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Un premier film à la lisière du drame social et du conte fantastique, qui se permet de convoquer l’esprit de Terrence Malick et de Moby Dick et parvient à s’en montrer digne : cela s’appelle une brillante révélation.
Après une sélection 2012 en demi-teinte, la Semaine de la Critique 2013 comporte déjà au moins deux perles, For those in peril s’ajoutant à Salvo montré le premier jour. Comme les deux réalisateurs italiens de ce dernier, l’écossais Paul Wright frappe un grand coup dès son premier long-métrage, fort d’une hardiesse et d’une tenue sensationnelles. Son sujet est pourtant aussi concis que classique : le naufrage d’un bateau de pêche qui ne laisse qu’un unique survivant, un adolescent dont le grand frère était également à bord. Mais For those in peril s’engage sur la voie de la grandeur en tournant complètement le dos au deuil en toc de télévision, façon rubrique des faits divers ou soap-opera. Wright va aller gratter là où la réalité fait vraiment mal, dans l’impossibilité d’oublier ce qui a été perdu, dans le déni qui tourne à la folie. Aaron, le jeune et fragile héros, se retrouve écrasé entre le marteau et l’enclume. Brutalisé de l’extérieur par le rejet de tout le village à son encontre, il est de plus dévasté intérieurement par le vide ayant pris la place du rapport fusionnel qu’il entretenait avec son frère.
C’est essentiellement dans cette seconde direction, introspective, que va forer le film. Le ressentiment des autres envers Aaron opère comme une cloison qui l’empêche de s’échapper à lui-même, qui le renvoie seul à seul face à son aliénation grandissante. Dans sa première partie, For those in peril convoque rien de moins que l’esprit de Malick pour présenter la recomposition fiévreuse du paysage mental de son héros. À la manière de Tree of life, les principales énergies agissantes sont la force brute du paysage environnant, la hantise des souvenirs qui refusent de s’estomper, le murmure des voix-off qui enveloppe les images. Toutes s’agrègent et forment une perception nouvelle qui, aux yeux d’Aaron et aux nôtres, se substitue progressivement à la réalité dont elle annule les contrastes. À travers les allées et venues entre les scènes au présent et les images des films de famille d’Aaron et de son frère, hier et aujourd’hui dialoguent comme s’ils formaient une seule temporalité, sans séparation. De la même manière, le naturalisme authentique de la description de la vie du village et le symbolisme de plus en plus prononcé des hallucinations du héros s’entremêlent sans mal, créant une trame narrative chimérique et qui pourtant nous apparaît tout à fait cohérente.
Affaibli et isolé, Aaron se lance à corps perdu dans la seule voie offrant l’espoir d’une issue. C’est une légende pour enfants du port de pêche, dans laquelle une figure de monstre marin engloutit les hommes tant qu’un héros ne le trucide pas. For those in peril vire alors crânement vers l’histoire de Moby Dick, sans rien délaisser de ses qualités antérieures. La puissance plastique du film se redouble de l’intensité dramatique tirée du conte merveilleux pris au premier degré, dans toute sa majesté. Les deux continuent à croître de concert, la folie du personnage nourrissant les visions irréelles proposées par le film et celles-ci enfonçant toujours plus loin en nous le clou de cette démence. Le dénouement est le paroxysme de ce cheminement ensorcelé, avec une bascule définitive vers le fantastique, foudroyante dans les horizons nouveaux qu’elle ouvre et déchirante de par sa beauté. Paul Wright semble savoir déjà tout faire, y compris écrire de superbes personnages : son héros dégage une aura de fragilité et de candeur incroyable, les rôles secondaires (vivants et spectraux, doux et mauvais) sont tout aussi forts.
FOR THOSE IN PERIL (Ecosse, 2013), un film de Paul Wright. Avec Kate Dickie, George MacKay, Michael Smiley, Nichola Burley. Durée : 84 min. Sortie en France le 12 février 2014.