ANDREW BUJALSKI : « Le mumblecore, c’est d’abord une blague très drôle que j’ai racontée à un journaliste »

Adulé chez lui, ignoré chez nous. On se serait presque excusé auprès de Bujalski de ne pas avoir vu ses films précédents. La raison en est simple. Aucun n’a été distribué en France. Ni Funny Ha Ha, son premier long métrage, qu’on dit fondateur de la mouvance « mumblecore ». Ni Mutual Appreciation, ni son avant-dernier Beeswax qui fut présenté à Berlin en 2009. La seule fois où un film de Bujalski a été montré en France c’est en 2006, au Festival Hors Ecran de Lyon. Il s’agissait d’une séance spéciale de Funny Ha Ha. Ce sujet a été rapidement évoqué avec le cinéaste, qui n’en prend pas ombrage mais aimerait bien faire connaître son travail au pays de la cinéphilie. La sienne est celle d’un « movie nerd » qui signe une comédie kubrickienne brillante sur les débuts de l’ère digitale.

Aux États-Unis, on dit que vous êtes le parrain du mumblecore. C’est un mot qu’on entend et qu’on lit de plus en plus sans savoir précisément de quoi il s’agit. Pouvez-vous nous en donner une définition ?

Andrew Bujalski Je suis probablement la pire personne à qui poser cette question. Disons que c’est une étiquette qu’on nous a collée rétroactivement. Ni moi ni les autres réalisateurs n’en avions conscience de ça, nous ne disions pas faire partie du mumblecore. À l’origine, c’était une blague faite par mon mixeur, Eric Masunaga, que j’ai trouvée drôle et répétée à un journaliste.  Ça a eu une résonance incroyable dans le monde entier. Je vous parle à vous, qui êtes français, et j’en ai aussi parlé à un Polonais, un Italien… tous connaissent ce mot  ! C’est amusant. Quelle qu’ait été la portée de mes films, la portée du mot en tout cas a été incroyable. Des gens partout sur la planète le connaissent et ont au moins une petite idée de ce qu’il veut dire. Il n’y a pas réelle définition, c’est une blague, mais ça a été incroyable de constater le pouvoir de ce concept. Je ne sais pas ce qu’il veut dire. Je le lis régulièrement dans les journaux, et j’ai l’impression que récemment il a été utilisé de manière péjorative : «  des dialogues assommants entre bourgeois blancs  », ce genre de choses. Une façon plus sympa d’en parler serait l’idée d’un «  back to basics  », d’un cinéma de la communication, et aussi d’un rejet, ou du moins une résistance au cinéma «  méta  », autoréférencé. Très peu des films du mumblecore parlent du cinéma en lui-même.

Pouvez-vous nous parler du Austin Film Festival, où le mumblecore est en quelque sorte né  ?

En 2005, je présentais un film là-bas, tout comme Joe Swanberg et les frères Duplass. C’est le moment où les blogs ont commencé à repérer des points communs entre tous ces films. Bien sûr si l’on regarde ces films, ils sont tout de même très différents. En fait, les différences entre ces films sont leurs parties intéressantes, et si on regarde notre œuvre depuis, il est évident que nous sommes partis dans des directions différentes. J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour eux et je reste très intéressé par leur travail.

Le projet Computer Chess a été proposé sur le site usaprojects.org afin de trouver des financements directement auprès du public. Pourquoi ce choix ?

C’est une possibilité qui n’existait pas il y a quelque années et ça a explosé dernièrement, tout le monde sait de quoi il s’agit. Les gens ont bien réagi et on a été très contents de travailler avec USA Projects, ils nous ont beaucoup aidés. Ça a très bien marché pour nous. J’étais très nerveux, je voulais être prudent sur les questions d’argent pour ce film, parce que c’est un film qui commercialement est limité, trop risqué, trop étrange (même si les retombées sont déjà beaucoup plus grandes que ce que j’aurais imaginé). Mon film précédent, Beeswax, avait coûté très peu d’argent mais était quand même le plus cher que j’ai fait. Malheureusement, c’est aussi celui qui a le moins rapporté. Je reste «  hanté  » par ça. Je n’avais pas réalisé le film avec l’intention de faire de l’argent, et je n’ai pas été surpris de son insuccès. Cependant, il reste important pour moi de respecter la foi qu’ont placé en nous les investisseurs. Je suis donc attristé par l’argent qui nous reste encore à gagner sur Beeswax. Donc, pour Computer Chess, je voulais être prudent et avoir le budget le plus petit possible. Au final, on a obtenu environ un tiers de notre budget par le crowdfunding. Et c’est de l’argent que nous ne devons à personne. Pourtant, c’est quelque chose que je n’aime pas trop : demander la charité, «  s’il vous plaît, filez-nous cent dollars, et on ne vous les rendra pas.  » J’en avais besoin, mais je n’aime pas beaucoup ce sentiment, surtout parce qu’on propose ça le plus largement possible, et il y a des inconnus, des gens dont on a jamais entendu parler qui sont généreux avec nous. Je leur suis très reconnaissant d’avoir donné vingt dollars. Mais il y a aussi des gens sur cette liste qui ne sont pas des inconnus. Ce sont des amis, des oncles, des tantes, et je me sens un peu coupable de leur demander de l’argent, je ne devrais pas avoir à le faire.

