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Du bon, du moins bon et du très mauvais, des morts, des vivants, des femmes avec des pénis, des chansons de Nick Cave et d’autres de David Bowie, un pirate somalien, un maître-nageur brésilien, des monteurs de Terrence Malick, Sabine Azéma, Marisa Tomei, Diane Kruger, Catherine Deneuve : passage en revue et en notules de 21 films parmi les plus de 400 présentés à la 64 ème Berlinale.
AIMER, BOIRE ET CHANTER d’Alain Resnais. Il faudra y revenir lors de sa sortie française, le 26 mars 2014, tant le film se prête à la micro-analyse. Resnais est économe de ses effets dans cette adaptation d’une pièce d’Alan Ayckbourn (SMOKING/NO SMOKING, COEURS). Malgré l’ostentation du décor théâtral, dont on oublie progressivement la nature artificielle, AIMER, BOIRE ET CHANTER n’est pas démonstratif et doit bien plus à la BD qu’aux arts de la scène. Ca n’intéresse pas Resnais de faire étalage de son talent du début à la fin. Il le réserve et l’exprime à des moments très précis et précieux : un léger travelling arrière pour appuyer une émotion, un montage alterné pour faciliter le dénouement, un insert sur un visage filmé sur fond de hachures noires à la manière d’une case de BD, etc. Son élégance tient à la délégation apparente de sa mise en scène à ses acteurs, dont les déplacements et le jeu semble guider la prise de vue. Moins funèbre que VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU, aussi morbide – un groupe d’amis intègre l’un des leurs à leur pièce de théâtre, après avoir appris qu’il était condamné par la maladie – mais sur un ton plus léger, AIMER, BOIRE ET CHANTER déçoit à cause de son histoire dénuée d’enjeux forts. Et inquiète un peu. Comme si depuis deux films, Alain Resnais préparait sa sortie en s’effaçant progressivement derrière la caméra, et devant, en filmant des enterrements.
20 000 DAYS ON EARTH de Iain Forsyth et Jane Pollard, avec Nick Cave – devant la caméra et à la conception. Présenté dans la sélection des documentaires, le film déborde de cette case presque aussi largement que celui de Gondry et Chomsky, IS THE MAN WHO IS TALL HAPPY ?. Mélange de captation sur le vif et de scènes écrites en amont montrant le documentaire en train de se faire, 20 000 DAYS ON EARTH atteint le même équilibre entre le tranchant et la stylisation que les chansons de Nick Cave. C’est pour cela que le film est superbe, en particulier dans ses montages d’ouverture (le décompte des vingt mille jours) et de fin (le chanteur sur scène à toutes les époques de sa carrière). Peut-être se réserve-t-il aux amateurs de Nick Cave, mais qui ne l’est pas ?
Lire notre article sur 20 000 DAYS ON EARTH
’71 de Yann Demange ressemble à un presque de BLOODY SUNDAY de Paul Greengrass auquel il emprunte également son filmage caméra au poing, secousses inclues, avec un peu trop de zèle – comme pour tout ce qui concerne la forme du film, faite pour être remarquée et percutante. C’est là le lot fréquent des premiers longs-métrages. ’71 tire son épingle du jeu grâce à d’autres atouts : l’énergie brute de son matériau (l’état de guerre civile dans lequel se trouvait alors Belfast), le souffle de son récit en forme d’odyssée d’Ulysse, la virulence féroce de sa harangue antimilitariste, tous camps confondus.
CASSE de Nadège Trebal. Documentaire au potentiel très fort : dans une casse automobile reléguée au bord d’une ligne de train en Île-de-France, on retrouve des immigrés de toutes générations et toutes provenances, et seulement eux. La fracture entre cette partie de la population, réduite à désosser des carcasses de voitures pour se faire un peu d’argent, et le reste, est si nette qu’il suffit de poser sa caméra pour la révéler au grand jour. Le problème est que la réalisatrice en reste là – poser sa caméra – au lieu de développer un réel regard de cinéaste, à la manière de Frederick Wiseman par exemple. L’empathie (qualité évidemment louable) de Nadège Trebal envers ses sujets devient contreproductive, car hégémonique. Vus à travers elle seule, les travailleurs de la casse ne sont que sympathiques, au lieu de devenir intéressants.
