Envoyée spéciale à… Vendôme 2014

Vendôme nous semble la ville la plus froide de France en ce premier week-end de décembre. Heureusement, le cinéma le Minotaure, qui accueille la 23ème édition du Festival du film de Vendôme, est chaleureux et accueillant. Pas besoin de se perdre dans des dédales de couloirs pour atteindre la belle salle qui accueille les projections. Au milieu d’un riche programme (avant-premières, focus sur le cinéma suédois contemporain, films d’animation…), la compétition nationale se présente comme une sorte de best-of des courts-métrages français de l’année : un certain nombre d’entre eux ont déjà beaucoup tourné en festival, de Berlin à Cannes en passant par Brive, Pantin, Clermont-Ferrand… et, pour plusieurs d’entre eux, y ont été primés.

Entrée en piste avec Ennui Ennui de Gabriel Abrantes, un des hits courts de l’année (Grand Prix France au Festival de Brive, notamment, et sorti en salles au sein de Pan pleure pas). Cette fantaisie cosmopolite présente la rencontre fortuite d’une bénévole de Bibliothèque sans frontière (Laetitia Dosch) et d’une princesse afghane (Esther Garrel), chacune flanquée d’un parent envahissant. Libre, débridé, foutraque, le film séduit d’abord par une certaine inventivité (la première scène met en scène le leader du monde libre Barack Obama échangeant des mots d’amour avec son drone) mais finit par se révéler épuisant, à force de surcharge gaguesque, de vulgarité (masturbation avec légumes, flatulences malvenues, viol qui n’en est pas un, etc.) et d’exotisme désuet. Quelques pics d’émotion affleurent tout de même ici et là dans un ensemble un peu trop volontariste. Filmé dans des décors proches (montagneux et désertiques), Les Enfants de Jean-Sébastien Chauvin se montre beaucoup plus sérieux : cette déclinaison européenne et minimaliste du film post-apocalyptique réserve de très beaux moments poétiques, notamment l’envol d’une capsule lumineuse avec à son bord des enfants au destin incertain.

Les Enfants

Le documentaire Boucle piqué de Chloé Mahieu et Lila Pinell présente un groupe de jeunes ados patineuses et patineurs lors d’un stage en été à la montagne. La discipline est dure, le niveau toujours plus élevé pour ces jeunes gens dont certains commencent visiblement à en avoir assez. Boucle piqué livre surtout le portrait incroyable d’un entraîneur à la voix haut perchée et aux manières de tyran, qui parle à ses élèves de manière majoritairement humiliante. Comme dans leur documentaire précédent Nos fiançailles, que nous avions évoqué à Brive 2012, les images montrées par les deux réalisatrices suscitent des rires gênés et du malaise sans jamais pour autant porter un regard condescendant sur les protagonistes. Nous sommes tout à fait du côté de ces jeunes filles : chaque saut raté est pour le spectateur une souffrance, et les visages contrits des patineuses suscitent l’empathie. Une scène, vers la fin, vient sortir le récit de la logique dans laquelle on était jusque là installés. Dans le secret d’une chambre d’hôtel, trois jeunes ados en humilient une quatrième, la touchant, l’agrippant et allant jusqu’à lui retirer son short alors que celle-ci les supplie d’arrêter. L’humiliation, jusque là restée sur la glace de la patinoire, s’est déplacée du côté de l’intime. On assiste impuissants à cette séquence, en se demandant quand les réalisatrices finiront par couper. Ce film passionnant jusque dans les doutes qu’il suscite pose ici frontalement la question éthique du documentariste : jusqu’où suis-je capable d’aller pour obtenir une scène frappante ? À quel moment la morale m’obligera-t-elle à sortir de mon rôle de captateur neutre et extérieur pour intervenir dans le réel ?

Dans Tourisme international, les touristes en recherche de choses à voir, à photographier, à filmer se cognent à des représentants de la nation soucieux que jamais rien ne dépasse, mais dont les voix sont étouffées

L’autre documentaire de la sélection, Tourisme international, se pose également des questions de représentation. Ce film de Marie Voignier nous présente un voyage touristique en Corée du Nord, le pays du monde le plus soucieux de son image. La singularité du film : on n’entend jamais les voix des guides touristiques. L’essentiel de leur discours et les moments marquants sont décrits dans des intertitres, comme dans un film muet. Les sons d’ambiance sont présents mais toutes les voix ont disparu, ce qui est à la fois frustrant et étrangement fécond. Les touristes en recherche de choses à voir, à photographier, à filmer se cognent à des représentants de la nation soucieux que jamais rien ne dépasse, mais dont les voix sont étouffées. Incongru et déroutant. À la frontière du documentaire, du clip et du film expérimental, on trouve le film au titre le plus long jamais vu sur Accreds (?), Si jamais nous devions disparaître, ce sera sans inquiétude mais en combattant jusqu’à la fin du vidéaste Jean-Gabriel Périot. Un groupe de rock s’installe sur scène, le public attend, la musique démarre : soudain, une femme monte sur scène et se met à danser. Très esthétisant, ce court-métrage sans parole se voudrait sensuel mais ne réussit qu’à être mécanique et répétitif.

