unique à chaque spectateur, puisque géré par les clignements d’œil de celui-ci. Le temps de se rendre compte physiquement de l’effet, puis de comprendre sa portée (soudain, l’intégralité du public d’une salle de cinéma ne voit plus le même film sur l’écran), les applaudissements fusèrent spontanément.
UNE SCÈNE INTOLÉRABLE
Pour vous, le retour en grâce cette année de la chanson Space Oddity de David Bowie est lié à La vie rêvée de Walter Mitty. Pour nous, malheureusement, une séquence vient parasiter l’image de Kirsten Wiig chantant « Ground control to Major Tom » à Ben Stiller. La faute, impardonnable, en incombe au hongkongais Fruit Chan et à son navet THE MIDNIGHT AFTER, parvenu on ne sait comment dans l’une des sélections berlinoises. On ne sait pas non plus comment les auteurs du film ont mis la main sur Space Oddity, mais il aurait mieux valu pour tout le monde que cela ne se produise jamais. Eux et leurs protagonistes impossibles de crétinerie (Dumb & Dumber, à côté, c’est Einstein & Hawking) martyrisent la chanson dans des proportions indescriptibles, au cours d’un clip/karaoké qui propulse le mauvais goût dans une nouvelle dimension. À ranger au fin fond du hangar des objets dangereux à ne plus jamais ouvrir, où l’armée américaine a entreposé l’arche d’alliance.
UN PLAN-SÉQUENCE
Celui par lequel Nadav Lapid conclut L’INSTITUTRICE n’est pas le plan le plus élaboré de l’année, ni même du film, mais il est investi d’une force hors du commun. Au terme du chemin parcouru ensemble par le jeune Yoav, poète prodige d’à peine cinq ans, et son institutrice Nira qui cherche à le protéger de la cruauté et de la laideur de la société, le premier fait le choix de trahir la seconde. Fataliste, il a compris que la seule vie possible est au sein de cette société, de la même manière que nous n’avons qu’une seule planète. Yoav se sacrifie, et Lapid expose l’étendue de ce sacrifice par son dernier plan. Sans coupe, donc sans respiration ou espoir d’une échappatoire, on accompagne la traversée par Yoav d’un grand hôtel de station balnéaire, qui agrège toutes les agressions que la société « normale » va lui infliger : kitsch clinquant du décor, mauvaise techno assommante qui vrille les tympans, vulgarité orgueilleuse des corps et des postures… On sort de là sonné.
UN FOU RIRE
…ou plutôt des dizaines, dans LÉGENDES VIVANTES (de son petit nom d’origine Anchorman 2), la suite kamikaze des aventures du présentateur vedette Ron Burgundy et de sa newsteam d’idiots irrécupérables. La pendaison de Ron, sa cécité foudroyante, le passage en revue d’une collection particulière de préservatifs, la tentative de dressage d’un requin de compagnie, etc., etc. : l’inventaire complet des crises de rire que provoque le film serait démesuré. Alors, pour ne retenir qu’une séquence, on sortira du lot la plus aberrante et paroxystique – la bagarre générale entre newsteams rivales venant de tous les horizons, prétexte à la plus grande concentration de guest stars (lesquelles jouent à fond le jeu de l’autoparodie) au même endroit depuis la pochette de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band.
UNE RÉPLIQUE
P’tit Quinquin, héros de l’objet hybride entre série et film éponyme signé Bruno Dumont, boit son chocolat sur le perron de sa maison. Un super-héros fluet entre soudain dans la cour, criant à tue-tête « Ch’tiderman !! », parfait résumé de son apparence et de l’environnement. Face à l’absurdité de cette apparition, le petit homme-araignée du nord bondissant partout, Quinquin l’avertit de façon pragmatique : « Fais gaffe à mes murs ! ». Ch’tiderman va écouter le conseil et s’accrocher plus délicatement au mur d’en face. Stupeur, il s’élève dans les airs, grimpe à la verticale. C’est un miracle proche de la lévitation de Pharaon de Winter, sauf que l’on rit encore de ce que vient de dire Quinquin quand il se produit.