Comment vous est venue l’idée de parler des années 80 et des débuts de l’ère numérique, du fait que nous sommes désormais accros aux ordinateurs ?

COMPUTER CHESS d'Andrew BujalskiLes ordinateurs étaient déjà très présents dans nos vies quand j’étais enfant. À l’époque décrite par le film, j’étais très jeune mais j’avais déjà cette fascination pour les ordinateurs, comme nous tous je pense. Je me souviens étant enfant, le premier ordinateur que nous avons eu – j’avais réussi à faire des choses comme inscrire mon nom cent fois sur l’écran, et c’était tellement satisfaisant, tellement excitant. Parfois aussi, la machine était pénible, lente, j’avais envie de tout casser. Mais malgré ces limites, c’était tout de même immédiatement fascinant. Dès que les ordinateurs sont arrivés dans nos vies, on a été accros, avant même qu’il y ait de quoi être vraiment accro. J’ai grandi avec ça. Par rapport au film lui-même, il est difficile pour moi de reconstruire les choses. Avant de savoir quoi que ce soit d’autre, je savais que je voulais tourner avec une petite caméra vidéo. Et j’ai essayé d’imaginer le film qui ferait sens par rapport à ça, l’histoire qu’il faudrait raconter avec ces images-là. Et il m’a semblé cohérent d’utiliser cette technologie du passé pour parler de technologies du passé. De la même manière que cette caméra fonctionne encore aujourd’hui, les thèmes philosophiques du film sont encore pertinents aujourd’hui. On peut obtenir avec elle de magnifiques images, que plus personne n’utilise car ce n’est plus l’époque, le monde est passé à autre chose. Mais il y a toujours de la beauté là-dedans.

Limage du film fait penser à celle dune vieille VHS, cest très eighties. Vous vouliez demblée tourner en noir et blanc ?

La caméra date en fait d’avant la VHS. C’est bien aux caméras de cette époque que j’ai pensé. On a tourné avec un modèle de caméra datant du début des années 70 – la Sony ATC 32-16 qui est sortie originellement en 1969. C’est plus tard dans les années 70 qu’ils ont sortis des caméras couleur de ce genre. Mais les images dont je rêvais étaient celles de caméras noir et blanc. Elles ont une beauté plus particulière, plus étrange et plus fantomatique à mes yeux. J’ai pensé à un grand photographe américain, William Eggleston qui travaillait avec une caméra Sony noir et blanc et a filmé plein de personnages fascinants et bizarres à Memphis. Et une vingtaine ou une trentaine d’année après, ce travail a été édité sous le titre Stranded in Canton (ndlr : http://www.egglestontrust.com/stranded_in_canton.html). J’en ai vu quelques extraits qui m’ont fasciné. Peu de gens connaître cette partie de son œuvre, mais tous ceux qui l’ont vu ont été fascinés. Il a été d’une grande influence sur moi.

Aimez-vous le cinéma américain des années 80  ? Notamment War Games, auquel on pense inévitablement en voyant votre film. Le début du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui se trouve dans les eighties le personnage de David Lightman dans War Games est une sorte de prototype de Mark Zuckerberg. Est-ce que cela vous a influencé ?

