IT FOLLOWS ou l’évocation secrète du génocide amérindien

Qui ne serait pas satisfait de la succession d’apparitions inquiétantes proposé par It follows peut l’enrichir d’une réflexion sur la débauche adolescente américaine. Qui en voudrait plus encore peut imaginer que David Robert Mitchell y parle du génocide amérindien…

Il y a l’histoire que raconte It follows et celle(s) qu’il trace en filigrane. En première lecture, le film décrit les visions troublantes d’une jeune fille, pourchassée par une entité aux apparences multiples depuis qu’elle a couché avec un homme, lequel lui avait ainsi transmis sa malédiction. Ce qui donne un thriller surnaturel pour une mise sous tension idéalement orchestrée. L’autre façon d’aborder le récit est de n’y voir qu’une allégorie de la dépravation de la jeunesse américaine, condamnée pour ses coucheries, notamment par les figures dont l’entité maléfique emprunte le corps : la mère de l’un, le père d’une autre, etc.. De ce point de vue, le spectateur clément conclut, du fait que l’acte sexuel peut aussi bien punir que sauver l’adolescent, que It follows n’est pas forcément conservateur. Une approche plus intransigeante consiste à considérer le sexe comme le châtiment lui-même. Enlever ses habits une fois vous oblige à le refaire, sans passion, comme un addict. Une vision peu glorieuse de l’acte charnel qui, soit dit en passant, a déplu à la majorité de notre rédaction.

Une troisième façon de percevoir It follows déplace encore le curseur de la morale : il n’est plus question de mœurs, mais de morts. De même que certains fans, ou plutôt certains fous de Shining y ont décelé une métaphore du génocide amérindien, comme le montre le documentaire Room 237, il est possible d’appréhender It follows selon le même prisme singulier. Cette fois-ci, pas de marque de levure «Calumet» ou de tapisseries à l’arrière-plan, mais un numéro de rue, un nom de famille ou quelques lieux pour étayer une telle théorie.

Maika Monroe dans IT FOLLOWSLe film débute par la fugue d’une jeune fille. Devant sa maison, une voisine puis son père essayent de la calmer, mais rien n’y fait. Elle semble poursuivie, tourne en rond et finit par s’enfuir au volant de sa voiture. Le numéro de rue, celui qui est inscrit sur sa porte, est l’un des premiers éléments visibles : «1492». Cette séquence initiale, qui lance la malédiction pour le temps du récit, se clôt sur une plage où l’ado finit en lambeaux. Voici le drame matriciel d’It follows, inconsciemment enrichi par ce chiffre associé à la conquête de l’Amérique et par l’idée d’un premier crime sanglant commis sur le rivage. C’est une première piste, un terrain propice à un énième film fantastique sur le retour du refoulé de l’Histoire américaine. Tels les fantômes de Fog ou les zombies de La nuit des morts-vivants, des personnages aussi lents que terrifiants poursuivent une nouvelle fois la protagoniste, et il est alors possible d’y voir cette fois encore plus que de simples assaillants putrides. Qui a choisi de charger la première séquence de symboles évoquant la tragédie originelle de l’Amérique peut ensuite calquer sur ces apparitions répétées l’idée du retour d’une mauvaise conscience nationale. Et d’autant plus si l’un des personnages poursuivis dissimule son véritable nom, qui une fois dévoilé se prononce «Redman» en dérivé discret de «redskin» («peau rouge»). Dans cette perspective, le sexe est perçu comme un acte de transmission, gênant mais salutaire : se débarrasser du problème, laisser son prochain culpabiliser pour soi, être hanté à son tour… avant que le mal ne réapparaisse puisque dans It follows, le retour du refoulé provoque son propre « backlash » : l’entité nuisible traque une chaîne de victimes puis, une fois arrivé au terme, repart en chasse à rebours.

C’est toutefois dans les dernières minutes du film que cette vaste supposition se fait soudainement plus solide et plus troublante. Non pas en terme d’intrigue, donc pas de spoiler ici, mais simplement grâce au lieu que David Robert Mitchell choisi pour théâtre de son grand final. Marchant dans sa direction, deux des personnages principaux échangent au sujet de l’endroit mystérieux : il s’agit d’une piscine, où ils avaient l’habitude de flâner quelques années plus tôt malgré l’interdiction de leurs parents. Les termes employés par les deux jeunes filles lorsqu’elles décrivent cette piscine sont équivoques : il y est question de transgression d’un «territoire», de créer arbitrairement une «frontière» entre deux espaces, etc.. La conquête de l’Ouest semble de nouveau d’actualité. Sur place, trois nouveaux symboles renforcent une dernière fois ce sentiment : au-dessus du bassin se distingue un drapeau des États-Unis, à côté un panneau d’affichage mentionne l’affrontement des « locaux » contre les « visiteurs et, sous l’eau, les lignes tracées au sol dessinent des croix chrétiennes. Toujours sous le prisme d’une évocation de la colonisation des Amériques, ces croix se veulent les emblèmes majeurs des missions catholiques du siècle suivant l’arrivée de Christophe Colomb en ces terres, et qui restent intimement liées aux bouleversements connus par le continent et ses premiers habitants. La séquence s’achève quelques minutes plus tard par une image potentiellement fantasmée, celle d’un bain de sang. Si le plan consolide l’étrange théorie d’une allusion filée au funeste massacre, il ne manque pas non plus de rappeler une autre image forte… celle de l’ascenseur de Shining.

Lire ici notre critique de It follows.