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En juillet 2021, Nanni Moretti recevait un accueil cannois plus froid que jamais pour son triste film Tre piani, tandis que dans le même temps la sauvagerie désinhibée de Titane de Julia Ducournau se voyait remettre la Palme d’Or. Le lendemain de l’annonce du palmarès, Moretti avait lui-même fait le lien entre les deux évènements, dans une publication sur les réseaux sociaux dans laquelle il exprimait avec un humour à froid son sentiment d’être dépassé par ce nouveau monde cinématographique. Vers un avenir radieux est né de cette dissonance et de cette crainte de l’obsolescence, que le cinéaste italien analyse en riant et en chantant pour ne pas pleurer et désespérer.
Giovanni, le protagoniste du film, est un alter ego cristallin de Moretti. Auteur et réalisateur de ses films, tournant avec parcimonie (il se lamente de ne pas faire plus qu’un film tous les cinq ans, soit le rythme que Moretti parvient à rompre ici pour la première fois depuis le milieu des années 1980), obnubilé par l’histoire des partis politiques de gauche en Italie – le nouveau projet de Giovanni traite du dilemme d’une section du parti communiste italien en 1956, ne sachant si elle doit condamner la répression dans le sang de l’insurrection hongroise par les troupes soviétiques ou bien s’aligner sur la communication de l’URSS. Le premier geste subversif, et de renoncement, de Moretti est de ne pas raconter directement cette histoire mais de se montrer, par l’intermédiaire de Giovanni, en train de ne pas parvenir à la raconter. Moretti applique à ce tournage ses cauchemars personnels : que son coproducteur français lui fasse faux bond, que ses proches perdent foi ou intérêt en lui, que personne d’autre ne comprenne ou n’accorde d’importance au sujet qui lui tient à cœur.
Moretti donne à tout cela des airs de légèreté voire de farce (le rôle du producteur, interprété par Mathieu Amalric avec une jovialité excessive) qui tiennent lieu de vernis camouflant l’angoisse, comme le font les chansons et les digressions loufoques dans les situations en dehors du film de Giovanni. Comme soulagé de l’exigence d’avoir à mener à bien un récit, Moretti multiplie sans gêne les simples situations, embardées impulsives qui ne répondent qu’à la fantaisie de l’instant et se suffisent avec bonheur à elles-mêmes. Dans ce kaléidoscope relâché, les scènes musicales impromptues se taillent la part du lion, ainsi qu’une longue séquence où Moretti pointe plus que jamais derrière Giovanni, qui tente par tous les moyens de faire prévaloir sa vision éthique de la violence au cinéma sur le tournage d’une scène d’exécution mafieuse concluant un autre film que le sien. Sous la comédie – allègre et réussie – qui flirte avec le cartoon et le sketch méta, percent la meurtrissure du souvenir de 2021 et plus généralement le désespoir de se sentir dériver seul et à contrecourant, nimbant la séquence d’une angoisse mélancolique de plus en plus aiguë.
L’humour comme politesse du désespoir, et l’élan permanent pour ne surtout pas se confronter à ce qui arriverait si l’on s’arrêtait, sont les deux moteurs de Vers un avenir radieux, titre qui se révèle de plus en plus trompeur et sarcastique à mesure que le film avance. Moretti n’hésite pas à faire dire crûment à un personnage que le long-métrage de son double Giovanni est « un film sur la fin de tout ! » ; puis le final, fausse conclusion et vraie pirouette, exhibe une opposition complète entre son apparence – une parade musicale ensoleillée et enjouée – et ce que la scène charrie comme émotions et interprétations. Laissant tout en plan (le film de Giovanni comme le sien), conviant des comédien.ne.s habitué.e.s de ses films mais absent.e.s ici, faisant durer la séquence (qui vient de plus après une première scène de rêve ambigu intervenant plus tôt dans le récit, ainsi qu’après l’évocation de la tentation du suicide) et la concluant par une adresse au public, Moretti assume de se ranger sur le bas-côté, au mieux ; ou nous fait carrément ses adieux, au pire, avec le panache et le plaisir d’une dernière page mémorable.
VERS UN AVENIR RADIEUX (Il sol dell’avvenire, Italie-France, 2023), un film de et avec Nanni Moretti, avec aussi Margherita Buy, Silvio Orlando, Barbora Bobulova, Mathieu Amalric. Durée : 96 minutes. Sortie en France le 28 juin 2023.