J’étais enfant à l’époque et j’adorais ça, j’adorais War Games. J’ai toujours été un fou de films, et toujours eu envie de faire du cinéma. Certains cinéastes viennent d’un autre monde, ils ont fait autre chose avant de venir au cinéma et ça leur apporte des perspectives que n’ont pas les autres, ce que j’ai toujours envié. Mais à l’époque, enfant, je n’avais pas conscience qu’il y avait quelque chose au-delà du cinéma commercial hollywoodien. Mais j’adorais ça, tous les blockbusters. Star Wars évidemment, Star Trek, Rocky, Tron, Conan le barbare. Ce sont des films qui ont beaucoup compté pour moi et sont toujours dans un coin de ma tête.

À propos des aspects kubrickiens de votre film  : au moment du scénario ou du tournage, avez-vous pensé par exemple à Docteur Folamour ou 2001  ?

2001, forcément, un peu. À un moment, nous avions un échiquier et nous devions disposer les pièces d’une manière ou d’une autre. Ça2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE aurait pu être n’importe quoi, mais j’ai pensé à la partie d’échecs auquel HAL l’ordinateur et l’astronaute jouent dans 2001, que bien sûr tous les nerds de l’internet ont analysé de près. C’est simplement une petite blague entre nous, je ne m’attends pas à ce que quiconque s’en aperçoive. Dans 2001, il y a un mystère, un effroi. En tant que «  movie nerd  », j’aime les films dans lequel on peut se perdre, sur lequel on peut rédiger une exégèse de quarante pages sur internet, analyser chaque plan, chercher des indices. Même si c’est un peu stupide et que ce n’est pas, au fond, ce que recherchent ces films, c’est très amusant. Et j’aime l’idée de faire un film qui puisse vivre de cette manière. J’ai l’impression qu’il y a assez de choses bizarres dans Computer Chess pour que quelqu’un dans sa cave qui veuille passer du temps à la recherche de  détails et d’indices puisse le faire. Dans le film, il y a ce mystère, cet effroi, ce sentiment d’une menace. Mais là où je me distingue en quelque sorte des nerds, c’est que je ne crois pas qu’il y ait une réponse. Je ne crois pas qu’un film de David Lynch soit simplement un puzzle à recomposer – c’est une expérience à savourer. Personnellement, j’aime les mystères en tant que mystères, pas comme des puzzles. Au contraire de cette école de pensée qui imagine «  craquer  » le code des films et y trouver quelque chose de supérieur. C’est pour cela que j’aime Brian De Palma  : l’une de ses obsessions semble être de faire exploser ce genre d’idées. J’adore De Palma parce que souvent, il construit un mystère incroyable qui se dégonfle dans les cinq dernières minutes, ce qui fait enrager une partie du public. Mais moi, cela m’amuse et me plaît beaucoup.

L’action se déroule dans un hôtel, et il y a un personnage à la fin qui mentionne la chambre 217, soit la chambre interdite dans Shining, le roman, pas le film.Il faut que nous reformulions notre question : Computer Chess est-il un film-hommage à Kubrick 

Ce n’était pas une référence directe. Mais encore une fois, c’est parfait si vous l’interprétez de cette manière.

COMPUTER CHESS d'Andrew Bujalski

Dans le plan avec l’échographie, quand lun des programmeurs informatiques parle du bébé qu’il a vu sur l’écran, nous l’avons interprété comme une version «  low-fi  » du bébé à la fin de 2001, un hommage très amusant.

Inconsciemment, c’est évident que c’est venu de là. Il y a aussi que ma femme était enceinte au moment de l’écriture, donc c’est venu également de là, j’ai passé beaucoup de temps à regarder des échographies. Mais évidemment, ça m’est venu à l’esprit pendant le tournage : «  ah oui, c’est 2001  !  ».

Dans le film, les personnages parlent de la Troisième Guerre Mondiale. Encore War Games  ?

Je n’y ai pas pensé de cette manière, c’était plutôt en référence à cette idée qui était dans l’air à l’époque, cette paranoïa liée à la Guerre Froide. C’est intéressant de voir qu’on ne parle plus vraiment de Troisième Guerre Mondiale de nos jours. Ce n’est plus une peur très présente. Je ne sais pas très bien pourquoi, j’imagine que la peur concerne maintenant davantage des actes de terrorisme plus ciblés, une bombe qui exploserait à un endroit particulier etc. Mais dans ma jeunesse, la Troisième Guerre Mondiale était une peur assez répandue. Je ne pouvais pas évoquer cette époque sans aborder ce sujet.

Pensez-vous que cette guerre soit davantage mentale, psychologique, entre l’homme et l’ordinateur ou la machine ?