GUEROS d’Alonso Ruizpalacios, filmé mexicain en noir et blanc (beau) et format carré (très). Le jeune Tomas part s’installer chez son frère Sombras, étudiant dans une université en grève. Contrairement à ce que laisse croire son parti-pris, proche de TETRO de Coppola, GUEROS n’a rien de grave, ni d’esthétisant. Il ne pèche pas par orgueil, mais par humilité. Son complexe d’infériorité le force à tout dédoubler sans arrêt. De l’émotion ? OK, mais avec une pointe d’ironie en point final. Le look du film est léché ? OK, mais on va laisser les personnages se moquer des films mexicains en noir et blanc dédiés à l’errance, au cours d’une conversation superflue. Un récit ouvert aux accidents et aux hasards ? OK, mais on va quand même écrire sur un bout de mur une phrase du style « Oui, le hasard, ça arrive », bien visible à l’écran. Ruizpalacios est trop modeste, alors qu’il est prometteur. Il n’y a qu’à voir ses très gros plans sur les visages de ses acteurs, de très belles images, bien proportionnées, sans déformation malgré la grande proximité entre la caméra et les corps. Il n’y a pas de raison de ne pas retrouver GUEROS prochainement dans un festival en France.
HISTORIA DEL MIEDO de Benjamin Naishtat. Caricature du cinéma d’auteur (souvent sud-américain) qui se pense profond et mystérieux quand il n’est que vain et pédant. Naishtat élabore une succession de saynètes sans autre fondement que l’opposition, dessinée à gros traits, entre les riches habitants des quartiers fermés et les pauvres maintenus à l’extérieur, hormis pour venir y travailler comme larbins. Les personnages sont au mieux vides et au pire antipathiques, le travail du cadre est évident mais ostentatoire et vaniteux, l’intérêt d’ensemble de la chose reste à déterminer. Seule la façon qu’a Naishtat de filmer la salissure, les impuretés se détache et éveille une légère curiosité.
IS THE MAN WHO IS TALL HAPPY ? de Michel Gondry. On constate aujourd’hui que pendant qu’il réalisait THE GREEN HORNET, THE WE AND THE I et L’ECUME DES JOURS, le cinéaste français n’avait en réalité en tête que ce projet, plus qu’intimiste et improbable, de retranscription dessinée et animée d’un entretien avec le linguiste Noam Chomsky. C’est passionnant au plus haut point, parce que Chomsky est intarissable sur son domaine d’étude et que Gondry désire à tout prix être à la hauteur, en tant qu’apprenti ayant tout à apprendre et illustrateur ne bridant jamais sa créativité. Cela peut aussi être exténuant, car très dense et touffu.
Lire notre article sur IS THE MAN WHO IS TALL HAPPY ?
JOURNEY TO THE WEST de Tsai Ming-liang, où le « walker » du réalisateur part à la rencontre de l’Occident. Denis Lavant lui emboîte le pas. Vingt plans, pas plus, racontent cette rencontre du temps humain et du temps astronomique, devant une caméra plus patiente et contemplatrice que jamais. De la simple vanité à la contemplation transformant le réel en tableau : ou quand la séance de cinéma vire à l’expérience de la philosophie bouddhiste.
Lire notre article sur JOURNEY TO THE WEST
LAST HIJACK de Tommy Pallota et Femke Wolting. L’un des deux réalisateurs aida Richard Linklater sur ses films en rotoscopie. Il utilise ici ce principe pour illustrer les pensées d’un pirate somalien. Documentaire ou fiction, on s’en moque. Les petits dessins-animés qui ponctuent les prises de vues sont aussi moches que l’était le jeu communautaire Second Life. Surtout, elle plaque sur le protagoniste une intériorité qui n’est pas la sienne. Pallota et Wolting s’acharnent à montrer ainsi les tourments intimes de leur personnage, sauf que ce dernier n’a rien de tourmenté. Il est juste un bandit, appâté par le gain, négligent envers ses épouses et ses enfants. Et en plus de ce lyrisme injustifié, il faut faire avec une représentation des Somaliens trop pittoresque pour être honnête…
L’ENLEVEMENT DE MICHEL HOUELLEBECQ de Guillaume Nicloux, avec Michel Houellebecq donc. L’auteur des « Particules élémentaires » ne sait pas pour quelle raison on le séquestre, ni qui va payer sa rançon, mais ses geôliers s’occupent tellement bien de lui que sa détention tourne à la colonie de vacances (ou pas loin), ateliers sportifs compris. C’est un argument de court-métrage, bien tenu sur le format long, même si se fait parfois sentir l’absence d’une motivation dramatique plus forte que celle de simplement confronter Houllebecq à des personnages inattendus. Aucun soin apportée aux raccords son (volontairement), l’image reste brute, sans que le tout ressemble à une vaste improvisation. Et le plus important : c’est drôle.
