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Des années 1990 à aujourd’hui, la vie de Paul, DJ condamné à rester un espoir de l’électro, alors que pendant ce temps, rien ne résiste à l’ascension de ses contemporains et proches confrères, les Daft Punk : Mia Hansen-Love s’inspire des jeunes années de son frère Sven et en fait un beau film, humble et émouvant, sur le talent comme chose la plus partagée au monde, mais par les autres.
La défiance que nous inspirait jusqu’à présent le cinéma de Mia Hanse-Love n’a d’égale que la satisfaction apportée par son nouveau long-métrage. Eden n’incite pas au mea culpa critique vis-à-vis de sa réalisatrice. Il n’invite pas non plus à remonter le fil de sa filmographie pour la réévaluer. Il faut simplement reconnaître que, ce coup-ci, ce qui ne passait pas auparavant réussit cette fois à passer (probablement parce que, s’il reste introspectif et basé sur les thèmes habituels, le cinéma de Mia s’est déplacé sur Sven). Grâce soit rendue aux musiques, qui réussissent à parler à la place des personnages, quand les conversations des précédents films, souvent molles et atones, participaient grandement de la pénibilité générale (seule exception désastreuse dans Eden, quand un patron de boîte de nuit fait les comptes et demande à ses DJ de s’adapter à la mode ; la faute à une interprétation si mauvaise de l’acteur dans le rôle du patron que le surdécoupage visuel semble être là pour hacher ce moment génant et le rendre digeste). Grâce soit rendue aussi à ce panoramique caressant doucement une rave et profitant des éclairages pour la consteller d’étoiles, ou à cet autre, son antithèse vingt ans après, enregistrant le vide d’un dancefloor au 4ème sous-sol où le calme a remplacé l’excès et le Macbook Pro, les platines. Enfin, grâce soit rendue à Daft Punk.
Eden n’est pas un film sur le duo électro – cela a été suffisamment dit et répété – mais c’est un film où Daft Punk est de tous les moments importants de la vie de Paul (Félix de Givry). Paul aurait pu devenir Daft Punk. Et s’il n’y est pas arrivé, c’est tout simplement parce qu’il n’était pas Daft Punk. Ca arrive, tout le monde n’est pas fait pour être mondialement reconnu. Il n’y a aucune rancune, aucune amertume dans Eden, moins en tous cas que dans Inside Llewyn Davis, l’histoire du Bob qui aurait pu devenir Dylan. Les Daft n’ont pris la place de personne, si ce n’est la leur, prédestinée. Aussi s’imposent-ils progressivement dans le film comme des compagnons toujours présents musicalement au moment où il faut. La réunion du groupe d’amis dans un bar, endeuillé suite au suicide de l’un des leurs, se fait alors que le début funèbre de Veridis Quo passe à la radio (« ils sont sur NRJ maintenant » fait remarquer une jeune femme à ses amis). Thomas Bangalter (Vincent Lacoste) et Guy Manuel de Homem-Christo ne sont pas là, mais ils hantent le lieu. Ils hantent tout le film, présence diffuse toujours prête à rappeler au héros leur ascension alors que lui plafonnera puis tombera. Ils n’y peuvent rien, c’est comme ça, et la plus touchante idée d’Eden tient à ce « c’est comme ça », qui prend presque deux heures à se déployer, le temps séparant les deux plus belles scènes du film.
Au sujet de la scène déjà évoquée du night-club souterrain, il y a cette cohabitation non feinte – on se fait la bise comme si on s’était quitté la veille, c’est-à-dire vingt ans plus tôt – entre les Daft et Paul, la même que celle imaginée par Tim Burton entre Orson Welles et Ed Wood, elle aussi au comptoir d’un bar.
Dans la première, Thomas et Guy Manuel tentent d’entrer dans le club où mixent Paul et son partenaire. Le videur ne les trouve pas sur la liste des invités et c’est grâce à Arnaud (Vincent Macaigne), organisateur de soirées, qu’ils arrivent à leurs fins. Ils ne haussent pas le ton, restent tranquilles, même s’ils sont les Daft Punk, petites célébrités auprès des initiés. Vingt ans plus tard, même situation, la barbe en plus pour Thomas. Autre physio à l’entrée d’un autre club, absence sur la liste des invités, puis arrivée in extremis d’un habitué glissant à l’oreille du videur qu’il fait face au Daft Punk. Le duo est mondialement connu, il s’est bien préservé de tout esclandre, garde profil bas. Pour eux, rien n’a changé, si ce n’est l’échelle de leur notoriété. Ils sont restés les mêmes, simples, même si cette humilité peut être mise sur le compte d’une candeur de Mia Hansen-Love (ou de sa prudence vis-à-vis de toute polémique ?), puisque par contraste, et parce que le film les met en parallèle avec la trajectoire de Paul, les Daft paraissent aussi sérieux et abstinents que le protagoniste est inconséquent et drogué. Trop clean les Daft ? A moins qu’il n’y ait là un deuil de l’esprit rock ou punk. Les premiers de la classe ont gagné. Les flambeurs, les romantiques, les torturés, les intransigeants, eux, se sont perdus. Les Daft ont inventé la musique qui allait quitter les free parties pour passer sur NRJ et meubler des clubs souterrains où l’on se croise plutôt que de danser, dont l’accès est si contrôlé que personne n’y rentre.
Eden n’a rien de réactionnaire pour autant (aujourd’hui comme hier, les fêtes restent un truc de happy few, simplement plus les mêmes happy few). Non seulement la musique de Daft Punk fait partie de la bande originale de la vie de Paul – c’est un plaisir aussi bien pour lui que pour nous, spectateurs – mais en plus, le duo s’impose comme son alter ego. Au sujet de la scène déjà évoquée du night-club souterrain, il y a cette cohabitation non feinte – on se fait la bise comme si on s’était quitté la veille, c’est-à-dire vingt ans plus tôt – entre les Daft et Paul, la même que celle imaginée par Tim Burton entre Orson Welles et Ed Wood, elle aussi au comptoir d’un bar. Cette dernière rencontre n’est jamais arrivée, c’était donc l’une des plus belles choses visibles dans Ed Wood. Le réalisateur de Citizen Kane et celui de Plan 9 From Outer Space, chacun à un bout du spectre qualitatif, discutaient d’égal à égal, avec la même passion, rappelant que le génie n’est pas question d’investissement. On l’a ou on ne l’a pas. Paul ne l’a pas, mais quand il réalise que d’autres en ont pour lui (l’épilogue fait très scolaire, c’est vrai, sauf qu’il permet de convier la littérature à la fête) et qu’ils le font partager, il se sent mieux. Eden est l’histoire de ce sentiment fait d’euphorie et de mélancolie, comme il le dit lui même si bien. Il ne peut pas s’en empêcher : après tout, c’est bien un film de Mia Hansen-Love.
EDEN (France, 2014), un film de Mia Hansen-Love, avec Félix de Givry, Roman Kolinka, Pauline Etienne, Greta Gerwig, Vincent Macaigne, Vincent Lacoste, etc. Durée : 131 minutes. Sortie en France le 19 novembre 2014.