Si on prend cela littéralement, c’est Terminator ! Et figurativement, c’est en effet notre vie quotidienne. À quel point sommes-nous dépendants des machines ? Difficile à mesurer. Nous pensons être toujours maîtres de nos âmes, mais qui sait  ?

Dans une chambre d’hôtel, le plus jeune programmateur joue avec une des consoeurs et lui dit  «  make a move on your own  ». Est-ce simplement une formule de joueurs d’échec ou vous cherchez à dire quelque chose sur notre dépendance à un deuxième cerveau ?

La jeune femme avec laquelle le programmateur joue entre le coup qu’elle veut faire dans son ordinateur et attend sa réponse, et il a cette inspiration : «  n’écoute pas la machine, tu es humaine, regarde l’échiquier et décide par toi-même.  » Il lui demande d’ignorer la machine et veut voir comment elle réagira. J’imagine que ça s’applique à notre époque, au XXIème siècle. Est-ce qu’on peut décider où aller manger ce soir sans faire une recherche Google ? Je ne sais pas.

Pourquoi avoir choisi de tourner quelques scènes en couleur 

À un moment, on a fini par céder à tous les instincts, classiques ou avant-gardistes, qu’on a eus. Il y a une longue tradition de films en noir et blanc avec quelques séquences en couleur – comme dans Raging Bull, je crois, et dans Nola Darling n’en fait qu’à sa tête. Mon préféré de tous les temps est Femmes, un film de George Cukor de 1939. Il y a une scène incroyable où elles se rendent à un défilé de mode, et il y a tout à coup ces couleurs merveilleuses. C’est très étrange et très beau. Je pense qu’en tournant un film expérimental en noir et blanc, il est presque inévitable d’en venir à se demander si on va utiliser ce truc de la couleur. Je n’ai pas pu y résister. Dans le film, cette séquence en couleurs a lieu la seule fois où les personnages quittent l’hôtel. Dans tous les cas, le sentiment aurait été très différent du reste du film, et j’ai aimé l’idée d’insister sur cette différence. Ce qui a été particulièrement intéressant et amusant à ce propos pour moi, c’est que souvent le passage à la couleur représente l’irruption de la vie, la fraîcheur, la nouveauté. Mais dans ce cas-là, nous sommes au contraire allés dans le passé, nous avons utilisé des caméras encore plus anciennes que celle des scènes en noir et blanc, une technologie des années 30. J’aime le fait que dans Computer Chess la couleur et la chaleur représentent le passé. Le personnage se rend dans une maison qui le ramène à son enfance, c’est le seul moment où on quitte l’hôtel qui représente le monde nouveau.

Pouvez-vous nous parler de ces personnages loufoques qui font une thérapie collective ? Peut-on parler dune secte ?

On ne l’a pas défini très clairement, mais c’est l’idée d’un «  groupe de rencontres  », un phénomène qui s’est beaucoup développé dans les années 60 aux USA. Cela consistait à rassembler des gens pendant plusieurs jours et à les forcer à interagir – souvent ils dormaient très peu – pour les faire découvrir des vérités sur eux-mêmes qu’ils n’auraient pas connues normalement. C’était notre modèle, mais on a modifié des choses. On en a fait une thérapie de couple, on a inventé le personnage du gourou. Ce n’est pas totalement religieux, mais il y a bien une approche religieuse. Ce n’est pas un psychothérapeute ordinaire. En fait, dans les années 80, ce genre de pratique existait certainement encore mais de manière différente. Ce que j’ai surtout aimé, c’est le contraste avec le monde des ordinateurs. Mais il y a des points communs  : l’un des personnages dit « ici  nous sommes tous des chercheurs.  » Les informaticiens essaient de construire une intelligence artificielle, ce qui est une quête étrange, mais qui au fond est aussi une manière de chercher à se comprendre soi-même. On tente de créer un esprit artificiel afin de l’étudier et de comprendre mieux son propre esprit. Le groupe de rencontres a des méthodes et des philosophies complètement différentes, mais un but similaire. Les informaticiens regardent l’ordinateur pour se trouver eux-mêmes, les couples se regardent dans les yeux pour se trouver eux-mêmes. Il y a beaucoup d’humour dans ce contraste.

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Avez-vous rencontré des informaticiens, des programmeurs, pour préparer le film ?

