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Le dernier jour de Pier Paolo Pasolini, avant son assassinat sur une plage d’Ostie : Abel Ferrara transforme le génie italien en second rôle de l’épilogue de sa vie, offrant le premier à ses créations mortes avec lui ce jour-là. Loin du biopic, Pasolini brille des derniers feux de l’œuvre d’un autre, mais reste réservé aux initiés, faute d’une mise en scène capable de sublimer son impeccable scénario.
Qu’aurait fait Bertrand Bonello de cette histoire ? La question se pose au sortir de Pasolini, parce qu’il lui manque précisément ce que le réalisateur français a su donner à Saint Laurent : de l’ampleur, du vertige, de la puissance, alors que son protagoniste était déjà hors du commun. Abel Ferrara, lui, n’avait apparemment pas l’intention de faire ça. Il l’a joué profil bas et c’est la première surprise de Pasolini. Le maestro, c’est Pier Paolo, et le programme narratif, il est simple, sans chichi : rendre compte de sa dernière journée, les 24 heures précédant son assassinat sur une plage d’Ostie, au terme d’une drague homo ayant tourné au traquenard. D’un côté, la statue du commandeur et de l’autre, une durée précise. Récit borné et centré.
Deuxième surprise de Pasolini, la plus belle : l’histoire a beau être à Pier Paolo Pasolini ce que le marc est au café – sa fin et son essence – elle déborde, mais dans le bon sens. Pas avec des flashbacks sur le passé du protagoniste, car la reconstitution intéresse moyennement Ferrara. Ce qui l’intéresse vraiment, c’est de donner vie aux ultimes pensées de Pasolini, son livre Pétrole (dont il extrait notamment un crash d’avion et des pipes nocturnes en série, dans une zone franche de Rome) et son projet de film Porno-Teo-Kolossal. Ferrara et son brillant scénariste Maurizio Braucci ont préféré celui-ci au Saint-Paul auquel tenait davantage Pasolini, vraisemblablement par fidélité aux faits (apparemment, PPP racontait l’épilogue de PTK à Ninetto Davoli, interprété par Ricardo Scammarcio, lors de son dernier dîner) et parce que Porno-Teo-Kolossal est le fil conducteur idéal de cette ultime journée. Grâce à lui, on peut voir le vrai Ninetto, cheveux blancs mais toujours fringant, et son fils (Ricardo Scammarcio encore, afin de bien fusionner l’imaginaire de Pasolini, l’artiste, et de Pasolini, le film), prendre leurs valises pour suivre l’étoile annonçant la naissance du Messie, entrer dans la cité des gays et des lesbiennes, les regarder s’affronter au cours d’une joute sexuelle (presque la version porno de l’opposition garçons/filles dans West Side Story sur « America ») et arriver à une conclusion dont la poésie mérite bien de ne pas être révélée ici.
Difficile de dire si tout cela résulte d’une profonde connaissance de Pasolini, de son œuvre ou simplement des événements qui ont jalonné sa vie. Concernant l’homme en tous cas, les fans et les initiés le reconnaîtront, tout comme ceux qui l’entourent, jamais présentés de manière claire, le film s’adressant d’abord aux spécialistes (Maria de Medeiros joue Laura Betti, l’actrice et fidèle amie de Pier Paolo, et on passe probablement à côté d’une plus-value sentimentale si on ne l’identifie pas). Son œuvre, elle, saupoudre le film de Ferrara (surtout musicalement, avec des morceaux extraits de L’évangile selon Saint-Matthieu notamment), comme s’il était lui-même une émanation du travail de Pasolini. Ou un pastiche, mais cela revient au même, puisque cette pratique n’était pas étrangère au génial PPP. Le génie, c’est malheureusement ce qui manque à Pasolini, le film. Ferrara ne l’a pas capté, il n’a même pas cherché à le capter, trop occupé à rendre à son idole les images et les mots dont elle a été injustement privée. La discrétion de Willem Dafoe va dans ce sens. Si l’acteur ne fait pas de la figuration, sa présence n’est toutefois pas celle d’un premier rôle. Le premier rôle de Pasolini le film, ce sont un livre et un film morts-nés avec lui (même si une version posthume de Pétrole a été publiée depuis). C’est à eux que Ferrara offre de belles funérailles.
PASOLINI (France, Italie, Belgique,2014), un film d’Abel Ferrara. Avec Willem Dafoe, Ninetto Davoli, Riccardio Scarmacio, Valerio Mastandrea, Adriana Asti et Maria de Medeiros. Durée : 84 minutes. Sortie en France : 31 décembre 2014.