MUD – SUR LES RIVES DU MISSISSIPPI de Jeff Nichols

La rencontre entre un adolescent et un fugitif échoué sur une île du Mississippi. Entre fantasmagorie et romanesque : une magie qui n’opère qu’à moitié. 

Jeff Nichols n’a que 34 ans et l’essentiel de sa filmographie devant lui. Néanmoins la pente descendante suivie par ses trois premiers longs-métrages fait germer à son égard un léger début d’inquiétude, que l’on espère voir vite dissipé. Son coup d’essai Shotgun stories était une merveille. Puis Take Shelter, encore excellent et impressionnant à plus d’un titre, arborait certaines failles mineures et presque sans conséquences – essentiellement ces pistes d’élargissement de l’histoire amorcées par le cinéaste, puis laissées en jachère. Le cas de Mud est plus ennuyeux, car c’est toute la structure du film qui est à la peine. L’entrée dans le récit est pourtant des plus belles. Il suffit à Nichols d’une poignée de plans vifs et lumineux pour installer une scène de rêve : un fleuve immense, une île mystérieuse, un bateau échoué au sommet d’un arbre. Les personnages que l’on croise sont taillés dans la même étoffe idéalement romanesque : d’une part Ellis et Neckbone, deux adolescents intrépides et un peu sauvages, prêts à partir à l’aventure ; face à eux Mud, figure quasi irréelle, qui ouvre précisément la porte à une telle équipée.

De son patronyme symbolique à son lieu d’existence (le bateau évoqué plus haut, dont l’approche requiert le franchissement d’un fossé aux serpents), tout rattache Mud à l’univers des contes. Il pourrait bien être un ogre, un sorcier, ou même les deux à la fois. Dès sa première apparition/disparition, sur la plage, la réalisation de Nichols se range à cette approche fantasmagorique. Gardant par la suite cet esprit, elle rend envoûtant ce qui se niche dans les marges (qu’il s’agisse des fabuleux plans larges de paysages sauvages, ou du bizarre scaphandre bidouillé par l’oncle de Neckbone) et, par ricochet, trahit la fadeur de tout ce qui fait la norme. Parce qu’elle est repoussée loin du début du film, après une dizaine de minutes passées en immersion sur le Mississippi, la première sortie en ville fait l’effet d’une expédition en terre inconnue et hostile ; pourtant les lieux et visages qui défilent sous nos yeux sont d’une grande banalité, rendus familiers par des décennies de chroniques américaines. Le renversement de point de vue orchestré par Nichols fonctionne pleinement. Et aussi longtemps que sa mise en scène nous sert de seul guide, le charme trouble de Mud se perpétue et maintient son étreinte.

La logique du conte prévaut alors. On avance sans savoir vers où, partageant l’ivresse et la découverte de l’inconnu des deux jeunes héros. Le brouillard se dissipe juste devant nos pieds, jamais très loin, et laisse apparaître des scènes aussi séduisantes qu’inquiétantes. Mais au lieu de s’enfoncer plus en avant dans cette voie, Nichols opte pour un changement de direction qui assèche son film. Soudain désireux de tout expliquer des vies et des raisons de ses personnages, le cinéaste empile des blocs de récit transparents et stériles. Transparents, parce recourant à des clichés narratifs fatigués et mal amenés – exemple parmi d’autres, la milice aux trousses de Mud, qui surgit de nulle part et paraît aussi hors-sujet, factice que la fusillade qui scellera cette sous-intrigue. Stériles, car le seul accord entre ces histoires réside dans une morale au final peu sympathique. Toutes les femmes du film brisent le cœur d’un homme qui n’a rien fait pour mériter pareille peine, au contraire même. À elles trois, elles couvrent une grande variété d’âges et de situations de couple ; ce qui donne à l’exposé de Nichols l’air de vouloir énoncer une vérité absolue quand il ne s’agit en fait que d »une attaque gratuite et abusive, et la manifestation la plus saillante du mal qui ronge Mud : dès lors que l’écrit y prend le pas sur le visuel, l’intrigue sur la pure mise en scène, le film s’embourbe.

MUD – SUR LES RIVES DU MISSISSIPI de Jeff Nichols (Etats-Unis). Avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Jacob Lofland, Reese Witherspoon, Sam Shepard. Durée : 2 h 10. Sortie en France : le 1er mai 2013. 

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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