DESDE ALLA : de père en fist

A Caracas, une relation trouble, à la fois paternelle et amoureuse, se noue entre un petit voyou des rues et un prothésiste dentaire qui paie de jeunes hommes pour lui servir de support à ses masturbations : avec peu, Desde Alla dit beaucoup, sur la relation père-fils, la masculinité, le prix de l’amour et la soumission volontaire à laquelle quiconque peut s’astreindre.

 

Ca sent le film mexicain, ça ressemble à un film mexicain, ça parle comme un film mexicain, et pour cause : produit par Michel Franco et écrit à partir d’une histoire de Guillermo Arriaga, Desde alla n’a de vénézuélien que ses ingrédients (réalisateur, acteurs et décor). Le reste – style, mise en scène, ton – vient de plus au nord. Si on pense moins à Reygadas, faute de mysticisme, on y trouve tout ce qui fait le succès de Michel Franco donc, Amat Escalante ou Michael Rowe (Année bissextile, Caméra d’Or 2010). Ce haut-patronage explique sans mal pourquoi Lorenzo Vigas se retrouve en lice pour le Lion d’Or 2015 dès son premier long.

Pêle-mêle, nous avons : des rapports scabreux entre les personnages, un élément déclencheur a priori sordide dont la nature se laisse deviner progressivement, une description des rapports de classes et de forces à travers le sexe, et des plans longs et fixes. Rarement frontaux les plans (en format scope, s’il vous plaît) et sans profondeur de champ pour entretenir le flou ; le résultat est moins clinique que chez Franco. Desde alla démarre sous les meilleurs auspices.

Desde alla diffuse un trouble durable dont on mesure les effets encore longtemps après la projection

DESDE ALLA de Lorenzo VigasUn vieux type suit un jeunot dans la rue puis dans le bus, et lui propose une liasse de billets en échange d’une prestation très spéciale, qui aura lieu chez le payeur, dans son living-room. Là, le jeune homme tourne le dos au client, enlève son t-shirt, baisse son pantalon juste en-dessous des fesses – ni plus haut, ni plus bas ; ça a apparemment son importance – et attend que le mec assis dans son canapé ait fini de se masturber. Un autre minot prénommé Elder va casser cette routine, d’abord en se rebellant contre notre homme (il frappe Armando, un électrochoc pour ce dernier, incapable de toucher ou de se laisser toucher), puis en revenant vers lui. La relation entre eux deux devient de plus en plus trouble, jusqu’au dénouement machiavélique dont on ne saura jamais à quel moment précis du film il s’est amorcé.

En 2013, nous avions découvert Eastern Boys à Venise, basé sur une trame similaire. Autant le film de Robin Campillo n’était pas à notre goût, autant celui de Lorenzo Vigas l’est. Parce que l’identité de l’exploiteur y est encore moins évidente et plus changeante, parce qu’au contraire le pouvoir de l’argent y est bien davantage destructeur, et parce qu’au contexte plus globale de l’immigration clandestine dans lequel Eastern Boys s’embourbait (marrant d’ailleurs comme la fin à gros bras de Dheepan dérange alors que celle de Campillo n’avait pas été questionnée), Desde alla s’en tient à ses deux personnages et tourne au thriller vicieux plutôt qu’au discours citoyen. Il n’en a pas moins de force politique pour autant, tout le contraire même, et diffuse un trouble durable dont on mesure les effets encore longtemps après la projection.

 

DESDE ALLA (Venezuela, Mexique, 2015), un film de Lorenzo Vigas, avec Alfredo Castro, Luis Silva, Jericho Montilla, Catherina Cardozo. Durée : 93 minutes.

 

Caro Chu
Caro Chu
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