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Des lycéens du Bronx, entassés dans un bus rendu perméable à l’extérieur par l’abondance de téléphones mobiles : The We and the I est un huis-clos roulant ouvert aux quatre vents, un film-orchestre dont la partition change à chaque descente d’un passager. Michel Gondry, son réalisateur, parle forcément musique, mais aussi RER.
Comment est né ce projet ? D’un travail commun avec ces jeunes qui étaient vos élèves ?
Quels élèves ? Je n’ai pas d’élèves, je ne suis pas prof. J’avais envie de faire un huis-clos sur l’évolution d’un groupe qui se désagrège et sur les changements de pouvoir qui s’y opèrent. Un bus à la sortie des classes c’est l’exemple parfait parce que les lycéens y forment d’abord un bloc, puis des groupes se créent et d’autres se séparent, en fonction des endroits où chacun descend, donc en fonction des endroits où ils habitent. Des paires de plus en plus improbables finissent par se constituer. Les personnalités changent. Cela m’a toujours paru difficile à comprendre qu’on puisse avoir une personnalité différente selon le contexte.
Dans leur vie quotidienne, les acteurs se comportent-ils comme les personnages qu’ils jouent ?
Ils ne pourraient pas se permettre de faire autant de conneries en un seul trajet. Ils se feraient virer ou arrêter. Ce que je raconte est forcément excessif. En revanche, il y a d’autres choses très sombres dans leur vie quotidienne, plus de morts, plus de crimes.
Par exemple, le père de l’un d’entre eux a été tué par l’amant de sa femme, et il continuait à voir l’assassin tous les jours parce qu’il n’avait pas été arrêté.
Les jeunes ont-ils été faciles à gérer sur le tournage ?
Ils ont été super. C’était dur pour eux. Des histoires ont explosé. J’ai demandé au deux garçons en couple dans le film d’inverser les rôles par rapport à leur véritable histoire (NDA : l’un a trompé l’autre avec une femme). En plein milieu du tournage, ils ont fini par s’expliquer en se mettant à jouer leurs propres rôles. Ils ont explosé. Tout le monde pleurait dans le bus, à part moi, je dois être cynique… J’étais surtout occupé à trouver comment capturer ce moment. Au début, ils étaient en train de s’engueuler, et ils ne voulaient pas qu’on les filme. Ce n’est que plus tard qu’ils ont bien voulu. Après, j’ai dû écrire un début et une fin, mettre des petits bouts pour qu’on comprenne cette inversion des rôles.
Avez-vous de la sympathie pour les adolescents du fond du bus, ceux qui sont les brutes ?
Oui, parce que je les connais. Ce sont des mecs sympas. Je n’aime pas du tout le bizutage. Je trouve ça immonde. C’est un rituel barbare que j’ai subi au collège en sixième et en cinquième parce que j’avais l’air plus jeune que mon âge. Je ne voulais pas rendre cool cet effet de groupe qui fait que les gens se comportent comme des idiots et chambrent tout le monde.
Ça peut sembler cool pourtant. Ces adolescents s’amusent et sont très créatifs dans leurs bizutages. Le rap que l’on entend dans ces moments est très entraînant.
Quand on filme quelqu’un, il faut toujours une forme de sympathie. Mais je ne pense pas avoir posé un regard sadique sur les victimes. Si je l’ai fait, c’est à mon insu : je n’aime pas rendre cool ce que je considère comme moche.
Comment avez-vous fait pour préserver le dynamisme visuel du film sans jamais quitter, ou presque, le bus ?
C’est un lieu unique, mais qui se déplace, avec plein de fenêtres partout. En soi, c’est un décor, d’autant que le Bronx est quand même assez varié. Pour raconter une histoire, s’en tenir à un lieu unique est l’une des trois règles élémentaires à respecter. L’unité de temps est d’ailleurs elle aussi respectée, parce que tout se déroule est en temps réel, ou sur une durée un peu étirée.
Vous parlez de temps réel : la durée du film correspond à la durée du trajet ?
Pas tout à fait. Je pense que le trajet serait un peu plus court. Maintenant, c’est vrai qu’à Los Angeles, si on prend le bus à Downtown et qu’on va à Santa Monica, on peut y passer deux heures. Dans le Bronx, ce serait plutôt une heure, donc je n’ai pas trop triché. C’est vrai par contre que les films ont souvent tendance à compresser le temps, alors qu’ici il est presque étiré.
Pourquoi montrez-vous ce bus miniature au début du film, ce jouet musical qui est écrasé au par le véritable bus ?
Il n’y a aucun symbolisme là-dedans. C’est une idée que j’avais depuis longtemps. Mon frère habite à côté d’une voie de RER. J’ai toujours eu envie de mettre un petit train maquette sur le rail du train, d’attendre avec une caméra que le train passe, et au moment où le vrai train passe, de faire démarrer le petit et le regarder se faire écraser par le gros. Ça ne va pas plus loin que ça.
Je trouvais rigolo le parallèle entre le bus et ce ghetto blaster radiocommandé. J’ai suivi cette idée. C’est comme quand je faisais des clips avec Bjork : il y avait des idées qu’on n’expliquait pas, mais qui finissaient par se recouper avec d’autres, si on les développait de manière sincère. Au final, on a parfois l’impression que tout était voulu depuis le départ, alors que c’est le résultat d’un travail parfois très spontané.
Il nous semble possible de faire une analogie entre ce bus miniature musical et le véritable bus : les passagers du bus fonctionneraient comme les instrumentistes d’un orchestre dont la musique changerait en fonction des départs de chacun. C’est ce qui se passe dans le film : on part de quelque chose d’assez groovy, d’assez rap, pour aller vers le spleen.
C’est une belle image. Je n’y avais pas pensé en ces termes, mais on peut l’expliquer comme ça. Il est vrai qu’au début du film, la musique est appliquée sur l’image comme dans les clips de rap. J’ai choisi du rap du début des années 90 parce que c’était l’époque des clips de Young MC. On y voyait des jeunes se mettre en scène de manière assez minimale, bricolée. C’était avant le gangsta rap. Ils se filmaient tels qu’ils étaient, ensuite ils se sont filmés tels qu’ils s’imaginaient. Ils ont commencé à contrôler leur image et c’est devenu autre chose.
Au début du trajet, le rapport entre l’image et la musique est assez superficiel. Puis arrive un moment où on n’a plus besoin de musique. Enfin, elle revient, plus intérieure, comme une musique de film.
Propos recueillis par Christophe Beney et Hugues Derolez pour accreds.fr et vodkaster.com
Retranscription et mise en forme par Thomas Messias