(Réponse alternative : toutes les répliques des Combattants)
UN FILM
Jugée moins performante, une jeune femme est évincée de son équipe. Ce rejet la plonge dans une profonde affliction. Le monde est cynique. Ce n’est pas le point de départ de Comment savoir de James L. Brooks qu’on résume ici mais celui de DEUX JOURS, UNE NUIT des frères Dardenne. Les deux films ont la même famille morale, celle de Stanley Cavell et de sa philosophie perfectionniste. Tentant de convaincre ses collègues de renoncer à leur prime de 1000 euros afin qu’elle puisse retrouver son emploi, Sandra vit une expérience de remariage avec le monde par la conversation, comme les couples en crise de la screwball comedy étudiée par Cavell. D’ordinaire, les personnages dardenniens sont avares de parole. Ils n’ont pas la sophistication d’un Cary Grant ou d’une Katharine Hepburn. Ici, l’échange, le commerce humain, sont le dispositif. Le devenir meilleur de Sandra, sa renaissance, nous ont arraché des larmes.
UN RÉALISATEUR
Si d’un volet à l’autre, la trilogie des Before… de Richard Linklater montre Céline et Jessie vieillir en même temps que leurs interprètes respectifs Julie Delpy et Ethan Hawke (dix-huit ans au total), les douze années ramassées de Mason / Ellar Coltrane dans BOYHOOD donnent le vertige. Il n’est pas innocent que l’un des plus beaux films de l’année (et le plus grand home movie de tous les temps) ait fait l’objet d’un mash-up avec Harry Potter, une saga à laquelle il fait référence et qui est devenue en son temps Boyhood avant Boyhood. Dormant dans un placard sous l’escalier, Harry était le Antoine Doinel des apprentis sorciers – dans Les 400 coups, le héros truffaldien avait un couloir en guise de chambre. On retrouve Antoine adolescent dans Antoine et Colette, jeune adulte dans Baisers volés, puis plus âgé encore dans Domicile conjugal. La série Doinel est ainsi la matrice de la « boyhooditude » au cinéma. C’est Boyhood avant Boyhood avant Boyhood.
Une théorie veut que le film de Linklater se termine là où Before Sunset commence, que Mason et Jessie soient une seule et même personne. Ayant atteint la majorité, entrant à l’université comme les bizuts de l’étourdissant teen movie Dazed and Confused (autre film de Linklater se déroulant sur une journée), Mason parle en effet d’un voyage en Europe… En cette période de fêtes, on pourra aussi s’intéresser à Parenthood, comédie familiale de Ron Howard qui montre la « boyhood » d’un des plus grands acteurs américains contemporains. Un certain Leaf Phoenix, alors âgé de 15 ans, rené en… Joaquin dans les années 90.
UNE ACTRICE
Marion Cotillard est repartie de la Croisette sans prix d’interprétation, comme l’année dernière, après nous avoir pourtant éblouis dans DEUX JOURS, UNE NUIT, comme l’année dernière dans The immigrant. L’association entre la désormais star d’Hollywood et les cinéastes économes de la classe ouvrière belge n’avait rien d’évident sur le papier, elle sonne comme une évidence une fois le film déroulé devant nos yeux. Débordant du cadre uniquement social et naturaliste, le personnage de Sandra évolue d’héroïne à super-héroïne, initiant au cours du récit toutes les révolutions possibles à hauteur d’être humain – sauver son emploi, ranimer son couple, montrer l’exemple à d’autres pour leur propre vie personnelle et sociale. Marion Cotillard livre une incarnation bouleversante, faite de retenue et de nuances délicates, de ce rôle en or apporté par les frères Dardenne, eux-mêmes sortis de leur zone de confort pour l’occasion.
