Une EAU ARGENTÉE qui noie la voix du peuple syrien
Cinéaste en exil, Oussama Mohammad tire un film des « mille et une images » de ses compatriotes, pour certains morts alors qu’ils témoignaient des atrocités de la guerre civile syrienne. Mohammad sous-traite à Google et noie la voix du peuple dans un flot d’images youtubesques. « Eau » plate.
Revenons en arrière : Cannes 2011, Oussama Mohammad participe à une table ronde consacrée au cinéma sous la dictature, aux côtés de Costa Gavras (qui a abordé la question avec Z en 1969) et de l’iranien Reza Serkanian (réalisateur de Noces éphémères, présenté alors à l’ACID avant sa sortie en salles en novembre 2011). Cette table ronde est organisée dans le cadre d’un hommage à Jafar Panahi, qui reçoit cette année-là le Carrosse d’Or. Panahi a laissé son fauteuil de juré cannois vide suite à son arrestation en décembre 2010 et à sa condamnation à six de prison pour « propagande contre le régime ». « Quand tu filmes un arbre, les comités et services secrets n’arrivent pas à croire que tu filmes juste un arbre » déclare Mohammad. En avril 2011, les cinéastes syriens lancent une pétition pour lutter contre les massacres des populations civiles. Dans le théâtre Miramar, lieu de projection de la Quinzaine des Réalisateurs, le cinéaste-poète lit son texte « L’Adolescent et la Botte ». Le titre lui a été inspiré par une vidéo diffusée sur Youtube. Elle montre un jeune syrien nu et roué de coups baiser la botte d’un homme des forces de sécurité de Bachar el-Assad.
C’est cette vidéo que l’on reconnaît dans Eau Argentée… une parmi les « mille et une images » insoutenables – c’est leur intérêt – réalisées par les civils syriens. « Certains sont morts avant même d’avoir pu voir ce qu’ils ont filmé » a précisé Mohammad. « Ce que vous allez voir, c’est la beauté de la résistance. Ce qui nous concerne vous concerne aussi » : Mohammad insiste tellement sur l’universel qu’il en oublie le particulier. En 2011 encore, Youtube et Scott Free (la société de Tony et Ridley Scott) produisent Life in a day, un montage de 90 minutes réalisé à partir de vidéos d’internautes envoyées des quatre coins du monde. La journée en question est celle du 24 juillet 2010. 197 pays, 4500 heures de rushes et pourtant, à l’arrivée, un sentiment d’uniformisation ; des centaines d’yeux mais pas de regard.
Eau Argentée aplatit au lieu de donner du relief, fait entrer un torrent de sang et de larmes dans un entonnoir, jette les cadavres de la guerre civile dans la fosse commune de Youtube et des réseaux sociaux.
Eau argentée est le Life in a day de la tragédie syrienne. On pense encore à Fleurs du mal de David Dusa, film intéressant mais aussi problématique dans sa façon d’intégrer dans un récit intime, amoureux, les films amateurs des manifestations qui ont fait suite aux élections en Iran en 2009. Comme David Dusa, de manière beaucoup moins subtile, Mohammad vise l’électrochoc. Il y a enfin de quoi s’agacer à le voir citer Hiroshima mon amour et détourner le titre du chef-d’oeuvre de Resnais, quand celui-ci doit sa portée au fait même qu’il est privé, qu’il y a « mon amour » dedans.
Eau Argentée aplatit au lieu de donner du relief, fait entrer un torrent de sang et de larmes dans un entonnoir, re-jette les cadavres de la guerre civile dans la fosse commune de Youtube et des réseaux sociaux. Ici, un Facebook invisible nous signale sa présence par le son des notifications (celle des messages privées en l’occurrence, pénible à force de répétitions). On en déduit que c’est via Facebook que Oussama Mohammad et sa co-réalisatrice et compatriote Wiam Simav Bedirxan ont correspondu d’un pays à l’autre, du Paris où il s’est réfugié en 2011 à une Homs dévastée, poussiéreuse comme le New York de Cloverfield, peuplée d’orphelins et de chats infirmes qui picorent dans les entrailles de chiens crevés et se jettent par les fenêtres. Il y a plus de courage et de cinéma dans ce deuxième film post-apocalyptique que dans les plans abscons et pseudo-poétiques de Mohammad (des gouttes de pluie, le métro parisien, la belle affaire !).
Trop d’impersonnel ici, trop de narcissisme là : Eau argentée qui est aussi un « autoportrait », vire à l’ego trip quand Mohammad donne à entendre son nom depuis les cieux, au milieu d’une mer de nuages. Il n’est pas avec les syriens mais au-dessus d’eux, il n’est pas ici mais là-bas, émissaire de la planète Youtube noyant la voix du peuple syrien dans un flot d’images indistinctes.
EAU ARGENTÉE, SYRIE AUTOPORTRAIT de Oussama Mohammad et Wiam Simav Bedirxan. Durée : 110 minutes. Sortie en France : 17 décembre 2014.