LES 16 FILMS DE 2014 QU’ON A VUS ET QUI VONT FAIRE L’ANNEE… jusqu’en juin

Et si vous preniez d’ores et déjà rendez-vous avec les films incontournables des mois à venir ? Au terme d’une année de festivals 2013, Accréds a vu et aimé des oeuvres dont les sorties en France sont programmées en 2014. Nous en avons retenu seize (et non plus quinze). Seize créations qui, à nos yeux, méritent toute votre attention. Vous ne saviez pas quoi faire le 29 janvier, le 26 février ou le 26 mars ? Maintenant, vous savez.

 

22 JANVIER : LE VENT SE LÈVE de Hayao Miyazaki

C’est le dernier film d’Hayao Miyazaki – il l’a annoncé lui-même dans la foulée de la dernière Mostra – ce qui donne une raison supplémentaire de ne pas passer à côté, si besoin était. Et besoin il y a… Faut-il mettre notre tiédeur face au Vent se lève sur le compte d’un accès de cynisme ? N’y a-t-il pas un hiatus problématique entre la candeur du héros, ingénieur aéronautique de l’entre-deux guerres, et la finalité de ses créations (ben oui coco, tu crées des avions de combat, donc des machines à tuer, c’est pas la fête quand même) ? Entre l’autoportrait évident de son auteur et la jeunesse du corps sur lequel il est projeté ? Dans Le vent se lève, il y a un imaginaire débordant lié à une envie de technologie, comme dans d’autres films de Miyazaki, mais le rêve dangereux prend cette fois la forme bien connu du très réel avion Zero. Ca change forcément le fond idéologique, car on ne pardonne pas à la Dame Eboshi de Princesse Mononoke comme on le ferait à un ingénieur inspiré d’un personnage ayant existé, qui ne se pose jamais, ou trop rarement, de questions éthiques quant aux applications de son travail de création. Peut-être Miyazaki interroge-t-il la responsabilité du dessinateur, donc de tout artiste… Nous nous sommes faits notre avis sur le film, mais nous espérons que celui-ci vous encouragera surtout à vous faire votre propre opinion.

Lire notre critique du VENT SE LEVE

 

29 JANVIER : NYMPHOMANIAC – VOLUME 2 de Lars Von Trier

Qu’arrive-t-il à une nymphomane dont le clitoris et le point G ne répondent plus (situation dans laquelle le cliffhanger laisse Joe, l’héroïne, à la fin du 1er volume de Nymphomaniac) ? Où et quand aura lieu son prochain orgasme, si tant est qu’il puisse revenir un jour ? Quel est le secret honteux du bon samaritain Seligman (on est chez Lars Von Trier, tout le monde a un secret honteux) ? Parmi les nouvelles têtes de la seconde partie, Willem Dafoe sera-t-il méchant et Jamie Bell gentil, comme d’habitude ? À quel moment Stacy Martin va-t-elle se métamorphoser en Charlotte Gainsbourg ? Le fera-t-elle dans un tourbillon façon Wonder Woman ? Qui a tabassé Joe ? Devisera-t-on encore pêche à la mouche et fourchettes à gâteaux ? Quel est le point commun entre le sadomasochisme et l’alpinisme ? Et que peut bien être ce « canard silencieux » dont il est fait mention dans le sous-titre du chapitre 6 ? Les réponses à toutes ces questions, et bien d’autres encore, sont dans Nymphomaniac vol. 2. Comme on est des gens bien, on vous offre une première réponse gratuite : oui, c’est aussi bien – voire encore mieux – que la première partie.

Lire notre critique de NYMPHOMANIAC : VOLUMES 1 ET 2

 

