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The better angels a l’allure d’un film de Terrence Malick, et la sonorité d’un film de Terrence Malick. Si nos autres sens pouvaient être stimulés par le cinéma, nul doute que celle-ci aurait aussi le parfum, le goût, la texture d’un film de Terrence Malick. Pour autant il n’est pas question de hurler au pillage, l’auteur de Tree of life ayant avalisé le travail de son ancien collaborateur (monteur sur ses trois derniers longs-métrages) en produisant The better angels. A.J. Edwards n’a donc rien d’un faussaire, et tout d’un disciple inspiré et talentueux.
Les traits de caractère les plus saillants de The better angels, consacré à la jeunesse d’Abraham Lincoln dans une forêt de l’Indiana, mènent tous vers cette même conclusion, en lui donnant un contour encore plus précis : l’impression d’être face à une œuvre d’un membre de l’atelier de Malick, de même que l’on parle des ateliers des grands peintres du Moyen-Âge. Le maître se chargeait en son nom propre de certains tableaux et ses apprentis s’occupaient, en reproduisant son style et sa technique, du reste des commandes, trop nombreuses pour être toutes traitées par un seul homme aussi brillant soit-il. Le principe déclencheur fondé par les demandes commerciales ne s’applique plus au cas de Malick et Edwards, mais la démarche qui en découle demeure. La forme visuelle et sonore qu’Edwards donne à son premier film en tant que réalisateur décalque Malick, tout Malick, rien que Malick. Ici, une caméra flottant au-dessus du sol, en mouvement permanent décrivant des arabesques gracieuses et singulières ; là, des dialogues quasiment absents, remplacés par une voix-off sensible et chuchotée qui lie entre eux des images plus allégoriques que figuratives, au sein desquelles la présence humaine est une donnée secondaire. La nature était là avant la venue de l’homme, et sera toujours là après son départ, qu’elle est d’ailleurs tout à fait en mesure de provoquer.
Le geste d’Edwards consiste à révéler que la grâce est présente dans la nature, mais qu’elle se diffuse tout autant au travers des actions humaines
Deux séquences terrifiantes (le mal mystérieux qui décime la famille de Lincoln, puis la période où les enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes) nous le rappellent âprement. La forêt devient dans ces moments une puissance souveraine et oppressante. Elle entraîne The better angels vers les terres du cinéma d’épouvante gothique, loin de la grâce et de la transcendance malickiennes. Lesquelles sont bel et bien présentes ici, à condition que les personnages n’arrêtent jamais de se battre pour préserver la possibilité de leur venue. L’enjeu du film est l’émancipation du jeune Abraham vis-à-vis de son modeste milieu d’origine, afin qu’il puisse accomplir les grandes choses dont ses parents le pressentent capable et que nous savons qu’il a accomplies. Cette ascension n’est pas une assomption, elle ne vient pas du ciel mais doit être provoquée par les hommes, parce que c’est à la société des hommes qu’elle profitera plus tard. Le geste d’Edwards consiste à révéler que la grâce est présente dans la nature (les magnifiques visions des changements des saisons, et des différences d’ambiance entre les sous-bois et les clairières) mais qu’elle se diffuse tout autant au travers des actions humaines. C’est évident dans les superbes séquences consacrées à l’éducation, en définitive l’objet principal de la foi du réalisateur.
On parlait en ouverture de ce texte de traits de caractère, au pluriel. En plus de son utilisation de la grammaire malickienne, The better angels se distingue par deux éléments qui rendent encore plus précise la référence à laquelle se rattache le film : parmi les ateliers de peintres, celui de Raphaël. La beauté fragile du noir et blanc enveloppant The better angels – luminosité vacillante, contrastes précaires – semble renvoyer à un temps d’avant le cinéma, ce qui est historiquement judicieux (puisque le film se passe dans les années 1810) et de plus procure un sentiment comparable aux toiles de Raphaël, parmi les plus influentes de la bien nommée Renaissance, où fut enfantée la peinture des siècles à venir. Le parallèle se fait également à travers le choix affirmé d’A.J. Edwards de privilégier le récit de légende à la description de la réalité. Les anges du titre sont les deux mères de Lincoln, celle biologique puis celle d’adoption. Le réalisateur leur prête les traits de Brit Manning et Diane Kruger, sans rien dissimuler de la grande beauté des deux comédiennes. C’est tout à fait irréaliste, de la même manière et à la même fin que l’est la grâce des Madones et des Saintes, telles que les a peintes Raphaël, en train de veiller avec tendresse sur de jeunes enfants. À son tour The better angels est une parabole, portée par une bonté et une douceur merveilleuses, et porteuse d’une foi tournée vers l’humain.
THE BETTER ANGELS (États-Unis, 2013), un film de A.J. Edwards, avec Diane Kruger, Brit Manning, Braydon Denney, Jason Clarke, Wes Bentley. Durée : 94 min. Sortie en France indéterminée.