LE BOUTON DE NACRE, le Chili dans une goutte d’eau

Partant du désert qui faisait la splendeur de Nostalgie de la lumière, Patricio Guzmàn continue de raconter l’histoire du Chili. Cette fois, ce n’est plus du côté du grain de sable et de la poussière mais du point de vue de l’eau. Un élément qui charrie des images superbes, bien que Le Bouton de nacre (El boton de nacar) soit traversé par un courant moins puissant que le précédent film du documentariste. 

Patricio Guzmàn ou un documentariste sur les traces de JG Ballard. Après la sécheresse, l’engloutissement. Après le désert d’Atacama, les eaux qui bordent le Chili et ce qu’elles charrient à leur tour d’histoire, de récits plus ou moins enfouis. Cela va du plus petit au plus grand : les souvenirs du réalisateur (la disparition d’un ami emporté par les vagues), la mémoire de son pays, les origines de l’humanité. En cela, El boton de nacar est bien la suite – moins inspirée, il faut bien le dire – de Nostalgie de la lumière.

C’est une suite tout d’abord parce que le film retourne dans le désert le plus haut perché, vers cette étendue suspendue entre profane et sacré, également connue pour être la plus aride au monde. Nous sommes poussières d’étoiles, nous sommes des êtres d’eau comme ces étoiles. Guzmàn avait trouvé à Atacama le point de rencontre entre la science, la mystique et la grande Histoire. Sans basculer dans l’imaginaire, tout lecteur de Jules Verne qu’il est, le documentariste se rapprochait là d’un syncrétisme hollywoodien, notamment à l’oeuvre dans la science-fiction qui allie sentiment religieux et savoir, création divine et Big Bang…science et fiction.

EL BOTON DE NACAR de Patricio Guzmán Il manque ce souffle mystique dans El boton de nacar. Plus conventionnel, le film n’en est pas moins intéressant comme relecture d’une histoire au fil de l’eau ; histoire qui prend sa source chez les Indiens nomades de Patagonie, frères de ceux d’Amérique en ce qu’ils ont subi le même sort (colonisation, évangélisation, extermination). De beaux clichés révèlent leur peau brune peinte de traits blancs, telle une surface étoilée. Ce peuple nomade, dont il reste quelques descendants, entendait communier avec les astres et se confondre avec eux à l’heure de leur mort. Guzmàn s’arrête un moment sur le plus connu d’entre eux, un certain Jemmy Button (comme bouton en anglais, comme le « boton » du titre), aussi tragique et isolé finalement que le Benjamin du même nom imaginé par Fitzgerald. Acheté par les colons en échange d’un bouton de nacre, le jeune natif part en Angleterre apprendre les usages de la Vieille Europe. De retour dans son pays natal, il abandonne aussitôt son apparence « civilisée » (vêtement, coiffure). Rien n’y fait : Button n’est plus considéré comme un membre de la tribu. Mais c’est déjà une autre histoire, un beau matériau pour un autre film.

L’exhumateur Guzmàn continue de déterrer les cadavres de ce vaste cimetière qu’est le Chili

Du plus petit au plus grand, disions-nous. Un bouton de nacre, un autre, et Guzmàn explore les profondeurs de la mémoire chilienne. L’objet est resté fixé à un rail de chemin de fer immergé depuis des décennies. Au temps de la dictature, ce morceau de métal de 30 kilos servait à lester les corps pour les faire disparaître dans la mer. Guzmàn reconstitue méticuleusement le dispositif : le poison utilisé sur les victimes, le rail ficelé autour du buste, les sacs de patates en guise de linceul. La simulation devient poussive quand elle consiste à faire jeter les faux corps depuis le genre d’hélicoptère qu’on utilisait sous Pinochet. Non pas à cause de la barbarie du geste ou de l’ambiguïté morale qu’il y aurait à le reproduire, mais parce que le spectateur a suffisamment d’imagination pour finir le travail lui-même. L’exhumateur Guzmàn continue de déterrer les cadavres de ce vaste cimetière qu’est le Chili. Au risque de la redite, du rabâchage, surtout dans le propos métaphysique (les morts qui ont trouvé leur place dans l’ordre cosmique, les victimes de la dictature muées en corps célestes accrochés comme des luminaires au plafond d’Atacama). Un Guzmàn en service minimum en quelque sorte.

LE BOUTON DE NACRE (Chili, France, Espagne, 2015), un film de Patricio Guzmàn. Durée : 82 min. Sortie en France le 28 octobre 2015.  

Nathan Reneaud
Nathan Reneaud

Rédacteur cinéma passé par la revue Etudes et Vodkaster.com. Actuellement, programmateur pour le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux et pigiste pour Slate.fr. "Soul singer" quand ça le chante.

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