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Corneliu Porumboiu laisse de côté la tactique pour du tic-tac. Pas d’élaboration stratégique policière ou footbalistique dans son essai minimaliste Métabolisme, mais un décorticage patient des moments faussement anodins qui enrichissent notre existence.
Quand il réalise Policier, adjectif (2009) ou The Second Game (2014), Corneliu Porumboiu enregistre et décortique les mises en œuvre patientes de différentes tactiques. Dans Métabolisme, il privilégie le tic-tac. Il est toujours question de préparatifs, d’organisations voire de manigances ici, le récit reposant sur les manœuvres de Paul, un réalisateur cherchant à séduire son actrice Alina pendant le tournage de son film. Seulement, à la différence des filatures et de l’orchestration d’une arrestation dans Policier, adjectif ou des stratégies de deux clubs de football rivaux sportivement et politiquement dans The Second Game, l’exécution des plans élaborés par son protagoniste invitent Corneliu Porumboiu non plus à examiner les actions qui les composent mais à se concentrer sur l’écoulement du temps qui leur est imparti.
Dans Métabolisme, les actions de la vie se définissent par leur durée : un rythme, un pouls, le nombre de battements de cœur inaudibles qui composent ces moments. C’est un pari osé, Porumboiu évoque ces instants décisifs de nos vies qui, au présent, ne semblent pas importer plus que les dix précédents ou suivants mais dont l’impact, une fois conjugué au plus-que-parfait, se révèle considérable. Son refus du spectaculaire ou des codes du divertissement peut déranger, mais il faut reconnaitre à Porumboiu le souhait de transmettre au spectateur les éléments utiles pour jauger de l’importance des séquences qu’il observe. Et ainsi de le placer à un niveau de perception supérieur à celui des personnages, qui ignorent encore si les actions qu’ils accomplissent auront ou non une incidence sur leur avenir. Paul et les autres ne peuvent pas s’en rendre compte mais, par un habile mixage sonore, les tic-tac, tut-tut et autres bip-bip de leur vie quotidienne se font mieux entendre que tout autre bruit dans la majorité des séquences. De quoi morceler le rythme du film et se substituer aux usuelles coupes du montage, ici réduites a minima puisque Corneliu Porumboiu privilégie les plans-séquences (17 au total). A défaut de cut, ses longs plans sont alors mis en pièces par une infinité de sonorités saccadées : se font successivement entendre la sirène d’un camion de pompier, la vibration d’un téléphone, le masticage d’une mâchoire pendant un repas ou les warning, alerte de ceinture de sécurité et autres clignotants d’une voiture.
Qu’il s’agisse de ces à-coups sonores, de l’articulation minimaliste du film en plans-séquences ou bien de la viande hachée menue des repas chinois mâchée puis débattue par Paul et sa fiancée secrète, le découpage devient ainsi l’enjeu central de Métabolisme. Pour le protagoniste, un tel découpage, avec l’insertion d’éléments au compte-gouttes en son sein, est synonyme de la plus grande sophistication. Cette déclaration se réfère alors à la gastronomie chinoise, mais elle peut aussi bien s’appliquer à la mise en scène de Corneliu Porumboiu. Ces éléments insérés pourraient bien être les sentiments projetés ça et là par le spectateur, conscient qu’à défaut de vivre pendant une heure et demie une expérience décisive pour sa propre vie, il observe en miroir des instants faussement anodins que peu d’autres auteurs avaient déjà choisi d’illustrer au cinéma. Les tut-tut, bip-bip ou tic-tac déjà mentionnés joueraient alors un rôle de marqueur, indiquant au spectateur quand se laisser porter par l’intrigue et quand accepter que son esprit divague ; pour mieux plaquer ses souvenirs sur les images accueillantes de Porumboiu.
Mais ces quelques sons répétés, en cascade, qui harmonisent et cadencent Métabolisme de bout en bout, en rappellent un autre avant tout, une mélodie rudimentaire mais élémentaire : celle du métronome. Et puisque le son et la mesure sont identiques, il évoque aussi bien un pendule de Newton (voir l’objet ci-contre). Une bille est lancée à une extrémité, elle tape les quatre autres, trois restent immobiles, quand la dernière reproduit le mouvement de la première. Et ainsi de suite. Il est ainsi possible de concevoir le pendule de Newton comme la représentation imagée de l’intrigue de Métabolisme, dans laquelle la première bille serait le mensonge initial de Paul (il feint d’être malade pour s’isoler avec Alina). Celui-ci semble d’abord n’avoir aucune incidence sur sa vie, sur ses proches ou son travail, telles les trois billes inertes du pendule, mais au bout de la chaîne, une autre bille s’éveille : surprise, c’est sa culpabilité qui s’élève et le renvoie à son mensonge. Tic tac, tic tac, cet aller-retour va l’obséder, le ronger, l’user. C’est le Cœur révélateur de Poe qui bat de nouveau ici. Si l’ulcère que Paul prétexte avoir dans un premier temps n’est pas réel, peut-être le deviendra-t-il ? Corneliu Porumboiu vient finalement à sa rescousse, il stoppe le mouvement perpétuel du pendule-fait-film avec son clap de fin.
METABOLISME (ou Quand le soir tombe sur Bucarest) (Cand se lasa seara peste Bucuresti, Roumanie, France, 2013), un film de Corneliu Porumboiu. Avec Bogdan Dumitrache, Diana Avrămuţ, Alexandru Papadopol. Durée : 89 min. Sortie en France le 16 avril 2014.