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Le vieux Don Alfonso revient auprès des siens, exploités dans une plantation de canne à sucre, travail qui a rendu son fils gravement malade. Tout festival de cinéma se présente avec son lot de films sociaux chroniquant la misère de la classe laborieuse dans divers coins du monde, films qui restent malheureusement pour la plupart eux-mêmes coincés dans la case qui leur est assignée, à l’image de leurs personnages. S’extraire à cette condition, La terre et l’ombre y parvient – presque.
Dès les premiers plans de ce qui est son premier film, Cesar Acevedo affirme de la plus efficace des manières, par l’image, sa volonté d’être plus que l’accompagnateur du triste destin imposé à ses héros. Ceux-ci nous sont présentés dans des plans éloquents, saillants, qui évoquent la peinture classique par leur travail de mise en scène et de mise en lumière, de disposition des corps et de ciselure des contrastes et des ombres. Acevedo laisse à d’autres la solution de facilité qu’est la caméra tremblante à l’épaule, et dote La terre et l’ombre d’une puissance visuelle qui restera impressionnante d’un bout à l’autre. Pour lui la caméra n’est pas un simple outil d’enregistrement, il l’emploie pour ce qu’elle est véritablement, un moyen de transcender chaque lieu ou activité et d’extraire de l’art à partir du réel. Il en va ainsi du travail inhumain et infernal qui se déroule dans les champs de canne à sucre (et qui peut conduire à des visions presque irréelles, lorsque vient le brûlage des cannes et les pluies de cendres qui s’en suivent), comme de scènes anodines du quotidien intime des protagonistes : une table de bar couverte de bouteilles vides, un cornet de glace que l’on protège de la poussière au bord d’une route au passage d’un camion se transforment en moments intenses, qui nous apparaissent comme uniques et précieux.
L’écriture des relations entre les différents membres de la famille d’Alfonso a des racines tout aussi fertiles. Les personnages sont au nombre de cinq (les grands-parents, les parents, et le petit-fils d’Alfonso) et le film développe leurs liens de proche en proche, faisant ainsi croître les connexions en quantité exponentielle. Le retour d’Alfonso est l’occasion pour lui de rencontrer son petit-fils, de construire enfin une histoire pour eux deux, histoire qui occupe une place importante dans le récit, malgré la présence autour de cette bulle de tendresse innocente de drames suffisamment conséquents – la maladie du père, les abus du propriétaire de la plantation – pour l’écraser. Au contraire, on a l’agréable et délicate surprise de suivre sur la durée les journées indolentes du grand-père et du petit-fils, écoutant les oiseaux et s’occupant de la maison. Et c’est face aux émotions plus fortes et aux conflits plus aigus que La terre et l’ombre montre en vérité ses limites, qu’il rentre dans le rang du « cinéma social du monde ». Lorsque l’enjeu devient majeur, pour l’individu ou le groupe, Acevedo se refuse à pousser son cinéma en conséquence, peut-être par crainte de le rendre supérieur à ses héros dans ces situations (crainte infondée : il grandirait alors ceux-ci avec lui). Il filme les événements soit de trop loin, soit pas assez longtemps. Mais cette réserve, cette crainte au moment de dépasser ce que l’on attend de vous, le cinéaste a le temps de la corriger. Il a toutes les cartes en main pour.
LA TERRE ET L’OMBRE (La tierra y la sombra, Colombie, 2015), un film de Cesar Augusto Acevedo, avec Haimer Leal, Hilda Ruiz, Edison Raigosa, Marleyda Soto, José Felipe Cardenas. Durée : 97 minutes. Sortie en France le 3 février 2016.