LEGENDES VIVANTES : le jour où Dumb and Dumber (and dumber and dumber) inventèrent Fox News et BFM TV

Il y a dix ans, le premier épisode (Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy) lançait vers les sommets le duo Will Ferrell – Adam McKay aux USA, et était exploité dans les salles françaises pendant une unique semaine. Trois autres films en commun plus tard ce second épisode semble marquer la fin d’un cycle, pour un certain nombre de raisons qui n’incluent pas l’épuisement du filon comique creusé par les deux hommes. Au contraire, on rit toujours aux larmes.

 

Pour la première fois, Ferrell et McKay ressuscitent des personnages nés de leur imagination dérangée. Ricky Bobby (le héros de Talladega nights), les Frangins malgré eux et les Very bad cops n’ont pas eu cet honneur, qui revient au présentateur de JT Ron Burgundy et à son équipe de journalistes encore plus mauvais que lui, Brian Fantana le reporter, Champ Kind le spécialiste des sports et Brick Tamland le monsieur Météo. Ce retour en terrain familier s’accompagne par moments d’accès de recyclage de gags : l’incapacité du personnage de faux adulte de Ferrell à communiquer avec de vrais enfants (un classique de l’acteur) ; un loft de journalistes idiots dont la déco rappelle celle du loft de top models idiots de Zoolander ; des scènes de patinage et de présentation alcoolisée d’un spectacle pour enfants venant tout droit des Rois du patin. Mais ces facilités passagères sont anecdotiques à l’échelle du film, qui remplit ses deux heures d’une avalanche de neige comique fraîche dévalant furieusement les pentes de la débilité. Car Légendes vivantes (Anchorman 2 – the legend continues en VO) a choisi son camp. Celui des suites kamikazes plutôt que des paresseuses.

 

Toutes les suites reprennent les éléments de leur premier volet, mais les paresseuses se contentent de les recopier tandis que les kamikazes les font voler en éclats. Ferrell et McKay ont toujours été des kamikazes, poussant jusqu’au bout leur folie – voir Frangins malgré eux et son absence totale de retenue dans l’application de son concept « deux adultes avec l’âge mental d’enfants de douze ans ». Logiquement, ils font tout exploser dans Légendes vivantes. Le rire est le seul juge dont ils reconnaissent l’autorité, et il n’y a rien qui ne puisse être sacrifié en son nom. Le film est ainsi mis au diapason de ses comédiens se jetant dans le vide sans filet – avec en premier de cordée Steve Carell, qui compose un insondable numéro d’ahuri à faire passer son Michael Scott de The Office pour Einstein. Légendes vivantes n’a que faire de la véracité de ses personnages, ignore splendidement la crédibilité narrative (les héros meurent à plusieurs reprises au cours du film, seulement pour réapparaître flambant neufs à la scène suivante), et jette même au rebut l’exigence de continuité au sein d’une même séquence.

 

Dans Légendes vivantes les fous s’emparent du contrôle de l’asile, et comme l’asile gagne de ce fait plus d’argent, tout le monde s’en satisfait

 

N’importe quelle scène peut ainsi être détournée de son but sensé, et transformée en cible d’un feu nourri et inépuisable de gags. La règle n’est plus de trouver un équilibre entre histoire et rire, ce dernier rafle toute la mise, impose sa loi et fait céder la structure même du film. Peu importent les faux raccords, les boucles ad libitum sur un même champ-contrechamp, seul compte l’empilement de toutes les variantes absurdes et stupides imaginables sur un même thème, aussi ténu soit-il – le choix d’une capote parmi une collection particulière, par exemple. Légendes vivantes laisse aux autres l’idée d’un récit conçu comme une mélodie harmonieuse, et adopte les pratiques de la musique techno : répétitions des motifs, étirement de la durée, cassures soudaines. Le film devient une aberration cinématographique au service d’un comique de l’aberrant. Avec son Minotaure, son « pistolet venu du futur » et sa myriade irréelle de guest stars, la bagarre générale finale porte ce principe à son paroxysme ; en même temps qu’elle boucle joliment la boucle avec le premier épisode, dont ce concept du règlement de comptes armé entre newsteams rivales était un des fondamentaux.

 

Dans leurs précédents films, Ferrell et McKay faisaient de leurs héros des témoins ou des spécimens des déficiences de l’Amérique contemporaine – les rednecks de Ricky Bobby, le réquisitoire contre les subprimes à la fin de Very bad cops. Légendes vivantes est porteur d’une ambition nouvelle puisque, entre deux démonstrations de crétinisme, Ron, Brian, Champ et Brick trouvent le temps de changer la face du monde. Une poignée de coups de (mauvais) génie leur suffit pour inventer les chaînes TV d’information continue, dans toute leur indigence débilitante et racoleuse. Nos fous rires prennent une autre teinte devant ces scènes qui sont aussi vives, percutantes et maîtrisées que le reste du film est volontairement bordélique et désinvolte. Dans Légendes vivantes les fous s’emparent du contrôle de l’asile, et comme l’asile gagne de ce fait plus d’argent, tout le monde s’en satisfait. Ce qui est aussi une allégorie très juste d’Hollywood.

 

LÉGENDES VIVANTES (Anchorman 2 : the legend continues, USA, 2013), un film de Adam McKay, avec Will Ferrell, Paul Rudd, Steve Carell, David Koechner, Kristen Wiig. Durée : 119 min. Sortie en France le 11 juin 2014 (DVD).

 

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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