LES 12 FILMS DE 2015 QU’ON A VUS ET QUI VONT FAIRE L’ANNEE… jusqu’en mai

Et si vous preniez d’ores et déjà rendez-vous avec les films incontournables des mois à venir ? Au terme d’une année de festivals 2014, Accréds a vu et aimé des oeuvres dont les sorties en France sont programmées en 2015. Nous en avons retenu douze. Douze créations qui, à nos yeux, méritent toute votre attention. Vous ne saviez pas quoi faire le 28 janvier, le 1er avril ou le 13 mai ? Maintenant, vous savez.

 

28 JANVIER : SNOW THERAPY de Ruben Ostlund

Snow TherapyPour une fois qu’un film non-francophone avait un titre français, il a fallu qu’il soit américanisé – alors qu’on parle d’une coproduction franco-suédoise – pour faire référence à un titre – Happiness Therapy – qui lui non plus ne doit rien à son patronyme d’origine… Force majeure est donc devenu Snow Therapy, mais ça n’enlève évidemment rien à ses qualités cinématographiques, tellement nombreuses qu’il est aux yeux d’au moins un rédacteur d’Accréds rien moins que le meilleur film vu en 2014. Sélectionné au Certain Regard du Festival de Cannes, où il remporta le Prix du jury, et cité au Golden Globe 2015 du meilleur film étranger, Snow Therapy repose sur un pitch savoureux et vertigineux : en vacances dans les Alpes françaises, un père de famille suédois détale à la vue d’une avalanche finalement sans danger, laissant plantés là sa femme et ses deux enfants, puis revient comme si de rien n’était. L’exploit de Ruben Ostlund, dont le précédent long, Play, nous avait déjà épaté même s’il s’avérait plus que délicat à manier idéologiquement, est de tenir la promesse de ce postulat sensationnel et d’aller même au-delà, en faisant de la confiance irrémédiablement brisée une maladie transmissible de proche en proche, contaminant tous les rapports au sein du couple homme-femme, y compris dans la salle de cinéma. Snow Therapy est à voir accompagné(e), il n’en devient que plus piquant.

Lire notre critique de SNOW THERAPY

Lire notre entretien avec son réalisateur Ruben Ostlund

 

28 JANVIER : SUD EAU NORD DEPLACER d’Antoine Boutet

Sud eau nord déplacerLe précédent documentaire d’Antoine Boutet, Le plein pays (2009), suivait au plus près un homme vivant en marge de la société depuis trente ans, seul au coeur de la forêt. Un projet à rapprocher du britannique Two Years at Sea de Ben Rivers (sortie en salles le 4 février) ou de L’homme sans nom de Wang Bing, en Chine. C’est d’ailleurs là que s’est ensuite dirigé Antoine Boutet, venu filmer un plat pays cette fois, soit le nord aride de la Chine que le gouvernement a décidé de fertiliser. Boutet enregistre les balbutiements d’un projet pharaonique : d’ici un demi-siècle, 50 milliards de mètres cube d’eau auront été déplacés du sud vers le nord de la Chine. Un projet hydraulique aux conséquences terribles pour les locaux. Sud eau nord déplacer convoque à la fois Pétition de Zhao Liang (2009) pour sa façon de donner la parole aux «plaignants» impuissants et l’oeuvre graphique de Yang Yongliang, exemplaire dans sa représentation d’un pays mutant.

 

4 FEVRIER : IT FOLLOWS de David Robert Mitchell

It FollowsIl n’est pas commun de voir un film d’angoisse sortir en salles en France avec sur l’affiche, non plus seulement une héroïne sexy et la retranscription d’une atmosphère glaçante, mais aussi une tripotée de citations laudatives. C’est l’une des forces d’It follows, sa capacité à contenter les fans de ciné d’horreur, tout en draguant ceux qui en veulent plus encore ; du genre à exiger que les temps morts soient aussi savamment orchestrés que le reste et qu’ils servent même à réfléchir sur le sens profond du récit en cours. Ici, au choix, parabole sur la dépravation sexuelle, sur la désolation sociale du Midwest ou métaphore du génocide amérindien, il y a de quoi s’occuper.