29 JANVIER : JACKY AU ROYAUME DES FILLES de Riad Sattouf

Difficile de cacher notre affection pour Riad Sattouf, après avoir dédié à son premier long-métrage Les beaux gosses, en sa présence, notre Rendez-vous d’Accréds inaugural. Nous avons beau être partisans, Jacky au royaume des filles peut légitiment laisser perplexe, au moins à chaud. On s’attendait à une reprise plus ou moins fidèle de l’excursion du volume 2 des aventures de Pascal Brutal, le héros de BD créé par Sattouf, quand cet homme plus viril que la virilité se retrouvait affublé d’une sorte de burqa, à la merci d’un régime autoritaire féminin… Jacky au royaume des filles est en fait bien plus tordu, un film inédit dans le paysage cinématographique, car pensé dans ses moindres détails par un créateur très inventif, ne sacrifiant jamais le malaise au nom de la primauté de l’effet comique (nous sommes sous un régime autoritaire, jamais cette donnée n’est tempérée), dont les moindres détails résultent d’une imagination débridée, une œuvre pertinente dans sa manière de réunir différentes générations d’humour (Didier Bourdon et Anémone sont là, c’est un peu des Trois frères et du Père Noël est une ordure) et, cerise sur le gâteau, qui ne se contente pas d’une simple inversion des genres, mais d’un brouillage culminant en une dernière scène folle. Car Jacky… n’est pas juste Cendrillon au masculin – comme l’a fait dire Riad Sattouf à son interprète Vincent Lacoste – c’est une réalisation refusant la tiédeur, qui fait tout à fond, quitte parfois à se louper (ou à nous louper), à l’ambition rarissime tant elle semble anticonsensuelle. Et le comble, c’est que même en étant prévenus, vous risquez d’être surpris.

 

12 FEVRIER : FOR THOSE IN PERIL de Paul Wright

L’écossais Paul Wright frappe un grand coup dès son premier long-métrage, présenté à la Semaine de la Critique 2013, avec un sujet pourtant aussi concis que classique : le naufrage d’un bateau de pêche qui ne laisse qu’un unique survivant, un adolescent dont le grand frère était également à bord. Partant de là, Wright va aller gratter là où la réalité fait vraiment mal, dans l’impossibilité d’oublier ce qui a été perdu, dans le déni qui tourne à la folie. Et pour ce faire, il ne convoque pas n’importe quels modèles : Terrence Malick et Tree of life pour la part introspective du récit, qui observe la recomposition fiévreuse du paysage mental du jeune héros, sous l’effet de la force brute du paysage et de la hantise des souvenirs ; Herman Melville et Moby Dick lors du virage de la seconde moitié vers le fantastique, quand une légende pour enfants (autour d’un monstre marin engloutissant les pêcheurs) devient la seule voie qui reste à emprunter. L’alliance réussie de ces deux figures tutélaires, la combinaison de la puissance des images chimériques et de l’intensité dramatique tirée du conte merveilleux, tirent For those in peril vers les sommets.

Lire notre critique de FOR THOSE IN PERIL

 

26 FEVRIER : LES BRUITS DE RECIFE de Kleber Mendonça Filho

O Som Ao Redor en VO, Neighbouring Sounds en anglais, devient Les bruits de Recife en français, et ce n’est pas un mal. D’abord parce que le titre original ne parle en France qu’aux festivaliers des 3 Continents 2012, malgré la ribambelle de prix glanés tout autour du monde. Ensuite parce qu’il n’est pas superflu de planter le décor de ce film choral à la géographie inhabituelle (un quartier privilégié de Recife, au Brésil), ambitieux (le prologue inscrit les conflits à venir dans une histoire plus vaste du pays, généralement méconnue en France) et surtout son ton. Les bruits de Recife, c’est aussi bien une ménagère de moins de cinquante ans qui se donne du plaisir en se frottant à son lave-linge en plein essorage, qu’une scène cauchemardesque de home invasion qui n’a rien à envier à John Carpenter, lequel est une référence avouée de Kleber Mendonça Filho, le réalisateur, comme il nous l’a expliqué lors de notre entretien. Avec sa tension crescendo, sa montée en puissance dramatique et sa manière de fondre les rapports de classe aux rapports de force, Les bruits de Recife ne devrait pas décevoir ses spectateurs. Et non, il n’y a pas de samba dedans (mais un peu de foot quand même, heureusement).

Lire notre entretien avec le réalisateur du film, Kleber Mendonça Filho

 

26 FEVRIER : AT BERKELEY de Frederick Wiseman

Avec un titre comme At Berkeley, on pourrait croire que tout est dit : un endroit unique, montré sous toutes les coutures, sur une longue durée. Pas du tout. L’action se passe bien sur le campus de Berkeley et pas ailleurs, mais il n’est pas question de lui ou pas totalement en tous cas. L’enjeu de At Berkeley est beaucoup plus fort et vaste : c’est la démocratie, son exercice par les débats sans cesse renouvelés et déplacés. C’est ce qui rend ce très long film de Frederic Wiseman (244 minutes quand même) fort et fastidieux : on n’y fait qu’écouter et regarder des gens parler, partout, tout le temps. C’est ce qui le rend aussi opportunément imperméable au découpage par épisode et au storytelling qui deviennent la norme du documentaire. Il n’y a pas d’endroit où couper dans At Berkeley. Quand une parole s’envole, il faut la capter jusqu’à son atterrissage, sinon on passerait à côté du plus important : les effets de cette parole ou plus souvent son absence d’effets. C’est tout du moins ce que l’on craint – que le film finisse par nous dire qu’il ne sert à rien de discuter – jusqu’à un dernier acte consacré à une grande manifestation au sein du campus (le plus révolutionnaire des Etats-Unis, à tous les sens du terme, ne l’oublions pas). Là, tout fait sens. C’est long, mais ça vaut le coup, parce qu’on se rend compte rétrospectivement que brasser de l’air, c’est déjà agir.

