Kleber Mendonça Filho, légende de Recife

A l’occasion de la sortie des Bruits de Recife le 26 février, la Cinémathèque Française organise une rétrospective des courts métrages de son réalisateur Kleber Mendonça Filho. Parmi les six films programmés, une esquisse de son premier long et de belles promesses de films horrifiques et fantastiques pour les années à venir. Et un même décor de légende : la ville de Recife. 

Pas de meilleure introduction aux Bruits de Recife que les courts métrages de son réalisateur. Le film, qui sortira le 26 février, s’intitule à l’origine O Som Ao Redor : « le bruit autour ». Le  titre français est plus explicite sur la spécificité géographique du cinéma de Kleber Mendonça Filho. Depuis le début, Recife est sa légende. Comme l’histoire qu’on raconte. Comme le texte qui accompagne une image, la remet dans son contexte. Entre son passé colonial et l’architecture agressive qui en résulte, entre sa paranoïa sécuritaire et les légendes urbaines qui l’entretiennent, la ville offre une matière dense ; suffisamment en tout cas pour réaliser les six courts métrages que la Cinémathèque Française projettera le jeudi 20 février dans le cadre de son cycle Cinéma de Poche ; suffisamment peut-être encore pour les trois ou quatre futurs longs métrages du cinéaste brésilien. Les Bruits de Recife est tourné dans son quartier et, pour certaines scènes, chez lui. Les quatre courts à retenir de cette rétrospective se déroulent au coeur de la ville ou d’un appartement.

Electrodomestica est un regard sur la condition à la fois privilégiée et carcérale de la classe moyenne brésilienne. Le confort moderne a sa part d’aliénation. Sa contre-partie est l’enfermement.

Le programme a la bonne idée de démarrer avec Electrodomestica. Les premières images sont celles d’un quartier résidentiel paisible façon La Zona. On y entend la chanson « Eu queria morar em beverly hills ». Un type ordinaire y raconte son rêve d’habiter Beverly Hills, de rencontrer les personnages de la série du même nom, de posséder piscine et limousine et de se  « torcher le cul avec des dollars et du caviar ». Surnommée la « Venise brésilienne », Recife est ici comparée à l’un des quartiers les plus chics de Los Angeles. Electrodomestica est un regard sur la condition à la fois privilégiée et carcérale d’une famille de la classe moyenne. Le confort moderne a sa part d’aliénation. Sa contre-partie est l’enfermement. L’héroïne apparaît à maintes reprises derrière des grilles. Il lui faut en ouvrir plusieurs avant de réceptionner un immense téléviseur ou, geste qui la conforte davantage dans sa supériorité, d’offrir de l’eau à un vagabond qui passe par là. Leur séparation à l’image évoque celle entre un détenu et un gardien de prison. La vie électrique de la mère de famille et de ses deux enfants génère un excédent d’énergie. La multitude d’appareils ménagers provoquent une coupure de courant. L’usage singulier qui est fait de la machine à laver laisse penser qu’il lui manque quelque chose – ou plutôt quelqu’un – à la maison. Ces 22 minutes à lisière du burlesque constituent à l’évidence l’ébauche des Bruits de Recife.

Dans le premier long métrage de Kleber Mendonça Filho, la verticalité de l’architecture et des rapports sociaux entre en résonance avec le passé esclavagiste du Brésil. Le faux documentaire et vrai film d’anticipation Recife Frio y fait déjà référence. La chute d’une météorite sur une plage fait trois victimes et met fin au climat tropical de Recife. La ville devient froide, pluvieuse et neigeuse. Un entrepreneur français qui pensait faire fortune dans le tourisme a l’impression de retrouver sa Bretagne natale. Les espaces publics sont jonchés de cadavres de sans-abris. Les pingouins envahissent la plage. Jusqu’à ce couple d’architectes avec enfant et domestique qui quittent le bord de mer pour une localisation moins venteuse. Du temps de l’esclavage, le serviteur occupait la chambre la plus petite et la plus chaude. Recife Frio montre la peinture inspirée par les senzalas (voir image ci-contre), ces habitations destinées aux esclaves travaillant dans les plantations de cannes à sucre. Suite au dérèglement climatique, le fils occupe la chambre de la domestique. Se retrouvant dans une pièce plus grande et plus froide, la pauvre femme chauffe son lit avec un fer à repasser. Le comble de la servitude.

Si le photo-roman et la voix-off de Vynil Verde appellent la comparaison avec La Jetée de Chris Marker, le traitement quotidien du fantastique fait plutôt penser à du Gogol ou à du Kafka.

A Menina do Algodão et Vinyl Verde font apparaître le visage horrifique-fantastique du cinéma de Mendonça Filho : c’est John Carpenter, inspiration pour Filho, venu à la place de Michael Haneke. Le premier court métrage s’inspire d’une légende urbaine qui fit trembler la jeunesse de Recife dans les années 70. Une petite fille, qu’on appelait la « Little Cotton Girl », hantait les toilettes publiques et projetait son ombre sur les murs pour avertir ses victimes de sa présence. Bon exercice de style, A Menina do Algodão  crée de la peur en peu de temps (6 minutes) et avec peu de moyens. On lui préfère le génial Vynil Verde, qui reprend un conte de fée russe.  Si son côté photo-roman et sa voix-off appellent d’emblée la comparaison avec La Jetée de Chris Marker, le traitement très quotidien du fantastique fait plutôt penser à du Kafka ou à du Gogol. Une jeune fille retrouve chaque soir sa mère amputée d’un membre.  Est-ce parce qu’elle a écouté le vynil vert ? Est-ce que parce qu’elle a désobéi à sa mère qui le lui avait interdit ? Mélange de douceur et de terreur, Vynil Verde est l’exacerbation horrifique de ce qui est à l’oeuvre dans le premier long métrage de Kleber Mendonça Filho et qui devrait occuper le cinéaste encore pour quelques années : la transmission de la peur, le bruit de la rumeur.

La projection des courts métrages de Kleber Mendonça Filho aura lieu à la Cinémathèque Française le 20 février à 20 h 45, en présence du réalisateur. 

Pour retrouver le programme complet de la rétrospective : http://www.cinematheque.fr/fr/dans-salles/rendez-vous-reguliers/fiche-manifestation/cinema-poche-kleber-mendonca-filho,16345.html

Accréds est partenaire de la sortie des Bruits de Recife. 

Nathan Reneaud
Nathan Reneaud

Rédacteur cinéma passé par la revue Etudes et Vodkaster.com. Actuellement, programmateur pour le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux et pigiste pour Slate.fr. "Soul singer" quand ça le chante.

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