 

11 FEVRIER : LES MERVEILLES d’Alice Rohrwacher

Les merveillesSeule surprise au palmarès du Festival de Cannes 2014 (Grand Prix), Les merveilles sera le dernier membre de la sélection officielle à sortir en salles. Preuve de sa fragilité et de sa farouche liberté, des traits de caractère que le film partage avec ses personnages, membres d’une famille installée à l’écart du monde dans une ferme délabrée de la campagne italienne. Les deux parents et leurs quatre filles y vivent de la vente de miel, qu’ils produisent selon des méthodes douces (bio, pour le dire vite), que la réalisatrice Alice Rohrwacher applique à sa propre création. Elle tisse son récit selon les mêmes règles, ne forçant rien, laissant les éléments s’entremêler à leur rythme, pour que du tâtonnement initial apparemment désordonné émerge une harmonie délicate. Pour Rohrwacher comme pour ses héros (et héroïnes), l’ingrédient déterminant dans l’accomplissement de leurs entreprises est une magie à laquelle le reste du monde a tourné le dos, à commencer par sa ridicule et désespérante représentation télévisuelle (« l’ennemi » du film, croqué avec beaucoup de finesse). Ouvertes à la magie, insaisissables, à la croisée de différents états – rêve et réel, nuit et jour, société et état de nature –, poétiques et mystérieuses, ces Merveilles portent bien leur nom.

Lire notre critique des MERVEILLES

 

18 Février : VINCENT N’A PAS D’ÉCAILLES de Thomas Salvador

Vincent écaillesImpossible de ne pas révéler ce qui fait l’attrait de Vincent n’a pas d’écailles. Le film de Thomas Salvador a été chroniqué ici au moment de sa présentation au 3e Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, où il a remporté le Grand Prix. Puis il y a eu la bande-annonce, très réussie, qui s’est chargée de vendre la mèche : elle montre précisément l’instant où le héros partage ce secret pour la première fois. Vincent développe des super-pouvoirs au contact de l’eau (il faut savoir que Guiraudie avait pensé à Salvador pour jouer dans L’inconnu du lac, film qui vient en tête lors des magnifiques scènes de baignade). C’est l’anti-David Dunn, héros d’Incassable de Shyamalan. La réussite du premier long métrage de Thomas Salvador tient en partie dans son rapport à l’imaginaire hollywoodien, qu’il n’ignore pas (c’est un peu le Splash des années 2010) sans se laisser écraser (on reste dans un registre français de film de vacances, de chronique estivale). Il y a bien des effets spéciaux dans Vincent n’a pas d’écailles mais ils sont mécaniques, faits à la main, de même que Salvador, qui joue le rôle principal, donne physiquement de sa personne. Acrobate, alpiniste, doté d’un grand pouvoir comique, il est l’héritier des grands burlesques primitifs. La poésie y compris.

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25 février : HUNGRY HEARTS de Saverio Costanzo

Hungry HeartsCoupes Volpi de la meilleure actrice pour Alba Rohrwacher (la soeur d’Alice, des Merveilles) et du meilleur acteur pour Adam Driver : Hungry Hearts n’a pas fait le voyage pour rien à Venise, où il s’imposa sans mal comme l’un des rares compétiteurs à déjouer les attentes du festivalier. Tourné à New York, en anglais, le nouveau film de Saverio Costanzo (La solitude des nombres premiers) démarre comme une comédie sentimentale, cocasse et enjouée, avant de s’aventurer sur le territoire beaucoup plus inquiétant d’un thriller psychologique d’habitude arpenté par Roman Polanski. Comme dans Rosemary’s Baby, une naissance précipite le basculement de la vie de couple puisque tout oppose les deux amoureux s’agissant de s’occuper de leur bébé, à commencer par la manière de le nourrir. Hungry Hearts est le premier film à faire ouvertement du végétalisme une source d’angoisse pour les viandards que nous sommes en majorité, et un motif d’affrontement violent, même pour deux êtres qui s’aiment. Le mieux est de ne pas prévoir de réservation au restaurant immédiatement après l’avoir vu.