Lire notre critique de AT BERKELEY

 

12 MARS : LES CHIENS ERRANTS de Tsai Ming-liang

Grand prix de la mise en scène à la Mostra 2013, présenté hors-compétition aux 3 Continents de Nantes, Stray Dogs/Les chiens errants est le dernier film de Tsai Ming Liang et, selon les dires de celui-ci, son ultime – Miyazaki-style, comme si la mode, côté Asie, était cette année aux testaments. Pas loin de A Touch of Sin non plus, cependant, ces chiens errants sont les symboles d’une Asie en perdition, modèle réduit des hommes qu’elle héberge, et sans doute du monde aussi, devenu décharge parcourue de fantômes. Le film lui-même semble errer, hanter ses spectateurs, longtemps pendant, longtemps après. Il faut d’immenses minutes-lumière aux personnages éteints pour atteindre l’écran, comme autant de supernovas à la lumière déclinante.

 

19 MARS : WRONG COPS de Quentin Dupieux

A ce jour, c’est le long-métrage le plus normal de Quentin Dupieux. Ce qui ne l’empêche pas de rester à des années-lumière de ce que les gens qui se considèrent comme normaux définissent comme étant la normalité. Dans Wrong Cops, ce qui tient lieu d’histoires, c’est un cours magistral de musique électronique délivré par un flic en slip braillant « Africa !!! » à un otage ligoté dans son salon – joué par Marilyn Manson –, un policier qui trouve 13 000 $ en creusant au hasard dans son jardin pour les perdre presque aussitôt, un autre dealant de la drogue cachée dans des rats morts, un mourant dont la garde passe de policier en policier, tel un cadavre exquis ayant pris la forme d’un cadavre tout court… Après Steak, Rubber et Wrong, le filtre du nonsense bête et malintentionné est plus que jamais réglé à son niveau maximum par Dupieux. Son autre identité, Mr. Oizo, compositeur techno, se taille la part du lion puisque la musique est d’une importance égale à celle des images. Cela fait au moins deux bonnes raisons de l’adorer ou de le détester, au choix.

Lire notre critique de WRONG COPS

 

26 MARS : REAL de Kiyoshi Kurosawa

Et dire que nous nous inquiétions pour Kiyoshi Kurosawa, perplexes que nous étions en mai 2013 de découvrir Real au Marché du film plutôt que dans une des 4 sections cannoises… Le film a depuis été montré, et apprécié, au festival de Locarno durant l’été. Les honneurs se sont succédés pour Kurosawa les mois suivants : Seventh Code a reçu le Prix de la mise en scène au festival de Rome des mains de James Gray et Shokuzai fut célébré une dernière fois par plusieurs revues à l’occasion des tops de fin d’année. Fort de ce regain d’intérêt pour un cinéaste perdu de vue depuis Tokyo Sonata en 2008, Real trouvera sans mal le chemin des salles en mars. Même Hirokazu Kore-Eda ne peut pas se vanter d’avoir vu l’intégralité de ses long-métrages diffusés en France ces dix dernières années. A voir si le tout juste long Seventh Code (1h01), possiblement accompagné du court Beautiful New Bay Area project (29min), trouvera à son tour le chemin des salles en 2014… En attendant, Real est immanquable. Sa densité narrative autant que scénographique ne saurait le dissocier pleinement de l’ambition esthétique de ses derniers films, plus que jamais axés sur le désœuvrement, la désorientation et le vide. Comme dans ses comédies policières des années 1990, ses personnages zigzaguent tels des poulets sans tête dans des espaces gigantesques et déserts. Dans Cure ou Kaïro, son Japon n’était déjà pas très peuplé, mais ses héros sont maintenant passés de l’apathie à l’affolement. En termes d’énergie cinétique et cinégénique, ça change tout.