Lire notre article sur L’ENLEVEMENT DE MICHEL HOUELLEBECQ
LOVE IS STRANGE d’Ira Sachs, film américain (ou plutôt new-yorkais) dont l’auteur démontre un réel talent d’observation du quotidien et de détournement de celui-ci, vers le burlesque ou le conte. Sa direction d’acteurs (Alfred Molina, John Lithgow, Marisa Tomei…) est tout aussi épatante. Autant d’atouts qui rendent cette œuvre tendre également un brin frustrante, parce que nonchalante et sans grande ambition. Sachs se contente de faire vivoter son film sur ses acquis, au lieu de viser plus haut.
MONUMENTS MEN de George Clooney. La projection presse de la matinée a été interrompue pendant 15 minutes, suite au malaise d’un spectateur. Nous avions alors vu 30 minutes du film, suffisamment pour faire la moue face à ce qui s’annonçait comme une addition de OCEAN’S ELEVEN et THE GOOD GERMAN. C’était déjà ça. On aurait effectivement aimé que Clooney tienne de Steven Soderbergh, mais ce n’est pas le cas. MONUMENTS MEN est pourri de défauts consternants : intrigue et enjeu absents malgré la promesse d’aventure (des Alliés sillonnent l’Europe pendant les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale pour récupérer les oeuvres d’art volées par les nazis) ; tonalité dramatique approximative à vouloir associer hommage solennel et petit comique troupier ; interprétations nonchalantes des acteurs ; grosses négligences dans la construction dramatique (il est strictement impossible de savoir qui fait quoi, et quand) ; faux rythme (MONUMENTS MEN donne le sentiment d’être interminable alors que son histoire ne commence jamais vraiment) ; des personnages d’experts en arts qui reconnaissent des oeuvres seulement en regardant les étiquettes ; Serge Hazanavicius face à Matt Damon ; etc.
Lire notre article sur MONUMENTS MEN
NATURAL RESISTANCE de Jonathan Nossiter. Encore un documentaire – de facture bien plus classique que celui de Gondry – où Nossiter poursuit après MONDOVINO son travail d’accompagnement de la lutte des vins de terroir contre la standardisation des saveurs et le dépérissement de nos palais. Ici, il quitte l’œnologie pour l’agriculture, le produit fini pour porter son regard sur la terre qui lui donne naissance – tant qu’on ne la tue pas elle aussi avec des produits chimiques ou en appauvrissant la variété des pieds. Le film rejoint ainsi le travail de Dominique Marchais (LE TEMPS DES GRACES, LA LIGNE DE PARTAGE DES EAUX) sur la destruction généralisée et à petit feu du territoire. Dommage que chaque digression vers le cinéma se solde par un échec, alors que l’analogie entre les combats contre l’uniformisation du vin et le cinéma était déjà au cœur du très bon livre de Nossiter, Le vin et le pouvoir.
PRAIA DE FUTURO de Karim Aïnouz commence comme un SOUS LE SABLE brésilien ou un INCONNU DU LAC brésilien aussi, forcément. Un MNS interprété par Wagner Moura (TROUPE D’ELITE), sosie officiel de Florent Manaudou, échoue à sauver un allemand de la noyade, mais trouve l’amour avec le compagnon du défunt. Tous deux partent s’installer à Berlin, où ils peuvent vivre leur relation au grand jour, c’est-à-dire avec les cheveux longs pour l’un, et la moustache pour l’autre. PRAIA DE FUTURO s’éternise mollement dans des séquences toujours trop longues, et n’a rien à raconter d’ébouriffant de toutes manières. On y voit toutefois nos deux hommes chanter et danser sur le Aline de Christophe (deuxième occurrence du chanteur après le film de Sophie Fillières, ARRETE OU JE CONTINUE) et on y réécoute Didi de Khaled. PRAIA DE FUTURO a toutefois la politesse de ne durer que 106 minutes
QUICK CHANGE d’Eduardo Roy Jr. Ce film philippin suit Dorina, une transsexuelle qui gagne sa vie en faisant des injections de collagènes aux hommes qui ne sentent pas suffisamment femmes. Dans son sillage, on fait la connaissance d’une communauté qui n’est pas sans rappeler les personnages de SHORTBUS, avec un gros supplément de noirceur ; Dorina et ses collègues travaillant clandestinement, avec des produits d’origine douteuse… Cette fiction aux allures de documentaire ressemble à un film de Brillante Mendoza, aussi bien thématiquement que stylistiquement. Il est captivant et beau, avec en plus un petit garçon, le neveu japonais de Dorina lui servant d’assistant médical, qui n’a pas sa langue dans sa poche. Son constat « Tantine, tu as une plus grosse queue que tonton » reste l’une des meilleures répliques entendues à la Berlinale. On regrette vivement son jour et son heure de programmation, trop tardifs pour nous permettre de surmonter la fatigue et d’en faire un compte-rendu pertinent. Vivement le second visionnage.