UN ACTEUR
Premier long métrage réalisé par le scénariste de Drive, THE TWO FACES OF JANUARY fut l’une des très bonnes surprises de la Berlinale 2014, avant sa sortie en salles en juin. La réussite de ce polar hitchcockien (et assumé comme tel, on est en 1962) doit autant à son scénario qu’à Viggo Mortensen. Le titre fait référence au Janus Bifrons de la mythologie antique, belle coïncidence quand on pense à la double identité de Mortensen dans A history of violence. The Two Faces of January est tout sauf amnésique quant à ce qu’a été la carrière de l’acteur canadien depuis les années 90. L’homme d’affaires Chester MacFarland est rattrapé par son passé comme Mortensen par ses rôles précédents, Tom Stall redevenant Joey Cusack dans le film de Cronenberg, le mari jaloux passant à l’acte dans le remake du Crime était presque parfait, Sigmund Freud dans A Dangerous Method de Cronenberg encore. Tuer et/ou être le père : c’est tout le charme de The Two of Faces of January que de faire, dans une remarquable scène de poursuite à Istanbul, de la psychanalyse de Grand Bazaar.
UN FILM MALADE
WELCOME TO NEW YORK d’Abel Ferrara aura été le film le plus attendu de l’année… pendant quelques jours. À la manière de La passion du Christ de Mel Gibson en 2004, l’œuvre fut précédée d’un parfum de scandale, provoqua une excitation soudaine, et une fois disponible se révéla être un objet avant tout étrange, qui divise et puis qui s’oublie assez vite. Certains spectateurs y songent encore, néanmoins. Welcome to New York est un film anormal, à la fois parfaitement cohérent dans la filmographie de Ferrara entre 4h44 et Pasolini, et en même temps proche d’une auto-parodie. Une œuvre de faux-semblants qui, alors que Pasolini clôt l’année cinéma le 31 décembre, semble aujourd’hui ne pas même avoir existé.
UN FILM À NE JAMAIS REVOIR (MÊME DANS UN AVION)
Si Deauville Asia ne renaît finalement pas de ses cendres en 2016, après l’annulation de l’édition 2015, il serait d’autant plus triste que le dernier Lotus d’or fut attribué à NAGUIMA. Ce mélo kazakh flirte avec la parodie tant son entêtement à se faire toujours plus mou, sinistre et misérabiliste a quelque chose de comique. Jugez, spoilons : Naguima, orpheline taciturne, vit avec une amie qui tombe enceinte et… meurt en couche. Esseulée, elle cherche du réconfort auprès d’un commerçant qui lui dit qu’il l’aime… en s’étant bien assuré toutefois qu’elle sache qu’il n’en pense pas un mot. Vraiment esseulée, Naguima retrouve alors sa mère biologique… qui la rejette (« Tu vas pas gâcher ma vie deux fois ! »). Hyper esseulée, elle vole le bébé de sa copine décédée… et finalement le jette d’une falaise. FIN.
UN FILM QUE TOUS LES AUTRES AIMENT
Même si certains semblent revenir en arrière à son sujet (le « cyclone émotionnel » loué par Les Inrockuptibles à Cannes n’apparaît finalement pas dans le top 20 de l’année de la rédaction, par exemple), le rouleau-compresseur MOMMY a conquis tous les cœurs sauf les nôtres. Xavier Dolan a beaucoup de talent, mais la manière dont il le met ici au service d’un chantage aux sentiments et d’une épate formelle plus criarde qu’inspirée nous a fait l’effet d’un repoussoir. Avec sa saturation émotionnelle, ses effets de manche balourds, ses tubes FM dégoulinants, Dolan a confondu séduction d’un large public (son but avoué – et atteint – avec ce film, conçu pour le propulser dans le monde mainstream) et racolage actif à peu de frais. On espère qu’il ne poursuivra pas dans cette voie.