Lire notre critique de REAL

 

26 MARS : LECONS D’HARMONIE d’Emir Baigazin

Couvrir un festival, c’est faire des choix, y compris des mauvais. A Berlin, nous avons l’habitude de privilégier les sections parallèles à la compétition, non par snobisme – ou pas seulement par snobisme – mais parce que la compétition privilégie historiquement les films à thèse, au détriment de la recherche esthétique et narrative. Ca nous épargne quelques trucs pénibles, mais ça nous vaut malheureusement de passer à côté de très belles choses. Leçons d’harmonie fait partie de ces très belles choses et nous sommes reconnaissants aux festivals français (notamment La Roche-sur-Yon et Les 3 Continents) de l’avoir programmé. Film kazakh, avec pour héros un adolescent qui égorge un mouton dès la première séquence, et pour sujet le bizutage et le rôle du bouc émissaire au sein de tout groupe, Leçons d’harmonie ne dispose a priori pas d’éléments immédiatement qualifiables d’attractifs. C’est pourtant un premier long-métrage dont on peine à croire qu’il est un travail de débutant, tant il témoigne d’un savoir-faire habituellement réservé aux plus expérimentés. Pas l’ombre d’une complaisance, malgré le thème, un onirisme soigneusement entretenu jusqu’au dernier – et superbe – plan du film, quelques mises en perspectives perspicaces (le social et les sciences dures) et parfois glaçantes (les hommes et les lézards, tellement forts ces lézards qu’ils pourraient sortir d’un Werner Herzog) : Leçons d’harmonie ne peut que vous captiver.

Lire notre critique de LECONS D’HARMONIE

 

AVRIL (en blu-ray) : LE CONVOI DE LA PEUR de William Friedkin

On ne l’appelle même plus Le convoi de la peur, son titre français, mais Sorcerer, son titre original, tant il est devenu magique. Ce n’est plus un film qu’a fait William Friedkin. C’est un sceptre que l’on se passe de spectateurs extatiques en spectateurs extatiques, de Venise, lieu de la première mondiale de la projection de sa version restaurée numérique, à la Cinémathèque française, où le réalisateur a fait l’honneur de sa participation plus qu’active au festival Toute la mémoire du monde. Il n’y a rien à jeter dans Sorcerer, pas même sa mise en place que certains continuent de trouver longue et laborieuse. Elle est nécessaire à la psychologie très concrète des personnages, qui ont besoin de s’exprimer dans leur environnement originel pour être compris du public. Friedkin est fin psychologue, mais c’est un psychologue américain. Le mental, il en fait de l’espace et des tensions. Quand on pense au passé alors qu’on ne devrait pas, on regarde une vieille montre et on se plante dans le décor, parce qu’il n’est pas possible de revenir en arrière dans cette histoire de transit de nitroglycérine au coeur de la jungle. Il faut toujours aller de l’avant et se perdre à la manière des grands aventuriers d’Aguirre ou Apocalypse Now. Le convoi de la peur/Sorcerer était jusqu’ici seulement disponible en DVD zone 1, retaillé au format 1.33, parce que Friedkin est un salopard qui voulait réserver le format d’origine au cinéma. Sauf qu’on ne pouvait que très rarement voir le film au cinéma (la Cinémathèque l’avait projeté il y a quelques années). Tout ça, c’est du passé. Le film est là, tout beau, tout propre, et prêt à être vu par des générations qui n’auront jamais éprouvé la moindre sensation de manque à son égard (la vie est cruelle pour les plus vieux).

 

9 AVRIL : COMPUTER CHESS d’Andrew Bujalski

Andrew Bujalski ressentait une certaine frustration à ne pas voir ses films distribués chez nous. La présentation de Computer Chess en compétition à La Roche-sur-Yon 2013, puis l’annonce de sa sortie dans les salles françaises, ont changé la donne. Contre-Allée Distribution serait d’ailleurs même susceptible de s’occuper des trois précédents films de Bujalski… L’homme est d’abord connu pour avoir initié le « mumblecore », une mouvance du cinéma indépendant américain qui fait de plus en plus parler d’elle. L’importance de Computer Chess est toute contemporaine. Son point de départ est des plus excitants. A l’orée des années 80, des programmeurs informatiques se réunissent dans un hôtel pour participer à un tournoi d’échecs opposant l’homme à la machine. Brillante comédie, Computer Chess a l’image d’une VHS usée. Bujalski a utilisé une caméra datant du début des années 70 (la Sony AVC 3260) et donc antérieure au format de nos antiques magnétoscopes. Enfant de Wargames, Dr Folamour nerd qui substituerait l’ordinateur à la bombe atomique, Computer Chess invite à se replonger dans la matrice : revoir 2001, la mère du blockbuster eighties, retourner vers les années 80, l’antiquité du cinéma numérique et d’Internet et, peut-être, qui sait, vers un nouvel horizon critique et théorique.

