REAL de Kiyoshi Kurosawa

Cinq ans après Tokyo Sonata (Prix du jury Un Certain Regard), Kiyoshi Kurosawa a fait un retour surprise à Cannes en 2013 : son dernier film n’était visible dans aucune section, mais seulement au Marché du film. Real est pourtant l’un des plus atypiques et ambitieux Kurosawa, un retour aux origines de toute fiction, heureusement sélectionné à Locarno 2013.


REAL de Kiyoshi KurosawaIl y a une quinzaine d’années, Kiyoshi Kurosawa met en scène License to live, l’histoire bouleversante d’une jeune homme qui se réveille à 24 ans, après dix années passées dans le coma. La monde a changé et son cocon familial volé en éclats. Vers la fin du film, la mort prématurée du garçon laisse planer le doute : a-t-il seulement rêvé cette parenthèse ? Kurosawa unit coma, mort et rêve : ce qui compte, c’est l’éveil, le passage d’un état à un autre, la remontée des profondeurs vers la surface. Dans Real, c’est toujours cette frontière qui l’intéresse. Lorsque Atsumi tombe dans le coma, Koichi accepte d’expérimenter une nouvelle technologie qui lui permet de pénétrer l’inconscient de sa fiancée. A la fin de chaque séance, Koichi retrouve la surface, le monde réel. Depuis son inconscient, Atsumi le guide : pour la délivrer de sa torpeur, il doit trouver un mystérieux dessin qu’elle avait croquée dans son enfance. Au-delà du vecteur sentimental de la quête, le choix de l’illustration n’est pas hasardeux : c’est un plésiosaure, créature préhistorique qui pouvait aussi bien vivre au-dessus qu’au-dessous du niveau de la mer. Une fois à l’écran, le dessin met en exergue cette particularité de l’animal, par un trait qui délimite la surface de l’eau. La frontière entre les deux mondes, terrestre et subaquatique, répète l’opposition surface / profondeur, de la vie et des songes. Les secrets enfouis finiront, eux aussi, par remonter et s’exposer.

Ce qui intéresse le plus Kurosawa, ce sont moins les deux espaces que la frontière qui les empêche de se confondre. Et plus précisément encore, c’est la matière qui la compose. C’était déjà le cas en 2001, dans Kaïro, quand les morts et les vivants n’étaient plus séparés que par de simples scotchs rouges appliqués sur toutes les embrasures de portes. Le moyen de stopper la contamination était devenu une arme, le dernier geste d’entraide de l’humanité avant son extinction. Dans Real, la délimitation est protéiforme : vitres, pare-brises, bâches, voiles, brouillard, etc. Avec, là encore, de l’autre côté, un monde des morts et de solitudes : des inconscients à délivrer, des parents abandonnés, des semblables mortifiés, qui errent sans but, presque palpables mais inatteignable. Un univers profond s’oppose à un univers plat, comme dans cette scène durant laquelle Koichi rend visite à sa mère et voit des passants déambuler dans le reflet de la porte-miroir de sa maison. Y sont-ils emprisonnés, comme les suicidés de Kaïro dans leurs écrans d’ordinateur ?

Takeru Satoh et Haruka Ayase dans REALLa matière-même de Real, de son enregistrement, s’affiche comme nouvelle limite : lorsque l’univers des morts entre en contact avec Koichi, un zoom réalisé en post-production dévoile le grain de l’image. Quant aux écrans qui les tiennent à distance, ces voiles et fumées, blancs et opaques, ce sont autant d’écrans de projection. Pourtant, Kurosawa n’a jamais cherché à discourir sur le cinéma dans ses films, et ne commence pas ici. Ce dont parle Real, ce sont des possibles de l’imagination, de l’esprit humain comme premier théâtre de la fiction. Koichi voyage dans l’imaginaire de sa fiancée, et devient le spectateur de ses pensées. Il regarde des ombres chinoises s’animer derrières des voiles, il observe une ville se lisser sous ses yeux, comme une peinture soudainement aspergée d’eau. Une troisième dimension qui disparait, des personnages muets, sans couleurs, des voiles de fortune pour les laisser s’exprimer, le tout sous la menace du retour d’un dinosaure : dans sa reconquête de l’art primitif, Kurosawa se veut jusqu’au-boutiste.

Le spectateur revient de loin quand le film s’achève. Pour lui, c’est la dernière remontée à la surface, avec pour frontière entre les deux mondes la fraction de seconde qui sépare le fondu au noir de la première mention du générique. Puis vient l’éveil.

REAL (Riaru : Kanzen naru kubinagaryû no hi, Japon, 2013), un film de Kiyoshi Kurosawa, avec Takeru Satoh, Miki Nakatani, Joe Odagiri, Kyoko Koizumi. Durée : 127 min. Sortie en France le 26 mars 2014.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

Articles: 307