SHADOWS DAYS de Zhao Dayong, film chinois où l’on arrache des bébés des ventres de leurs mères, pour faire respecter la loi de l’enfant unique. Il y a une scène où des types anesthésient de force une jeune femme enceinte de 5 mois pour l’avorter, et la laissent gisante, avec des médocs…
STRATOS de Yannis Economides dure 137 minutes. De ces 2 h 17, nous n’avons vu qu’une heure, assommés par la répétition inexplicable des répliques (la manie qu’on les personnages de dire plusieurs fois la même chose est épuisante), la mine déconfite de son protagoniste et l’absence d’un enjeu dramatique clair et fort.
THE BETTER ANGELS d’A.J Edwards, monteur de Terrence Malick, d’ailleurs producteur du film et ça se voit. Trop. Cette évocation de la jeunesse d’Abraham Lincoln repose sur un mix du NOUVEAU MONDE et de TREE OF LIFE, avec arbres filmés en contre-plongée, mère angélique dans les hautes herbes, père implacable, fratrie adverse et alliée, rivière, etc. C’est une photocopie en noir et blanc, techniquement impeccable, mais plus encore, un ersatz qui pourrait passer sans mal pour le film d’un Malick en mal d’inspiration. Faut-il rejeter THE BETTER ANGELS non parce qu’il est mauvais – loin de là – mais parce qu’il porte la marque d’un auteur qui n’est le sien ? Pourquoi Malick produit-il un réalisateur qui l’imite à ce point ?
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THE MIDNIGHT AFTER de Fruit Chan. On aimait vraiment beaucoup Fruit Chan avant (MADE IN HONG KONG, NOUVELLE CUISINE) et bien moins maintenant, car ce qu’il a commis là est indigne de tout – de son œuvre et d’une présentation en festival. Voici un pur produit de consommation décérébrée, sans goût et sans valeur, comme Hong Kong en vomit à la chaîne (souvent pires encore que celui-ci, c’est tout ce que l’on peut concéder à Chan). Et qui inflige à Space Oddity des sévices tels que David Bowie doit s’en retourner sur son orbite.
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THE TWO FACES OF JANUARY de Hossein Hamini, scénariste de DRIVE, qui sait donc aussi réaliser. Nous sommes en Grèce, dans les années 1960, il fait beau. Le riche américain Viggo Mortensen tue un détective privé venu lui chercher des poux, il se planque en Crète avec sa jolie femme Kirsten Dunst, grâce à l’aide d’Oscar Isaac, jeune guide touristique américain qui ne sait pas dans quel pétrin il se met… Des airs de PLEIN SOLEIL parfois et plus encore du TALENTUEUX M. RIPLEY et ce n’est pas un hasard : l’histoire est tirée d’un roman de Patricia Highsmith et feu Anthony Mingella figure dans les remerciements. La musique « Hermannienne » d’Alberto Iglesias donne des accents hitchcockiens au film. Ces références ne font heureusement pas tout. Le périple des personnages en Grèce convoque opportunément le mythe du labyrinthe, Oedipe, et va même reluquer vers le romain Janus et ses deux visages (c’est le sens du titre). THE TWO FACES OF JANUARY monte en plus en puissance, jusqu’à un dernier acte plus inattendu que ce qui précède, où Viggo Mortensen excelle, notamment grâce à son passé cronenbergien.
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THINGS PEOPLE DO de Saar Klein. Un homme perd son travail et pour maintenir le niveau de vie de sa famille, se met à commettre des braquages dans la région. Sujet déjà traité quantité de fois et malheureusement bien mieux qu’ici. Klein semble en permanence paumé dans son film, dont il ne tient ni les enjeux, ni la dynamique, ni le ton. De temps à autre surnage une réplique, une idée de scène, une bifurcation de récit. Et la tenue d’ensemble du montage, évidemment est-on tenté de dire – Klein est monteur de formation, et a travaillé avec Terrence Malick comme le réalisateur de THE BETTER ANGELS, aussi montré à Berlin. Par le montage, Klein dépeint un monde et des vies bâtis sur du sable. Pour tout le reste, ce qu’il accomplit est bien trop faible.
La 64ème Berlinale s’est déroulée du 6 au 16 février 2014.