Lire notre entretien avec Andrew Bujalski

 

16 AVRIL : TOM A LA FERME de Xavier Dolan

Pris par la spirale des projections vénitiennes en septembre 2013, nous n’avions pas saisi l’occasion de parler de Tom à la ferme, le nouveau film de Xavier Dolan. Le jeune prodige québécois, aussi épatant qu’agaçant – c’est le propre des jeunes prodiges – avait fait parler de lui en envoyant un tweet insultant à un critique américain ayant saqué sa nouvelle réalisation, dont il est également l’interprète principal, le producteur, le scénariste et le costumier – c’est le propre des jeunes prodiges. Sur la lagune, le micro-scandale avait occulté un peu trop vite l’impact de Tom à la ferme, thriller prenant, construit autour d’un postulat simple et fort. Tom se rend à la ferme familiale de son compagnon décédé, à l’occasion de ses funérailles, et fait la rencontre de Francis, le frère du défunt, qui entend bien épargner un coming out post-mortem à sa mère, par tous les moyens. Comme attendu, Tom se plie au jeu, le rejette et l’accepte tour à tour, nourrissant une fascination/répulsion réciproque à l’égard de Francis. Par moment, on a le sentiment de n’être pas très loin de Shining, dans cette ferme isolée de tout. A d’autres, on a une fugace impression de gâchis, notamment quand Dolan passe à un faux format Scope lors des accés de violence, pour « faire plus cinéma » de son propre aveux (alors qu’il ne fait qu’attiser la ressemblance avec ces pubs qui se font justement passer pour des extraits de films). Tout le temps par contre, on est bien chez Dolan, dans l’excès, l’audace (une folle scène de danse entre les deux héros) et la performance (le monologue d’un barman).

 

16 AVRIL : LES TROIS SŒURS DU YUNNAN de Wang Bing

Un an et demi après sa présentation à Venise, Les trois sœurs de Wang Bing sort enfin. Rien à voir avec Trois soeurs de Milagros Mumenthaler (le Léopard d’or 2011) et encore moins avec les Trois femmes de Robert Altman. Attention, piège plus retors : ne pas confondre ses Trois sœurs du Yunnan avec Seuls dans les montagnes du Yunnan du même Wang Bing, qui est sensiblement le même film, mais dans une version condensée diffusée sur Arte début 2013, qui ne durait alors plus 2h30 mais 1h20. Si depuis Wang Bing a réalisé une œuvre encore plus colossale (‘Til Madness do us part), le souvenir des Trois sœurs du Yunnan ne faiblit pas. Comme toujours, et comme tout documentariste consciencieux, Wang Bing reste ici en retrait, devenu parfaitement invisible quand il enregistre le quotidien de ces trois enfants livrés à eux-mêmes, pendant que leur père tente de gagner un peu d’argent à la ville. Et c’est pourtant quand sa présence transparait que la représentation du réel se densifie : il gravit une montagne avec elles et son souffle résonne dans le micro, l’apprêté de l’environnement se fait palpable. La rigueur de ses cadres, de ses quelques mouvements de caméra proches de la prescience, fascinent toujours autant. Pour peu qu’un distributeur sorte ‘Til madness do us part d’ici décembre, 2014 sera à coup sûr l’année de Wang Bing.

Lire notre critique des TROIS SOEURS DU YUNNAN

 

30 AVRIL : NIGHT MOVES de Kelly Reichardt

On avait laissé Kelly Reichardt sur les terres désertiques de l’Oregon, pour La dernière piste. Avec Night moves on la retrouve au même endroit, presque deux cents ans plus tard, mais tout a bien changé. Le paysage a été ravagé par l’industrialisation galopante. Dans les pas de ses héros militants écologiques passés du refus soft à la rébellion hard, la réalisatrice s’aventure désormais sur le terrain du pur cinéma de suspense. Night moves est une démonstration éclatante de ses facultés en la matière, se rapprochant du travail de Hitchcock mais aussi de Michael Mann – la prédominance de la nuit (et sa représentation esthétiquement sidérante), l’absence complète d’affects chez des personnages à l’attitude sèchement professionnelle. Pour nous faire voir le monde tel que les personnages le conçoivent, Reichardt s’en remet à sa seule mise en scène. Elle ne nous contraint pas à penser comme eux mais nous permet de les comprendre, tout en laissant intact notre libre-arbitre. Décision précieuse, et ambitieuse, que vient concrétiser une réflexion constante sur le point de vue. Qui regarde et, partant de là, comment ce regard influe sur le contenu objectif de la scène, sont les questions qui façonnent les scènes les plus intenses de Night moves, Grand Prix au festival de Deauville 2013.