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4 mars : L’ENNEMI DE LA CLASSE de Rok Bicek

Ennemi classeRévélé à la Semaine de la Critique de Venise en 2013, ressorti des limbes en fin d’année dernière à Arras où nous l’avons découvert, le slovène L’ennemi de la classe est un premier film remarquable de maîtrise, et d’acuité dans le regard posé sur son histoire : la confrontation entre étudiants et professeurs d’un lycée d’élite, après le suicide d’une élève. Les camarades de celle-ci sont convaincus de la culpabilité du nouveau professeur d’allemand (au comportement rigide et aux méthodes autoritaires ; l’accusation de Nazi a vite fait d’arriver), et entament une guerre d’usure à l’encontre de l’encadrement du lycée, qui rejette en bloc leurs accusations. Derrière l’observation de cette escalade haineuse et stérile, qui lui permet d’affirmer son talent de metteur en scène (les angles de prises de vue créent des lignes de mire ou lignes de front), Rok Bicek tire un fil narratif et émotionnel de grande valeur autour de la question du deuil. Entre adultes voulant essayer d’oublier le drame et adolescents s’accrochant à tout prix au souvenir de la défunte, le conflit est de même nature que celui au cœur de la première saison de la magnifique série The Leftovers. Et L’ennemi de la classe raconte (presque) aussi bien comment le deuil ouvre des plaies insupportables, met à nu le pire de nous-mêmes.

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11 Mars : A LA FOLIE de Wang Bing

A la folieComme L’ennemi de la classe, À la folie nous vient de festivals de 2013 – Venise encore, puis les 3 Continents, où il gagna la Montgolfière d’Argent. Le dernier documentaire de Wang Bing portait alors son titre chinois (Feng Ai), ou anglais (‘Til Madness Do Us Part). Le cinéaste reste dans la même province de son pays, après Les trois sœurs du Yunnan, et filme à nouveau une prison, comme dans Le fossé. Officiellement, le lieu où sa caméra nous fait pénétrer est un asile psychiatrique, mais le film rend évidente la double hypocrisie de cette définition : y sont internés tous ceux qui dérangent, qui se montrent trop indépendants (sciemment ou non, peu importe) vis-à-vis de la ligne imposée par le pouvoir ; et leurs conditions de vie tiennent plus de l’incarcération que du soin, infligées à des coupables plutôt qu’à des malades. L’extrême puissance du geste de cinéma de Wang Bing tient à son intégrité. Tout au long du marathon qu’est À la folie (3h45, avec une caméra la plupart du temps en mouvement entre les murs, les grillages et les portes cadenassées de l’asile), il nous tient fermement dans la posture difficile qui est la nôtre autant que la sienne en ce lieu. Cette position schizophrène (nous partageons l’intimité des fous, mais il est impossible pour nous d’être véritablement à leur place), il n’est possible de l’occuper sans dérapage qu’en respectant un contrat moral fort (ne jamais oublier que l’on peut, que l’on va sortir, alors que eux non) ; tout est fait pour dans cette œuvre colossale, hors-norme.

