Quand le scénariste de DRIVE confronte Hitchcock au Minotaure

En Grèce, dans les années 60, la rencontre entre un couple d’Américains aisés et un jeune guide touristique. The Two Faces of January est l’adaptation du roman éponyme de Patricia Highsmith et la première réalisation de Hossein Amini, le scénariste de Drive. Un polar qui convoque brillamment Hitchcock, la mythologie antique et le Cronenberg dernière manière. 

Dédale et périple de The Two Faces of January. Cherchez y Janus (le « January » du titre), la divinité romaine à deux têtes, et vous y trouverez le grec Thésée. Le héros entré dans le labyrinthe du Minotaure est cité dès la scène d’ouverture, lorsque Rydal (Oscar Isaac) fait visiter l’Acropole à des touristes américaines. Le jeune guide ne manque pas de mentionner Egée, vieillard suicidé après avoir été mystifié sur la mort de son fils. Trouvez Thésée et vous trouverez (l’)Œdipe. « Cet homme me fait penser à mon père » dit Rydal lorsqu’il aperçoit à la terrasse d’un café le flamboyant Chester McFarland et son épouse Colette. Ils ont les traits de Viggo Mortensen et de Kirsten Dunst. Ils pourraient être père et fille. Avant de faire connaissance et d’entreprendre un périple à travers la Grèce, les trois personnages se regardent en chien de faïence. Rydal est fasciné par Chester tout autant que Chester est intrigué par lui. Rydal regarde aussi Colette. Chester regarde Colette qui regarde Rydal. Cette triangulation est l’un des deux grands axes du premier long métrage de Hossein Amini, qui adapte ici un roman de Patricia Highsmith. Rien d’étonnant à ce que reviennent en mémoire Plein Soleil et son remake Le talentueux Mr Ripley (son réalisateur, le défunt Anthony Minghella, est remercié au générique de fin).

Chester est rattrapé par son passé comme Viggo Mortensen l’est par ses rôles précédents. La scène qui lance l’intrigue criminelle de The Two Faces of January est un History of violence au carré.

THE TWO FACES OF JANUARY de Hosseim Amini Pas de cadre plus approprié que la Grèce pour convoquer la mythologie. Pas de lieu plus emblématique que l’Europe pour mettre le couple en crise. The Two Faces of January se déroule dans les années 60, à l’époque où Audrey Hepburn casse son propre mythe romantique et se sépare d’Albert Finney lors d’un Voyage à deux, comparable dans sa modernité au Voyage en Italie de Rossellini. Dans le récent Before Midnight, qui y fait référence sans le citer, le pays de l’épopée et de la tragédie sert de décor à une crise conjugale. En vacances dans le Péloponnèse, Julie Delpy et Ethan Hawke viennent y éprouver leur amour – le re-ssentir, le mettre à l’épreuve du temps sur un continent qui a plus d’histoire qu’eux, et plus d’Histoire que l’Amérique qui est la plus grande pourvoyeuse de romances. Scènes d’amour…et scènes de meurtre. La menace d’une séparation sur le Vieux Continent est une des deux faces de ce film-Janus. L’autre est la cavale, le polar hitchcockien. Chester tue accidentellement un détective privé qui enquête sur ses magouilles financières. Chester est rattrapé par son passé comme Viggo Mortensen l’est par ses rôles précédents. La scène qui lance l’intrigue criminelle est un History of violence au carré. Les personnages de Mortensen ont une prédisposition pour la violence. L’acteur a une histoire avec Hitchcock. Dans le remake du Crime était presque parfait, il était Steven Taylor, un homme d’affaires puissant qui organise le meurtre de sa femme. Dernier trait hitchcockien de The Two Faces of January : la musique d’Alberto Iglesias, compositeur attitré d’Almodovar depuis La fleur de mon secret.  Elle pastiche Bernard Herrman. Ou mieux : elle pastiche Pino Donaggio qui pastiche Bernard Herrman. Du Bernard Herrman au carré.

Dans la dernière partie, la plus intense, celle vers laquelle le film et sa symbolique convergent, la police court après deux visages. Le périple arrive à son terme dans les allées sinueuses du Grand Bazaar d’Istanbul. Au risque d’écraser Hosseim Amini sous le poids de la filiation hitchcockienne, il n’y a pas loin avec les souks de Marrakech de L’homme qui en savait trop. De ce qui se joue dans la conclusion, certains ont tiré des récits, d’autres des concepts. A cause d’un obsédé sexuel viennois, la mythologie antique est devenue notre mythologie intime, personnelle. Un heureux hasard fait que Viggo Mortensen a été Freud dans une vie antérieure. Préservons le mystère pour ceux qui n’ont encore rien vu. Il serait cruel d’en dire plus. Ce serait jouer les oracles, ce serait être l’homme qui en disait trop. Ce serait révéler à Oedipe qu’il a couché avec sa mère.

 

THE TWO FACES OF JANUARY (Etats-Unis, 2014), un film de Hossein Amini. Avec Viggo Mortensen, Kirsten Dunst, Oscar Isaac. Durée : 96 min. Sortie prévue en France le 18 juin 2014. 

 

Nathan Reneaud
Nathan Reneaud

Rédacteur cinéma passé par la revue Etudes et Vodkaster.com. Actuellement, programmateur pour le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux et pigiste pour Slate.fr. "Soul singer" quand ça le chante.

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