Bilan 2015 : quatre grandes questions pour quatre grands festivals (et leurs champions)

De Berlin à San Sebastian, en passant par Cannes et Venise, les verdicts de la cuvée 2015 des grands festivals internationaux ont comporté leur lot de surprises et, forcément, d’interrogations à l’heure de faire le bilan.

Pourquoi les outsiders ont-ils triomphé partout ?

TAXI de Jafar PanahiLe vainqueur le moins inattendu des quatre festivals aura en définitive été le Taxi Téhéran de Jafar Panahi, à Berlin. C’était loin d’être évident sur le moment, étant donné son tournage modeste et tout à fait hors des clous, au moyen de mini-caméras cachées dans l’habitacle d’un taxi. Mais à mesure que l’année avançait, les grands rendez-vous suivants ont primé des films que l’on attendait encore moins tout en haut du palmarès : Dheepan de Jacques Audiard à Cannes, Desde alla de Lorenzo Vigas à Venise et Sparrows de Runar Runarsson à San Sebastian ont tous damé le pion à des noms ronflants et à des favoris présumés. Chaque festival a bien sûr ses spécificités pouvant contribuer à expliquer son lauréat surprise – Berlin est toujours féru de politique, Cannes a coché un nom dans sa short-list « cinéastes pas encore palmés mais ce n’est qu’une question de temps, peu importe le film », Venise est en perte de vitesse et donc propice à l’imprévu, San Sebastian récompense plus volontiers des films accessibles que leurs concurrents pointus.

Rick (Christian Bale)

Mais au-delà de ces particularismes, l’année a été dure pour tout le monde et la densité des sélections s’en est ressentie partout. Le cas extrême de Venise est traité à part ci-dessous, mais ce n’est pas parce que lui est plus particulièrement pointé du doigt que les autres peuvent pour autant souffler. Berlin pouvait certes faire parader son roi de Terrence Malick (Knight of cups), mais traînaient à l’ombre de ce dernier une reine ratée de Werner Herzog (Queen of the desert), un bouffon affligeant de Perter Greenway (Que viva Eisenstein !) et en guise de représentant chinois un blockbuster comique local (Gone with the bullets) sans autre particularité que la carte de visite de son réalisateur (Jiang Wen, auteur il y a quinze ans maintenant des Démons à ma porte). Du côté de Cannes, c’est la sélection américaine qui a visiblement été laborieuse à boucler, avec autour de Carol un tout petit Gus Van Sant (La forêt des songes), et un film d’action interchangeable (Sicario) qui ne se serait jamais retrouvé là si Cannes parvenait à convaincre les studios de présenter ses bijoux en compétition (Mad Max : fury road, Vice-versa). Enfin, à San Sebastian, malgré les pépites internationales saisies au bond cette année (voir plus bas), la compétition ne peut toujours pas devenir tout à fait une référence, tant que perdure la volonté de maintenir une présence hispanique disproportionnée par rapport au réservoir disponible – surtout quand Berlin (Le bouton de nacre), Cannes (La tierra y la sombra, L’étreinte du serpent) et Venise (Desde alla) se sont servis en passant.

Le doyen des festivals est-il en train de devenir sénile ?

Agyness Deyn dans SUNSET SONG de Terence DaviesFaible est un qualificatif encore trop fort pour décrire l’état de la compétition officielle de la 72ème édition de la vénérable Mostra de Venise. Vénérable mais peut-être aussi dépassée, parce que de moins en moins capable de résister à la pression des rivaux qui l’encerclent au niveau calendaire et l’étouffent. On pense en premier lieu aux américains (Toronto, New York, Telluride), mais de plus en plus d’européens empiètent sur cette même période de septembre-octobre – Rome, Londres, San Sebastian… Ce dernier festival a au passage peut-être trouvé la parade pour maintenir une compétition attractive malgré la concurrence des manifestations de simple prestige, sans sections compétitives : accepter de laisser à celles-ci les exclusivités. Sunset song, Évolution, High-rise entre autres étaient ainsi passés par Toronto (l’épouvantail majeur) avant de venir concourir à San Sebastian.

Catherine Frot et Michel Fau dans MARGUERITE de Xavier GiannoliVenise, pour sa part, s’accroche bec et ongles au principe des premières mondiales. La Mostra tient à le faire savoir dans sa communication, mais la réalité des moyens à sa disposition pour lutter avec cet ennemi d’outre-Atlantique est tout autre : il y a deux ans Gravity ouvrait le festival, cette année c’était le plus quelconque Everest, tandis que Seul sur Mars prenait la direction du Canada… Les exclusivités, c’est bien sur le principe, ça l’est moins dans la réalité si cela revient à organiser un festival d’exclusivités sans valeur, refusées ailleurs pour de bonnes raisons. Or sur le Lido la compétition a bel et bien été meublée avec un cortège de films n’ayant rien à faire là (Equals, The endless river, 11 minutes…), faisant de certaines journées des cauchemars éveillés et ayant pour victime collatérale la section annexe Orizzonti, transformée en foire aux navets avec Man down en tête de gondole. Même les locaux semblent lâcher le festival, le contingent italien étant formé d’un Bellocchio mineur et des tellement laids, chacun à sa manière, A bigger splash et Per amor vostro ; quand les français sont si nombreux à se presser au portillon de Cannes que le festival peut se permettre de reléguer Desplechin à la Quinzaine des Réalisateurs, et de laisser la Marguerite de Xavier Giannoli en forme d’aumône de choix négligemment cédée à Venise.

Le festival de Cannes est-il en train de tout écraser autour de lui ?

LES MILLE ET UNE NUITS de Miguel GomesÇa en a tout l’air. Alors que ses concurrents (si tant est que l’on puisse encore les désigner ainsi) sont obligés de recourir au remplissage en promouvant en compétition des œuvres qui ne le méritent pas, Cannes trouve encore le moyen d’aligner des noms prestigieux jusque dans ses sections parallèles. Weerasethakul, Kurosawa, Kawase et Porumboiu à Un certain regard, Desplechin, Garrel et Gomes à la Quinzaine, et même Wang à l’ACID auraient aisément trouvé une place en compétition n’importe où ailleurs – la plupart d’entre eux l’ont d’ailleurs déjà fait par le passé. Cette année tous ont préféré jouer les seconds rôles sur la Croisette, creusant un même gouffre béant entre Cannes et les autres festivals mondiaux qu’entre le PSG aux joueurs de niveau international cirant le banc et le reste des clubs français. Mais le PSG a l’excuse d’une autre compétition plus relevée à disputer en Europe. Pour Cannes, à moins d’entrer en contact avec des extraterrestres, de découvrir qu’eux aussi font des films et organisent des festivals, et de mettre sur pied une rivalité intersidérale entre les meilleurs festivals de chaque planète, ce palier supérieur n’existe pas.

Et en 2016, il va se passer quoi ?

Le phénomène décrit ci-dessus ne semble pas en passe de s’estomper, si l’on se base sur des annonces de sorties telles que celle du très attendu Elle de Paul Verhoeven, prévu pour le… 21 septembre 2016. Le film sera prêt bien avant le printemps mais est gardé au chaud pour une sélection cannoise et une distribution à la rentrée suivante. Peut-être le premier d’une longue liste… Reste alors à espérer que contrairement à 2015, l’année 2016 soit un cru suffisamment riche pour que les festivals, tous autant qu’ils sont, y trouvent de quoi nous en mettre plein les yeux. Une autre annonce, celle du Ave César des frères Coen et du Midnight special de Jeff Nichols prenant le chemin de Berlin, laisse espérer que ce soit le cas.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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