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Marieme, seize ans, rejoint un trio d’adolescentes de sa cité, histoire de se lâcher et de profiter d’un peu de liberté, malgré le machisme généralisé : après Naissance des pieuvres et Tomboy, Céline Sciamma rend extraordinaires les transformations du corps d’une jeune fille en proie au mâle. Si Disney et Marvel ont un jour besoin d’une cinéaste, elle est toute trouvée.
Céline Sciamma n’a toujours pas réalisé le film de super-héros que l’on attend d’elle. Du moins, pas encore explicitement, mais elle continue de tourner autour du concept. Après Tomboy et la double-vie de son héroïne, fille chez elle, garçon dehors, voici Bande de filles et ses avengers féminines sans super-pouvoir hors du commun, mais avec pseudos. Elle sont quatre, se battent physiquement pour se faire respecter, marchent un peu sur l’eau (enfin, quand le niveau du bassin est au plus bas et ressemble à une grande flaque) et se transforment. De vraies femelles caméléons. Surtout Marieme, alias Vic (diminutif de Victoire), une syllabe qu’elle arbore en pendentif, en bonne super-héroïne portant sur elle sa marque distinctive. Jeune fille sage en apparence, aux belles dreads, elle devient petite sauvageonne, à la longue chevelure lissée, puis Katniss sortie d’Hunger Games pour habiter dans la cité, avec sa belle natte, Nikita sortie d’un Besson bis, avec une perruque ; etc.
Bande de filles est autant un film sur la puissance fantastique de la puberté – comme Spider-Man en son temps, mais avec un blouson en cuir à la place de la combinaison moulante – qu’une étude capillaire du caractère et du genre. On peut même l’aborder sous ce seul angle. Une défaite humiliante dans un corps-à-corps ? Il faut couper et adopter les cheveux ras. Se faire passer pour une femme fatale ? Perruque peroxydée. Un garçon ? Dreads courtes, plaquées. Les spectateurs de La playa retrouveront ici l’art de raconter une histoire en sillonnant le crâne des personnages.
Le féminin garde quelque chose d’irréductible, comme c’était le cas dans Tomboy. Il n’est pas à Marienne ce que la kryptonite est à Superman. Il brille au contraire de manière rassurante vu le décor planté, celui d’une cité où tout est fait pour effacer les femmes
Il faut y être attentif dans Bande de filles, car là se trouvent les seules véritables balises temporelles d’un récit plus fragmenté qu’il n’y paraît, tellement ponctué d’ellipses qu’il en devient parfois abrupt. Fluide, aérien malgré tout, avec cette faculté d’enrober de douceur les actions les plus brutales (la séquence d’ouverture, un match de football américain entre filles, n’a rien à envier aux meilleurs scènes sportives de Friday Night Lights), le film se fait plus heurté dans sa dernière demi-heure, trop dispersée. Plusieurs fois il repousse une fin que l’on sent s’échapper alors qu’elle semblait parfaite, afin de repartir pour un tour, donnant un nouveau rôle à Marieme. Bande de filles se met à marteler les alternatives qui s’offrent à la jeune femme et à celles de son âge : se prostituer, se marier ou changer de sexe. L’ultime super-pouvoir. Se faire passer pour un garçon, sans le devenir, jusqu’à danser tendrement avec une tapineuse sous les yeux de son proxénète et attirer simultanément la femme et l’homme.
Car le féminin garde quelque chose d’irréductible, comme c’était le cas dans Tomboy. Il n’est pas à Marieme ce que la kryptonite est à Superman. Il brille au contraire de manière rassurante vu le décor planté, celui d’une cité où tout est fait pour effacer les femmes (les garçons attendent des filles qu’elles soient aussi violentes qu’eux), les sortir du champ (la mère de Marienne fait le ménage dans des bureaux, la nuit), les asservir (le grand frère frappe sa sœur). En dépit de cette oppression qui les étouffe et contre laquelle la bande forge son style (un peu loubard 80’s et féminin, pas de baggy ou de sweat large), les corps de femmes s’expriment, discrètement ou publiquement. A proximité du parvis de la Défense, lors d’une battle amicale de chorégraphies, ou dans une chambre d’hôtel, louée exprès par les quatre filles pour leur séance d’essayage, de narguilé, de fête et de danse, toujours. C’est l’une des plus belles scènes du film. Un playback du quatuor in extenso sur Diamonds de Rihanna. Un visage noir sur fond bleu (toute la palette des bleus se décline, mais on ne sait toujours pas si c’est une couleur chaude), bientôt rejoint par d’autres, et une euphorie qui monte et électrise. Faire bien semblant de chanter est un super-pouvoir qui ne sert à rien, mais un super-pouvoir quand même.
BANDE DE FILLES (France, 2014), un film de Céline Sciamma, avec Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Marietou Touré. Durée : 112 minutes. Sortie en France le 22 octobre 2014.