Lire notre critique de NIGHT MOVES

 

30 AVRIL : JOE de David Gordon Green

Prenez une carte routière du cinéma. Tracez un trait entre Killer Joe, de William Friedkin, et le précédent long-métrage de David Gordon Green (sorti il y a quelques mois à peine) Prince of Texas. Exactement au milieu de ce trait se trouve Joe. La bonté héritée de Prince of Texas est l’antidote qui permet de retirer le « killer » de Killer Joe, le venin du cynisme  dans lequel le film de Friedkin finit par se noyer. Joe est bien à sa place dans l’œuvre de Green, où il est souvent question de panser les plaies apparentes, cicatriser les blessures profondes, rassembler les morceaux pour repartir de l’avant. Ici le rôle de passeur entre l’enfer et la salvation revient à Nicolas Cage, choix naturel étant donné la coexistence chez lui d’une part sombre et d’une autre lumineuse. Il évolue effectivement comme un poisson dans l’eau au sein de cet univers déglingué (où certains découpent un cerf dans leur salon, et d’autres vous attendent à la sortie du bar pour vous aligner sans sommation au fusil à pompe), mais pour une fois, un autre que lui endosse le costume de pire des démons. Cet autre, c’est un non-professionnel (comme la plupart des acteurs de Joe), un certain Gary Poulter. Seul David Gordon Green doit connaître la proportion, dans l’interprétation fournie par celui-ci, entre ce qui relève d’un don de comédien et de sa nature profonde. Le mystère restera entier, car Gary Poulter est mort en mars dernier. Seul reste ce rôle dont l’étrangeté, la bestialité, la noirceur dépassent l’entendement. Face à lui Nicolas Cage devient le guérisseur, le bienfaiteur qui prend sous son aile le jeune héros joué par Tye Sheridan – lequel, après Tree of life et Mud, poursuit son beau parcours (et a reçu à Venise le prix Marcelo Mastroianni du jeune acteur).

Lire notre critique de JOE

 

JUIN : UNDER THE SKIN de Jonathan Glazer

Les réseaux sociaux et les magazines people s’en sont faits les relais presque sans le savoir, en diffusant les clichés d’une Scarlett Johansson se vautrant lamentablement sur le trottoir d’une ville d’Ecosse. Scarlett bourrée, Scarlett maladroite, Scarlett habillée tapin qui fait n’importe quoi… Il s’agissait bien de photos volées, mais sur le tournage du film de Jonathan Glazer. La chute en question était écrite, pas les réactions des passants, pas au courant de ce qui allait se passer au cours de cette scène tournée quasi-clandestinement. Enfin, aussi clandestinement qu’il est possible de tourner avec une star mondialement connue, mais permanentée en brune et habillée en fin de stock de friperie… Ce qui est amusant concernant cet abus de la presse people, c’est le pied de nez que fait à cette dernière Johansson dans le film, lorsqu’elle pose longuement devant un miroir, toute nue, montrant en même temps ses fesses et ses seins, lors d’un moment n’ayant rien à envier au selfie qui fit sensation il y a une éternité sur les réseaux. Offrir à Mr Skin l’une de ses plus belles prises n’est évidemment pas le seul mérite d’Under The Skin, plastiquement le film le plus épatant vu à Venise en 2013 (avec Les chiens errants de Tsai Ming-Liang), prolongeant dans la science-fiction le mystère de l’identité et le magnétisme contre-nature qui faisaient le sel de Birth, le précédent long de Glazer, il y a 9 ans. Qui est Scarlett dans Under The Skin ? Une extraterrestre tombée des étoiles, une star de cinéma (ce qui est peu ou prou la même chose étymologiquement), une Méduse capable de pétrifier ceux qui la contemple. Tout cela à la fois et c’est ce qui fait de ce film assurément l’un des plus fascinants de 2014.

Lire notre critique de UNDER THE SKIN

 

Article écrit par Christophe Beney, Hendy Bicaise, Camille Brunel, Erwan Desbois et Nathan Reneaud.

 

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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