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Continuer ensemble ou se séparer ? Pomme et Pierre se posent la question et sont incapables de tomber d’accord : grâce à Sophie Fillières, l’éternelle incommunicabilité au sein du couple devient comique à force de malentendus, et sort de sa cuisine pour aller dans les bois de Walden et de Walt Disney.
Pomme et Pierre ont un truc dans la vie : partir en randonnée dans les bois. Ca marchait bien quand ça allait bien entre eux, mais maintenant que ça va mal, ils pourraient bien profiter de l’isolement et de la nature sauvage pour s’entretuer. En préparant le barda, Pomme prend quand même un couteau – il en faut bien un pour couper le saucisson ; la dernière fois elle ne l’avait pas pris, rappelle Pierre – qu’elle glisse dans un sac plastique, tout comme elle verse dans un autre sachet, un hachis de légumes liquéfié, dont Pierre, décidément râleur, se demande avec quoi – fourchette ? cuillère ? – ils pourront bien le manger. Merde, il est gonflé Pierre, alors que la pauvre Pomme fait des efforts pour leur épargner de manger l’habituel camembert sans pain… Pourtant Pomme se trompe. Du pointu dans un emballage mou, du liquide dans un truc susceptible de se percer au moindre accroc : les bonnes choses sont là mais, pas emballées correctement, elles en deviennent mauvaises.
C’est la même chose avec le langage, et c’est ce qui fait que Pierre et Pomme n’arrivent plus à communiquer. Le signifié, l’idée, et le signifiant, le mot pour la dire, ne sont jamais en adéquation. Ca fait mal sentimentalement parlant, ça fait mal physiquement : quand Pomme suce un glaçon de champagne – la bouteille a éclaté dans le freezer et Pierre lui a proposé ce qui avait gelé – elle se coupe avec un débris de verre et saigne. C’est la même chose avec les actions. Dans les intentions, Pomme est pleine de bonne volonté, dans la réalisation, elle charge Pierre comme une mule avec des provisions qui auraient besoin d’une table et de couverts pour être appréciées.
« Suicide-toi. Dépece-toi. Fais-toi cuire » demande Pomme à un petit lapin, maintenant qu’elle vit à l’état sauvage, affamée mais pas suffisamment pour tuer.
Ce principe pourrait nourrir une absurdité globale un peu beckettienne, ou simplement orale et on serait du côté de Dubillard, si Arrête ou je continue ne pratiquait, non pas le contrepied, mais le pas de côté. Il ne fait pas l’inverse de ce qui est attendu, il fait juste la petite translation permettant de combiner émotion et plaisir intellectuel raffiné. Même si ça augmente le plaisir, pour aimer le film, on n’est pas obligé de remarquer les calembours visuels liés à cette randonneuse qui fait chier Pierre justement en lui demandant du PQ pour ses propres besoins, ni de remarquer qu’Emmanuelle Devos, en s’assoupissant sur des bûches, devient littéralement une belle au bois dormant. Ca aide, mais on n’est pas obligé, car cet humour tordu n’est pas une fin en soi. Il habille comme le ferait un beau costume sombre pour un enterrement. Puisque Pomme et Pierre ne parlent plus la même langue, autant que cela soit aussi drôle qu’une mauvaise traduction simultanée entre deux étrangers. Puisque Pomme renvoie Pierre à son habitat et s’installe toute seule dans les bois, autant qu’elle soit entourée de petits lapins et d’un chamois.
Arrête ou je continue sort de belle manière de la cuisine où son couple pourrait s’enfermer, avec un retour à la nature entre Walden et Walt Disney, où l’on peut se permettre de croire aux vertus revigorantes du premier et à la féérie du second. Quitte à ce que le mélange ne prenne pas. « Suicide-toi. Dépece-toi. Fais-toi cuire » demande Pomme à un petit lapin, maintenant qu’elle vit à l’état sauvage, affamée mais pas suffisamment pour tuer. Il ne suffit pas de croire en la magie de la parole pour qu’elle opère, dommage. « De toutes manières, vous deux, vous resterez pas longtemps ensemble » assène l’héroïne, amère, au lapin et à sa femelle.
Emmanuelle Devos incarne une sorte de réponse féminine au protagoniste de « Un homme, un vrai » des frères Larrieu – auxquels on pense forcément, nature oblige – d’ailleurs avec Amalric et (Hélène) Fillières.
Avant, il suffisait de dire pour être exaucé. Quand Pierre voyageait dans le temps en remontant les aiguilles d’une horloge, ça marchait. Plus maintenant, et tout le film tourne autour de la longue prise de conscience de Pomme, femme attachante, peut-être sensible mais pas fragile, qu’Emmanuelle Devos n’aurait pu interpréter avec ce naturel il y a dix ans encore, tant le jeu de l’actrice s’est décrispé et l’effort, effacé. Elle incarne une sorte de réponse féminine au protagoniste de Un homme, un vrai des frères Larrieu – auxquels on pense forcément, nature oblige – d’ailleurs avec Amalric et (Hélène) Fillières.
Pomme a certes été opérée d’une grosseur au cerveau à laquelle elle donne autant d’importance qu’à une foulure, mais quand il faut sortir un jeune chamois aux airs de Bambi d’une ornière, elle y va comme une grande. Elle est pourtant brimée par tous les hommes de son entourage : son patron, son coach sportif, son pédant de fils issue d’une première union et son mari, bien sûr. Etre une femme chez Sophie Fillières, c’est savoir déchiffrer la langue de ces mecs plus maladroits que méchants. Dans ce domaine, il y a de l’espoir, comme le montre la petite amie du fils, adepte du Scrabble en solo et capable de poursuivre une partie même quand les lettres se sont répandues sur le sol. Il faut dompter les mots et se nourrir pour cela du silence de la retraite, qu’elle se fasse au fond des bois ou dans une chambre de bonne seule avec son jeu de société. C’est comme ça qu’on apprend à dire merde aux hommes qui méritent de l’entendre. C’est comme ça qu’on guérit en même temps qu’on sauve un chamois et qu’on s’évite une guerre conjugale sans fin. Alors quand l’amour n’est plus un conte de fées, la rupture en devient un.
ARRETE OU JE CONTINUE (France, 2014), un film de Sophie Fillières, avec Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric, Anne Brochet, Joséphine de la Baume. Durée : 102 minutes. Sortie en France le 5 mars 2014.