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1er avril : LE CHALLAT DE TUNIS de Kaouther Ben Hania

Le challat« Challat » veut dire « lame » et c’est ainsi que fut surnommé celui qui tailladait les fesses des femmes, dans les rues de Tunis, en 2003. Pour son second long-métrage, la réalisatrice Kaouther Ben Hania enquête sur l’identité de ce croque-mitaine dont on ne sait dans quelle mesure il appartient à la légende urbaine ou à la réalité, et adopte un dispositif adéquat, où fiction et documentaire restent toujours difficiles à distinguer. De cette hybridation naissent de temps à autre des moments moins inspirés que d’autres, mais ces petites faiblesses ne pèsent rien face à la pertinence esthétique et politique du projet. Divertissant et édifiant, Le challat de Tunis prouve le flair de l’ACID, le off du Festival de Cannes, qui l’a retenu dans sa sélection 2014. Il sort opportunément un 1er avril, en farce inquiétante qu’il est.

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Lire notre entretien avec sa réalisatrice Kaouther Ben Hania

 

29 avril : JAUJA de Lisandro Alonso

JaujaQuelque mois après Loin des hommes dans lequel Viggo Mortensen joue un français d’origine andalouse en Algérie, retrouvez l’américano-danois en Argentine sous la direction de Lisandro Alonso. Une nouvelle étape pour le globe-trotter, qui le mène ici dans toutes sortes de paysages, et même patiemment baladé à travers les âges. Durant ce voyage inouï, cet homme blessé sur les traces de sa fille disparue la recherche partout, en haut d’une montagne au plus près des cieux, ou bien dans la plus profonde des grottes, cavité utérine où sa femme, sa mère, sa fille semblent l’attendre déjà. Alonso prend son temps, il s’arrête parfois sur un rien mais, au bout du compte, semble avoir parlé de tout.

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13 mai : CASA GRANDE de Felipe Barbosa

CasaGrandeDeux films, c’est trop peu pour parler d’une mouvance dans le cinéma brésilien. Reste que Casa Grande gagne à être rapproché des Bruits de Recife : cette comparaison est  flatteuse. Outre les rapports de classe, le racisme constitutif de la société brésilienne, la verticalité que met en avant le plan d’ouverture sur la maison familiale (la « casa grande » qui désignait la maison des maîtres au temps de l’esclavage), d’autres éléments les rapprochent : la lumière est signée par le même chef opérateur (le brésilien Pedro Sotero), Casa Grande emprunte à la telenovela comme Filho retravaille le soap opera. Felipe Barbosa se distingue de Filho en réalisant un film à plus petite échelle, plus intime, resserré sur Jean, 17 ans, dont le prénom français sent déjà la distinction de classe. Alors que le monde de privilèges bâti par son père menace de s’effondrer, l’adolescent vit ses premiers émois amoureux avec une fille qui n’est pas de son rang et s’interroge sur son avenir professionnel. Un film digne d’intérêt à la fois comme regard sur le Brésil et comme roman d’apprentissage.

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13 mai : HILL OF FREEDOM de Hong Sang-soo

Hill of FreedomCourt, ristretto, Hill of Freedom tient du prodige. En guise de récit, des lettres manuscrites que Mori, japonais, a laissé à l’attention de Kwon, sa compagne coréenne. Il y raconte son séjour à Séoul, prétexte à la retrouver et à démarrer avec elle une grande histoire d’amour. Ces retrouvailles sont l’horizon narratif de Hill of Freedom, ce que l’on est censé trouver au sommet de la colline. Les lettres que Kwon tient dans les mains ont été mélangées ; chacune donne lieu à une scène. La lecture ne suit donc pas un ordre parfaitement chronologique. L’ensemble est aussi complexe que ce qui se passe dans chaque partie, isolément, est simple, banal et néanmoins d’une grande richesse dans les affaires humaines (sentiments, affects, rencontres amicales). Le récit épistolaire de Hill of Freedom est aussi lacunaire : Kwon n’a pas la totalité des lettres. Il en reste une, tombée de ses mains, sur la marche d’un escalier. Quelle conséquence pour le couple ? En 66 minutes, Hong Sang-soo décrit une trajectoire bouleversante entre rêve et réalité, entre l’exclusivité de l’engagement et la possibilité toute fantastique de vivre plusieurs possibles amoureux.

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La rédaction
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