WRONG COPS de Quentin Dupieux
Dans Wrong Cops, présenté notamment en avant-première (hors compétition) à Deauville et à Strasbourg 2013, Quentin Dupieux met sa musique détraquée au centre de son cinéma détraqué. Devinez comment est le résultat ?
Pas de saut en avant dans le temps comme Steak, pas de pneu soudainement doté d’une conscience et de pouvoirs psychiques comme Rubber, pas de mise sens dessus-dessous des lois de la physique comme Wrong, Wrong Cops est à ce jour le long-métrage le plus normal de Quentin Dupieux. Tout y reste de l’ordre du possible, plus que du surréalisme. C’est une première rupture, qui ne l’empêche pas de rester à des années-lumière de ce que les gens qui se pensent normaux définissent comme étant la normalité. Deuxième écart : bien que toujours armé de sa mini caméra numérique qui révèle la laideur extérieure de la Californie pavillonnaire, et de ses inspirations narratives qui mettent à nu la laideur intérieure des personnages qui la peuplent, Dupieux s’élance ici sur une idée de personnages et non de récit. C’est d’ailleurs la crainte qui point au début du film – il n’y a pas d’histoire. En fait il y a des histoires, certes toutes petites mais bien suffisantes pour que Wrong Cops tienne sa courte distance (1h20 générique compris). Dupieux les agence de manière à briser la routine du film à sketches : les personnages croisent leurs bribes d’intrigues, voire se refilent sans prévenir. Ainsi cet homme mourant dont la garde passe de policier en policier, tel un cadavre exquis ayant pris la forme d’un cadavre tout court. Les titres des films de Dupieux ont toujours été aussi succincts qu’explicites, et Wrong Cops ne fait pas exception. Il ne traite que de cette figure récurrente de son cinéma que sont les flics « mauvais », dans tous les sens possibles : mauvais en esprit, en compétences, en intentions, en rapports humains.
Ces antiflics, comme il y a de l’antimatière, forment une base comique féconde et parfaitement compatible avec une greffe du nonsense cher au cinéaste. Un tel trouve 13000$ en creusant au hasard dans son jardin (pour les perdre presque aussitôt), un autre deale de la drogue dans des rats morts, et tous passent plus de temps à disserter sur la musique électronique qu’à faire leur travail. La musique, c’est l’autre élément toujours bien placé chez Dupieux – il la compose lui-même, sous son nom de scène Mr. Oizo – qui se voit ici enfin promu à une place centrale. Elle est l’œil de ce cyclone intenable, déjanté, mal élevé qu’est Wrong Cops. Entre deux éclats de rire purement absurdes le film établit la musique comme un sujet à part entière et non un simple accompagnement, aussi entraînant soit-il. Les personnages ne peuvent s’en passer (le fameux mourant y trouve même le moyen de repousser sans cesse l’échéance), ils l’écoutent en poussant à fond le volume de leur autoradio ou de leur sound system, et la considèrent avec le plus grand sérieux : la plupart s’affichent comme mélomanes calés sur le sujet voire comme apprentis compositeurs. D’où des débats passionnés et des réactions viscérales – un peu comme dans un festival de cinéma, en somme –, mais qui sont toujours traités à travers le filtre d’un humour absurde et malintentionné. Ce qui se rapproche le plus d’un cours magistral d’électro est ainsi délivré par un flic en slip braillant « Africa !!! » à un homme qu’il retient en otage dans son salon (joué par Marilyn Manson)… Même quand il combine les deux pratiques artistiques qui lui tiennent à cœur, Quentin Dupieux reste ainsi avant tout, et en toute chose, détraqué. Surtout, qu’il ne change pas.
WRONG COPS (USA, 2013), un film de Quentin Dupieux, avec Mark Burnham, Eric Judor, Arden Myrin, Marilyn Manson, Steve Little, Eric Wareheim. Durée : 80 minutes. Sortie en France le 19 mars 2014.