Beaucoup des acteurs sont informaticiens. La plupart ont au moins une petite connaissance dans le domaine. Gordon Kindlmann qui joue le professeur Schoesser est enseignant-chercheur à Chicago  ; James Curry qui joue Carbray, le programmeur britannique, est concepteur des jeux vidéos. Ils connaissent donc très bien ce monde et ce langage, et ils ont pu les rendre vivants de manière plus efficace que si j’avais simplement écrit quelque chose en faisant des recherches sur Wikipédia. Ça n’aurait pas été naturel. Il semblait beaucoup plus sensé de faire venir des gens comme James et Gordon, de leur décrire la situation et de leur demander comment ils en parleraient. Non seulement en termes techniques, mais aussi sur le plan de la culture. Il y a une culture propre aux informaticiens, qu’ils ont su exprimer mieux que je n’aurais pu le faire.

Il y a ce personnage incroyable, Michael Papageorge qui erre et danse dans les couloirs de l’hôtel. Il incarne la part amusante et bizarroïde de cette histoire. C’est un personnage très attachant. Il est aussi très différent des autres. Comment invente-t-on ce genre de personnage ? Etait-il présent dès le début ? 

En un sens, ce personnage est porteur de l’étrangeté et du psychédélisme qui s’infiltrent au fur et à mesure dans le film. J’avais besoin qu’il se distingue d’une certaine manière. Il représente une frange particulière de la profession d’informaticien. Computer Chess n’est pas nécessairement un portrait très réaliste de ce monde, mais je pense que nous avons bien représenté le fait qu’il y a plusieurs mondes parmi les programmeurs : ceux qui viennent du monde de l’entreprise, ceux qui viennent de l’université, les indépendants… Les plus connus sont souvent ceux qui ont commencé dans leur garage, travaillent seul – ce sont les plus marginaux, ceux qui sont inadaptés au travail de groupe. Je voulais donc que ce personnage ait un esprit très indépendant. Cela vient de la conception du personnage, mais aussi de l’interprétation de Myles Paige. Ce n’est pas un acteur professionnel, mais il était dans mon premier film, Funny Ha Ha. Nous sommes amis depuis longtemps, et je savais qu’il pouvait apporter quelque chose d’unique au film. Je ne savais pas encore quoi au début, mais l’idée de travailler avec lui était déjà excitante en soi.

COMPUTER CHESS d'Andrew Bujalski

Aviez-vous pour objectif principal de faire une comédie 

Mon objectif principal était d’abord de concrétiser ce projet un peu fou. Ça a été extrêmement amusant sur les plans artistique et créatif, bien que très difficile. J’espère que cela se sent pour les spectateurs, que c’est divertissant à regarder. Ce n’est pas nécessairement une comédie au sens strict. On y sent ma manière de regarder le monde  : je ne saurais pas raconter une histoire sans y mettre de l’humour, et ce même si l’histoire est sérieuse. Je pense que c’est le cas ici. Mes films ne sont pas faits pour être extrêmement divertissants ou vous faire éclater de rire, mais il y a toujours une dimension humoristique.

L’humour ne provient jamais d’une forme de moquerie vis-à-vis de nerds. Ils ont leur étrangeté, en un sens, mais vous ne les prenez pas de haut, vous les prenez très au sérieux. 

Je n’ai jamais pensé à me moquer d’eux, ça ne m’intéresse pas. On devait vivre dans leur monde. J’adore ces types. J’ai débuté ce projet avec une sorte de scepticisme envers cette idée d’intelligence artificielle, mais j’en suis sorti avec beaucoup de respect et d’amour pour les gens qui travaillent sur ça. Bien que cela ait des conséquences sur nos vies que nous ne savons pas encore mesurer, c’est un travail au fond très humain. C’est comme tenter de monter l’Everest, comme faire un film. C’est le but qu’ils s’étaient fixés, et ce désir de réussir est profondément humain. J’ai appris à les aimer ainsi, même si ce n’est pas quelque chose qui me touche personnellement, je n’aurais jamais pu faire ça. Grâce au film, je me suis attaché à eux.

J’ai débuté ce projet avec une sorte de scepticisme envers cette idée d’intelligence artificielle, mais j’en suis sorti avec beaucoup de respect et d’amour pour les gens qui travaillent sur ça.

Quel sera votre prochain film  ?

Je n’en ai aucune idée.

Entretien réalisé par Nathan Reneaud, à Berlin, le 14 février 2013

Traduit de l’anglais par Anna Marmiesse

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