Envoyé spécial à… DEAUVILLE 2014 : qui aime encore les USA ?

Les 14 films en compétition à Deauville US posent une question : qui aime encore les Etats-Unis ? Est-ce le cas de ces auteurs qui situent leurs intrigues hors du pays ? Est-ce celui de leurs personnages, désorientés au point de ne plus savoir où élire domicile sur le territoire ? Cinématographiquement parlant, ce dépaysement s’avère payant.

 

Dans un festival de cinéma, il suffit qu’une compétition excède la demi-douzaine de films pour que tout ne soit plus qu’une affaire de statistiques. A Deauville US, 40ème édition, ce sont 14 films américains qui concourent. Et parmi ces quatorze, 10 se terminent sensiblement de la même façon : le protagoniste décide de prendre la route. Fuite en avant ou retour à la case départ, le sens de la marche importe moins que le désir de changement. Les 10 conclusions se ressemblent étrangement, entre la mélancolie qui les lie et un filmage insistant. Le seul moyen de les différencier reste celui des transports. Le grand départ se fait…

A pied : Jamie Marks is dead ; I Origins
En skate : Love is strange
En voiture : A Girl walks home alone at night ; Things People do
En avion : White Bird
En voiture puis à pied : Un homme très recherché ; Juillet de sang
A pied pour l’un, en avion pour l’autre : The Good Lie
En bateau pour l’une, à pied pour l’autre : War Story

 

JUILLET DE SANG de Jim Mickle


Passé le plan final, les perspectives sont variées pour tous ces personnages : le train-train quotidien, la prison, l’inconnu ou même l’au-delà. Mais elles restent invisibles précisément parce que chacun des auteurs a coupé court, cherchant seulement à capter l’excitation du départ puis à laisser l’imaginaire du spectateur galoper pendant le générique de fin. Les deux meilleurs films en compétition, It Follows et The Better Angels, font partie des quatre ayant su éviter la redite. Mais ils ravivent d’autres souvenirs, moins immédiats : dans le premier, les deux personnages prennent bien la route mais pour une simple balade, la scène rappelle fortement la dernière séquence de Martha Marcy May Marlene (Sean Durkin, 2011) quand le second se referme par une version express de la dernière partie du Nouveau monde (Terrence Malick, 2005) – celle qui dévoile, après une ellipse marquante, un monde qui tient encore debout mais semble dénué de vie. Les deux films sont aussi les seuls à ne pas se dérouler de nos jours puisque It follows est impossible à dater avec ses looks et objets eighties parasités par l’irruption d’une liseuse futuriste en forme de coquillage, et que The Better Angels, qui évoque la jeunesse d’Abraham Lincoln, capte les balbutiements de la République étasunienne.

Catherine Keener dans WAR STORYLes 10 films américains contemporains qui, de leur côté, décident in fine de laisser s’échapper leur protagoniste vers un certain renouveau, quel qu’il soit, en disent ainsi beaucoup sur leur état d’égarement avancé. Seulement sur ces 10, nouvelle fraction, quatre se situent en territoire étranger : War Story se déroule en Italie ; Un homme très recherché en Allemagne ; The Good Lie entre le Soudan et les Etats-Unis et A Girl walks home alone at night invente son propre pays. Ce sont donc les auteurs qui, déboussolés ou attirés par de nouveaux mondes, ont pris la route et quitté le pays. Leurs propres personnages sont parfois même moins sévères à l’égard des USA, qui demeure une terre de fantasme à leurs yeux : les grands ados de A Girls walks home alone at night idéalisent l’Amérique des fifties comme le ferait un personnage romantique de Nos années sauvages de Wong Kar-wai, et ceux de The Good Lie ayant survécu à la guerre au Soudan rêvent aussi de ce pays où l’on mange des burgers et porte des t-shirts Nike… avant de connaitre un retour de bâton. Plus amers, Un homme très recherché et War Story présentent les États-Unis comme le pays de toutes les tromperies. De quoi donner envie à Ron Burgundy, héros de Legendes vivantes, d’intégrer la Compétition pour défendre sa patrie : «On vit dans le plus beau pays que Dieu n’ait jamais créé» répète-il, lui, le présentateur vedette qui regrette que l’on «parle toujours de ce qui ne va pas en Amérique» alors qu’il aimerait s’étendre sur «tout ce qui va bien en Amérique».

Comme pour le jeune Lincoln (The Better Angels), la république américaine est une page blanche dans The Good Lie


Heureusement, tous ces films ne se résument pas à leur ultime séquence. Bien que, si c’était le cas, Jamie Marks is dead, War Story et A Girls walks home alone at night ne dureraient que cinq minutes et seraient ainsi nettement plus supportables. Il est d’ailleurs malheureux que le Jury de la révélation Cartier ait de nouveau cédé à la curieuse manie de récompenser le pire film de la compétition, en l’occurrence A Girl walks…, succédant à Fruitvale Station en 2013 ou Detachment en 2011. Les autres films, dignes d’intérêt, ont donc à cœur d’évoquer de bout en bout, frontalement ou en filigrane, l’état actuel des USA. Deux options possibles dans chacun de ces films : s’extirper courageusement d’un environnement nuisible, ou bien en définir l’origine du mal pour mieux connaitre sa place et sa valeur. Ce sont là deux études de l’être américain et de son environnement : l’Homme devant le maîtriser ou s’en défaire pour mieux s’épanouir. Le taux de réussite étant aléatoire. Des trois films sur l’éducation en compétition, Whiplash et Uncertain terms penchent vers le déterminisme, The Better Angels le libre-arbitre.

