DEUX JOURS, UNE NUIT / LA VIE D’ADELE / GRAVITY : trois femmes puissantes

Dans le combat qu’elle mène devant la caméra des frères Dardenne dans Deux jours, une nuit, Sandra n’est pas seule. Au cours de son porte-à-porte auprès de ses collègues, elle se découvre des alliés pour renverser la situation. Et au-delà du cadre du film, par la destinée que lui donnent les Dardenne, Sandra reprend le flambeau tenu l’an dernier par Adèle et Ryan Stone (Gravity) et le porte avec la même force qu’elles.

Premier plan de Deux jours, une nuit : assoupie et immobile, Sandra s’éveille et s’anime devant nos yeux, tirée de son inactivité par le coup de téléphone déclencheur de l’aventure à venir. Le début du long-métrage met en scène la naissance symbolique de son héroïne, comme le faisait La vie d’Adèle. L’entrée dans le film d’Adèle n’avait elle non plus rien d’anodine, il s’agissait d’une véritable entrée dans le champ, en ouvrant une porte, doublée d’une entrée en scène à la manière du théâtre – cadrée en plan fixe et de face, Adèle vient vers nous, son public. La correspondance entre les deux œuvres est encore plus nette à leur autre extrémité. Dans le dernier plan de Deux jours, une nuit comme dans celui de La vie d’Adèle, le mouvement de l’héroïne consiste cette fois à s’éloigner de nous à pied, à nous quitter en prenant la route des nouvelles aventures qui l’attendent. Là encore, l’image de cinéma vient illustrer la vérité du récit à cet instant. Dans leur conclusion respective les deux récits ouvrent en effet vers l’inconnu, Adèle comme Sandra ayant pour de bon coupé les ponts avec une phase désormais révolue de leur vie. C’est également le cas de Ryan Stone lorsqu’elle retrouve enfin la surface de la Terre au terme de l’odyssée de Gravity. Cuaron la filme elle aussi se séparant de nous, partant sur la plage en étant investie d’une puissance telle que toute crainte à son égard a été gommée de notre esprit comme du sien.

Toutes trois doivent en passer par la mort avant de renaître plus fortes, plus assurées, prêtes à tout affronter.

Dans Gravity le choix de la contre-plongée exprime frontalement cette assurance nouvelle, en donnant de Ryan l’image d’une divinité. Bien que filmées sans le même lyrisme au moment de prendre congé, Sandra et Adèle sont tout aussi puissantes, car elles aussi affermies et grandies par les épreuves qu’elles ont eu à traverser. Leurs luttes (professionnelle pour Sandra, physique pour Ryan, sentimentale pour Adèle) et leurs antécédents (la dépression de Sandra, le deuil de Ryan – et aucun pour Adèle, page blanche adolescente lorsque le film fait sa connaissance) les différencient, et pourtant elles sont indéfectiblement liées, telles des sœurs. Toutes trois doivent en effet en passer par la mort (Sandra qui se suicide, Ryan à bout de forces dans sa capsule, Adèle détruite intérieurement suite à sa rupture amoureuse) avant de renaître plus fortes, plus assurées, prêtes à tout affronter. Ryan devient capable d’actions dignes d’une super-héroïne. Adèle se découvre en mesure de traiter d’égale à égale avec Emma. Et Sandra n’est plus sujette au vertige de la peur – peur du conflit, de l’autorité, de l’ampleur de la tâche. Elle s’est muée en sujet, pensant et agissant, et de ce fait capable d’initier et de mener la révolution. Toutes les révolutions, à hauteur d’être humain : sauver son emploi, ranimer son couple, montrer l’exemple à d’autres dans leur vie personnelle ou sociale. En même temps que son attitude face au monde s’est trouvée transformée, une étincelle a jailli ; et sa flamme s’étendra le long des routes que Sandra (et Adèle, et Ryan) empruntera après nous avoir quitté au dernier plan du film.