UN FILM QU’ON AURAIT AIMÉ AIMER
Exilé à Paris depuis 2011, Oussama Mohammad ne pouvait que s’en remettre aux civils et à leurs téléphones portables pour rendre compte des atrocités commises en Syrie. De ces « mille et une images », EAU ARGENTÉE tire un montage d’une grande platitude. Mohammad cherche un contrepoint poétique à leur violence insoutenable en tournant des plans abscons de ciel, de métro parisien et de gouttes de pluie. Son film souffre d’un déséquilibre : dans ce que Mohammad revendique à juste titre comme « universel » il manque le privé, les signes particuliers que les images youtubesques ne rendent pas, l’autoportrait est un ego trip. On préfère ce que fait Wiam Simav Bedirxan, sa correspondante et compatriote qui prend en charge la deuxième partie du film, la plus personnelle, la plus saisissante. La jeune femme se déplace caméra à l’épaule dans son Homs dévasté et poussiéreux. Son Homs, cela sonne américain. Wiam n’est jamais bien loin de Cloverfield et du First Person Shooter. Sa caméra, c’est son gun.
UNE HISTOIRE D’AMOUR
Son titre dit autre chose, mais UNE NOUVELLE AMIE de François Ozon raconte une histoire d’amour. On peut même parler d’un idéal d’histoire d’amour, construit autour d’une intime conviction partagée avec nous par le cinéaste : la seule manière de ne pas rater sa vie amoureuse est que les fantasmes convergent. Pour parvenir à cette vérité, puis sauter le pas de la mettre en pratique, David / Romain Duris et Claire / Anaïs Demoustier doivent reprendre une à une les pièces de leurs existences hétéronormées et (donc ?) inabouties, et les agencer cette fois correctement, afin de donner au puzzle sa forme accomplie. Raison pour laquelle la structure narrative du récit, ciselée dans ses moindres détails, les fait repasser par tous les lieux du montage d’ouverture qui raconte leur jeunesse. Cela fait d’Une nouvelle amie un descendant indirect de Sueurs froides, mais animé d’une pulsion de vie aussi intense que celle de mort au cœur du chef d’œuvre de Hitchcock.
UNE SCÈNE CHAUDE
On la trouve dans NYMPHOMANIAC, évidemment. Le chapitre « La petite école d’orgue » qui clôt la première partie du diptyque de Lars Von Trier propose quelque chose d’inédit : l’exposition par les techniques du cinéma de trois styles différents pour faire l’amour à Joe / Charlotte Gainsbourg. L’amant animal, l’amant attentionné, l’amant amoureux sont réunis sur un même écran par le motif du split-screen puis isolés par le montage factuel et détaillé, quasiment scientifique, de leurs pratiques sexuelles. Le rapprochement opéré avec la musique apporte à la séquence une chaleur et un humour lui permettant d’aller au-delà de l’exercice de style brillant mais strict. À voir de préférence dans la version longue non censurée du film, où la présence des plans explicites de sexes aux côtés de ceux des mains de joueurs d’orgue parachève l’analogie entre les polyphonies musicale et charnelle.
UN TORRENT DE LARMES
Dans DEUX JOURS, UNE NUIT, les Dardenne s’évertuent à ce que les face-à-face entre Sandra et ses collègues diffèrent toujours. Elle débute la rencontre avec la même tirade, l’interlocuteur ne répond jamais la même chose. La plus grande surprise vient de Timur, un collègue qui vient à sa rencontre depuis le fond du champ, Sandra l’ayant interrompu lors d’un match de foot. Il quitte la surface de réparation, il remonte à la surface, il répare son tort. Lui qui avait privilégié sa prime quitte à faire perdre son emploi à Sandra, lui qui n’en n’avait pas dormi de la nuit, fond en larmes et déclare avec joie qu’il va désormais veiller sur elle.
UNE BANDE-SON
Mia Hansen-Løve a glissé trois compositions des Daft Punk dans son Éden, mais c’est la chanson de Rihanna Diamonds obtenue par Céline Sciamma pour sa BANDE DE FILLES qui a marqué les esprits, à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise puis pour le reste de l’année. On serait conquis rien qu’à entendre comment l’énergie et les paroles du morceau épousent les contours du destin des héroïnes (et surtout leur volonté farouche de déchirer ces contours-clôtures) ; on est subjugués par la mise en scène imaginée par Sciamma pour filmer cette harmonie. La séquence lie indéfectiblement le film à la chanson, mais aussi – et c’est autrement plus rare – la chanson au film.
