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La relation trouble entre une jeune bourgeoise qui pleure son amie de toujours et le mari de celle-ci qui (re)trouve en lui-même la femme qu’il a perdu. L’absence et le devenir féminins, de « nouvelles amies » pour le grand narrateur François Ozon qui signe son meilleur film et son plus beau mélo. Le cinéma français n’en a pas tout à fait fini avec la métamorphose.
La première fois qu’il apparaît publiquement en femme, Laurence, le héros/l’héroïne de Laurence Anyways de Xavier Dolan, répond à son collègue fasciné : « Ce n’est pas une révolte. C’est une révolution. » Dans Une nouvelle amie, on assiste à une double révolution. David (Romain Duris) reprend goût au travestissement suite à la mort de son épouse Laura (Isild Le Besco) et affiche sa part féminine au grand jour en sortant de la maison ; avec cette « nouvelle amie », le cinéma d’Ozon a en quelque sorte lui aussi changé de sexe, de genre de prédilection. Enfant, Ozon préférait jouer à la poupée comme il l’a confié dans un livre consacré à Huit femmes. Son adaptation de The New Girlfriend de Ruth Rendell donne congé aux hommes et aux pères absents. La figure masculine qu’il manquait aux films de Ozon, c’était peut-être finalement Ozon lui-même, sa façon parfois de jouer au petit malin, de se défausser, de lâcher un personnage en cours de route. Aussi, il y aurait une troisième et dernière révolution dans Une nouvelle amie avec cette apparition « hitchcockienne » : on aura reconnu le cinéaste dans ce dragueur moustachu caressant la jambe de Romain Duris, avec ses poils qui se devinent sous le collant. Son personnage les a-t-il au moins vus ? Drague-t-il un homme ou une femme ? Les deux ?
La mort de Laura anéantit surtout Claire (Anaïs Demoustier) , sa meilleure amie, sa « girlfriend » de toujours (ambiguïté du terme anglais que la traduction française ne rend pas – mais le film le fait pour elle). Cette relation « à la vie à la mort » et le récit romanesque qu’en fait Une nouvelle amie donnent lieu à une séquence rétrospective éblouissante. Comme avec la révolution, il y a ici deux fois rétrospection : de l’amour/amitié entre les deux jeunes femmes, des films de Ozon, comme avec cette maison de poupée (Huit femmes) que le film prend soin de montrer deux fois ou bien avec ce mélange de kitsch et de noirceur qui rappelle le conflit plastique entre le rose de la littérature sentimentale d’Angel et les paysages industriels sinistres peints par son mari Edmé (Angel).
On retrouve dans Une nouvelle amie la médiocrité de classe de Dans la maison et Jeune et jolie. Dans la scène rétrospective en question, Claire et Laura passent progressivement de l’enfance à l’âge adulte, puis entrent dans une vie « bourgeoise » et « conformiste » de mélodrame hollywoodien des années 50. Claire prend le train de banlieue pour aller au travail comme les « l’homme au complet gris » incarné par Gregory Peck. La banlieue chic où elle vit et fait son jogging sort tout droit d’un Douglas Sirk, de Tout ce que le ciel permet et de sa relation, antisociale à l’époque, entre une veuve quadragénaire et un jeune jardinier.
Les temps ont changé. Todd Haynes l’avait montré avec Loin du paradis : le genre, en tant que sexe social, est le nouvel ami du mélodrame, sa dernière frontière. De même qu’aujourd’hui, la métamorphose est la nouvelle amie du cinéma français. La Vie d’Adèle pourrait bien avoir donné le la à la relecture contemporaine des Métamorphoses d’Ovide par Christophe Honoré, au parcours initiatique et super-héroïque de Bande de filles de Céline Sciamma, et prochainement à la solitude de Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador, sorte de Splash des années 2010, et aux Nuits d’été de Mario Fanfani, très beau film queer qui raconte peu ou prou la même histoire que Une nouvelle amie dans le contexte de la France de la fin des années 50. L’opportunité pour Fanfani de retrouver quelque chose de l’image chatoyante des mélodrames de Fassbinder (eux-mêmes influencés par Sirk).
Le cinéma français actuel est plus mythologique que « sociologique ». Une des scènes les plus émouvantes de Une nouvelle amie se déroule dans une boîte de nuit qui s’appelle « L’amazone ». Elle montre un travesti interpréter Je suis une femme de Nicole Croisille. Dans Summer Lovers (1982), romance grecque qui annonce Before Midnight, une française cultivée formant un ménage à trois avec deux américains émet l’hypothèse que Dionysos fut le premier transgenre. Qu’en penserait Virgil Vernier, le plus mythologique des cinéastes français, qui a lui aussi une superbe intuition quant aux origines et au devenir du monde : « l’Antiquité, c’est le futur ». On est en 2021 et Ozon regarde Dionysos former la famille de demain.
UNE NOUVELLE AMIE (France, 2014), un film de François Ozon. Avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz, Isild Le Bosco. Durée : 107 min. Sortie en France : le 5 novembre 2014.