WHIPLASH de Damien ChazelleSi Whiplash, récompensé par le Grand Prix et le Prix du public, évoque le destin d’un jeune batteur, il ne parle finalement ni de musique, ni même de talent. Le personnage est à la poursuite d’une forme de perfection dans son geste, telle celle d’un scientifique visant à s’approcher autant que possible du zéro absolu. Le problème étant que le réalisateur Damien Chazelle, et son monteur, finissent par se faire dévorer par une même ambition strictement technique que leur musicien. Le public accroche, mais le plus regrettable est que le réalisateur ne peut feindre l’étonnement. A l’opposé de la recherche de perfection fascisante prônée, non sans malice, par Whiplash, l’ultra malickien The Better Angels – monteur sur les trois derniers Terrence Malick, A. J. Edwards est moins un disciple qu’un coauteur – mise sur les vertus de l’écoute, de la curiosité, de la morale. Lincoln enfant y est un écrin de luxe pour décrire les différentes formes d’éducation auxquelles tout humain d’Amérique en friche peut aspirer. C’est aussi ce dont parle The Good Lie, avec ses jeunes héros soudanais contraints d’assimiler le fonctionnement de cette société nouvelle en un clin d’œil. Comme pour le jeune Lincoln,  la république américaine est une page blanche dans The Good Lie. Le film convainc moins, néanmoins, que God Grew Tired of us, documentaire diffusé à Deauville en 2006 et racontant l’exacte même histoire. Selon Philippe Falardeau (The Good Lie), une fois aux USA, les réfugiés soudanais finissent digérés par le système comme les locaux – et ça pourrait être pire. Selon Christopher Dillon Quinn et Tommy Walker (God Grew Tired of us), une fois aux USA, les réfugiés soudanais finissent digérés par le système comme les locaux – et c’est une catastrophe. Question de point de vue. Whiplash et The Good Lie, mais aussi Uncertain terms et ses héroïnes adolescentes enceintes difficilement comprises ou accompagnées, placent tous leurs personnages dans un contexte conçu pour les broyer. Que leur destin soit ou non entre leurs mains, leur lutte prime. En terme d’énergie, chacun de trois auteurs peut au moins s’assurer de tirer ainsi la compétition vers le haut.

L’oiseau blanc de Gregg Araki déblaie patiemment le chemin de sa jeunesse, et découvre sous la surface la réalité macabre qui régit la vie paisible des résidences pavillonnaires américaines

Shailene Woodley dans WHITE BIRDLes personnages de It follows, I Origins, White Bird et Un homme très recherché, soit le carré gagnant de la compétition deauvillaise (avec aussi The Better Angels, ne pas l’oublier), ne sont pas animés par la même rage combattive que le batteur de Whiplash, les mamans en devenir d’Uncertain terms ou les survivants de The Good Lie. Eux n’ont pas d’ennemis clairement définis à terrasser, ou du moins à affronter, ce qui est bien suffisant pour être enfin sûr de soi. Eux se laissent un temps consumer, rabaisser, étouffer, mais en viennent à déceler puis affronter le mal qui les ronge et ronge leur monde. A chaque fois, c’est une part sombre des USA qu’ils exhument. It follows parle de la fin d’un monde, de l’industrialisation déchue de Detroit, des clivages sociaux, de la frontière entre citadins et banlieusards, et peut-être même symboliquement d’autres divisions passées encore. La jeune héroïne du film brave ces relents outrageants d’une Amérique agonisante, avec la même fragilité que l’oiseau blanc de Gregg Araki : Kat Connors déblaie patiemment le chemin de sa jeunesse, et découvre sous la surface la réalité macabre qui régit la vie paisible des résidences pavillonnaires américaines. I Origins, et son adorable délire ésotérique auquel chacun rêve de croire, demande à son protagoniste de se frayer un chemin entre étude scientifique et intuitions miraculeuses pour apprécier en avant-première la vie de demain, où les bons seront repérés, répétés, amplifiés et les vilains en voie de disparition. Le cinéaste Anton Corbijn éprouverait certainement des sentiments partagés face à ce conte fantastique de Mike Cahill, son propre film (Un homme très recherché) étant à la fois proche de cette vision méliorative du monde où personne n’est jamais fondamentalement mauvais, mais il ne peut s’empêcher toutefois un ultime accès de cynisme, faisant triompher le mal quand on ne l’attendait plus. Celui-ci, au cœur d’un réseau de tractations politiques internationales, se révèle parfaitement américain. Cette perception alarmante de l’état actuel du monde et de la politique étrangère des États-Unis n’indique pas pour autant que le cinéaste néerlandais méprise le pays. Le protagoniste de Things People do pense comme lui, d’ailleurs.

Le film a reçu le Prix du 40ème anniversaire de Deauville, une décision surprenante tant l’indifférence règne cent minutes durant, en particulier concernant le personnage central pour lequel le spectateur ne redoute ni ne ressent rien. Ce héros, déboussolé après la perte de son emploi, se met à braquer ses concitoyens et à s’insurger contre les banques nationales. Par ces actions, il ne s’attaque pas fondamentalement aux USA pour autant, mais seulement à la dérive d’un état-Wall Street. Plus tard, quand il vide sa piscine pour rafraichir le jardin attenant et asséché, le geste symbolique aussi peu subtil soit-il renvoie bien à l’idée d’un territoire devenu aride que chaque citoyen se doit désormais de régénérer, de réinventer, et d’aimer à nouveau.

Le 40ème Festival du cinéma américain de Deauville s’est déroulé du 5 au 14 septembre 2014.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

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