UNE DÉCOUVERTE
Si l’on avait été plus attentif, on aurait repéré Zhang Lu dès 2010, pour La rivière Tumen qu’il réalise en 2010 et qui remporte le Prix du jury à Paris Cinéma, ou en tant que producteur du beau Winter Vacation de Li Hongqi. Avec GYEONGJU, il tourne en Corée du sud mais la minorité dont il est issu, vivant entre la Corée du nord et la Chine, importante dans ses films et romans, demeure l’un des thèmes centraux de son foisonnant nouveau film. Lequel nous a enchantés au festival des 3 Continents, par sa mise en scène si particulière et éloquente, qui crée un espace à mi-chemin de la réalité et du rêve.
UNE RENCONTRE
Sorti en février 2014, LES BRUITS DE RECIFE a révélé un cinéaste de très grande envergure, capable d’exposer avec un coin de rue et quelques immeubles les fondements de la société brésilienne (racisme, esclavagisme, féodalité…). Notre rencontre avec Kleber Mendonça Filho se sera faite en deux temps. Une première fois aux 3 Continents en 2012, pour un entretien à retrouver prochainement dans l’édition DVD. Une deuxième fois en public, lors de notre deuxième Rendez-vous Accréds, organisé quelques jours avant la sortie en salles du film en collaboration avec le distributeur Survivance et le cinéma Etoile Lilas (situé non loin des tours Mercuriales du film de Virgil Vernier). Cette séance fut l’occasion d’un échange passionnant portant sur la création de l’univers sonore du film, ses influences hollywoodiennes (western, œuvre de John Carpenter), son rapport à la peur. À l’avenir, nous souhaitons proposer davantage de rencontres de ce type. La découverte des Bruits de Recife dit toute l’importance de voir les films en festival, et d’aider à partir de là à fabriquer une autre actualité.
UN COUP DE THÉÂTRE
L’homme qu’on aimait trop, LES COMBATTANTS : cette année, être l’amant d’Adèle Haenel c’était avoir la possibilité d’élargir son monde, de se laisser excéder, de sortir d’une vie étriquée et sans imagination. Comme si le corps de l’actrice, à la fois féminin et masculin, appelait le vaste, le « trop » du titre du film de Téchiné. Ce fut la passion au lieu des « amours contingentes » et sans qualités pour l’antihéros de ce dernier Maurice Bagnelet, ce fut la confusion des identités, des genres, et les changements d’univers chez Thomas Cailley. Le premier acte des Combattants fait dans la chronique estivale, le second est un boot camp movie façon Starship Troopers, le troisième se resserre sur la vie sauvage édénique de ses personnages Arnaud et Madeleine ; avant un retournement de situation donnant corps à ses croyances à elle. À ce moment-là, le film a raison de lui donner raison.
UN FESTIVAL
La 36e édition des 3 Continents, à Nantes, fut mémorable rien que pour nous avoir redonné foi en le cinéma coréen, avec Hill of Freedom de Hong Sangsoo et Gyeongju de Zhang Lu. Deux films dont on pourrait mettre en parallèle les parcours amoureux, la mélancolie, la confusion entre rêve et réalité et la volonté d’échange avec les autres (grands) pays asiatiques (Chine, Japon). Hors compétition, la programmation consacrée à Khady Sylla était précieuse pour elle-même (même si tous les films de la cinéaste et intellectuelle sénégalaise ne nous ont pas convaincus), et pour la place de cette œuvre dans l’histoire du cinéma d’Afrique noire ; un cinéma né au Sénégal, dont on a pu voir l’acte de naissance, Borom Sarret de Sembène Ousmane, réalisé en 1963, trois ans après la naissance de cette nation-ci.