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Autre genre à l’honneur de cette sélection, le film d’animation. Le plus étonnant d’entre eux est sans doute 8 balles de Frank Ternier, court-métrage un peu confus mais à l’inventivité formelle réelle. Les couleurs, les volumes, les formes de l’image changent avec la psyché du protagoniste, un homme traumatisé par le meurtre de sa famille. Quelques fables naïves étaient par ailleurs au programme, tel Beach flags de Sarah Saïdan qui commente de manière plutôt classique, avec un trait qui rappelle Persépolis, la condition féminine en Iran. Quant à Oripeaux, de Sonia Gerbeaud et Mathieu de Panafieu, il conte dans une ambiance western l’histoire d’une petite fille qui se prend d’amitié pour les coyotes que les gens de son village veulent massacrer. Tempête sur anorak, de Paul Cabon, est plus délirant avec son mélange des genres : comédie policière à la lisière du fantastique et au rythme trépidant, ce film décomplexé a au moins le mérite de faire rire. Man on the chair (Dahee Jeong) part d’une image simple (un homme sur une chaise, donc) pour finir par s’aventurer vers des considérations métaphysiques un peu désuètes mais touchantes. Le film fonctionne grâce à de belles idées visuelles, notamment un jeu d’échelles efficace. Enfin, Le Sens du toucher, de Jean-Charles Mbotti Malolo, est un film muet et minimaliste qui raconte une histoire d’amour en la chorégraphiant. L’impression générale de cette sélection de films d’animation est hélas celle d’une certaine uniformité : souvent muets, aux traits doux, les films peinent à se démarquer les uns des autres – on gardera donc plus longtemps en mémoire les couleurs criardes de Tempête sur anorak et les tentatives visuelles de 8 balles.

Un tic incroyablement récurrent : faire une scène en musique sur laquelle les personnages se mettent à danser, censée nous sortir de la trame plus ou moins réaliste du récit

Cette impression d’uniformité se retrouve aussi dans plusieurs films « en prises de vue réelles » de la compétition : portraits de jeunes gens déphasés, naturalisme un peu terne, vagues tentatives d’introduire de la fantaisie… Essaie de mourir jeune, réalisé par le benjamin de la compétition, Morgan Simon, est ainsi une tentative de portrait générationnel tordu. Un jeune homme traîne avec un homme plus âgé (un ami ? un parent ?) la nuit de ses 25 ans. D’arrêt de bus en kebab, du bar local jusqu’à la chambre d’une belle fille accueillante (Virginie Legay), le film se veut sans doute subversif mais reste finalement anecdotique et légèrement glauque. Ce monde ancien (Idir Serghine) propose davantage, avec son décor de zone commerciale impersonnelle où trois jeunes gens (dont Finnegan Oldfield, l’une des stars du jeune court-métrage français) traînent leurs guêtres toute la sainte journée. Peu bavard, le film se révèle hélas malgré tout terne et peine à mener son récit au delà d’un banal triangle amoureux. Les Éclaireurs de Benjamin Nuel (produit par Ecce Films, la société d’Emmanuel Chaumet) tente quelque chose de plus incongru. Trois anciens amis se retrouvent et se souviennent de leur jeunesse où, scouts, ils ont connu la gloire en démantelant trafics de drogue et réseaux terroristes. Ce passé qui nous est révélé est la meilleure source de gag du film, le tirant immanquablement vers un imaginaire à la Wes Anderson, mais Les Éclaireurs retombe un peu trop sur ses pattes de film intimiste lambda. Benjamin Nuel ne pousse pas assez loin son délire, comme s’il cherchait à maintenir un équilibre au fond sans intérêt.

Les Eclaireurs

Même symptôme ou presque dans Jamais Jamais d’Erwan Le Duc : ici, deux femmes flics que tout oppose tiennent ensemble la permanence d’un commissariat. D’un côté une femme rangée et légèrement coincée (la délicieuse Maud Wyler), de l’autre une « mère indigne » un peu vulgaire (incarnée par Julie-Anne Roth, qui fait diablement penser à Julie Depardieu). Forcément, elles vont finir par se rapprocher à la faveur d’une soirée arrosée qu’elles sont venues interrompre et à laquelle elles vont finalement participer. Le tout est un peu caricatural et, quoique drôle, reste fade. Les tentatives de sortir un peu de la routine du récit sont très naïves et déjà vues : notamment une scène en musique sur laquelle les personnages se mettent à danser, censée nous sortir de la trame plus ou moins réaliste du récit. Un tic incroyablement récurrent, que l’on retrouve d’ailleurs dans un film pourtant très différent, Animal Serenade de Béryl Peillard. Une provinciale un peu vulgaire, épouse et mère, se met en tête d’adopter un gros chien… et finit par prendre plaisir aux morsures de l’animal, subissant l’incompréhension de son entourage. Le portrait « plus vrai que nature » que le film fait de la province, le côté mastodonte de la métaphore (réflexion sur l’animalité en nous), la direction d’acteurs outrancière, tout est malheureusement trop empesé pour que l’émotion émerge.

La province est à l’honneur dans ce festival dédié aux films soutenus par les collectivités territoriales. Mais c’est peu dire que les façons de la filmer divergent. C’est une toute autre direction que prend Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, Ours d’or du court-métrage à la dernière Berlinale dont vous pouvez retrouver notre interview des réalisateurs Jonathan Vinel et Caroline Poggi ici. Ce conte d’un romantisme noir, macabre, est une splendeur esthétique qui fait d’un petit village des Midi-Pyrénées un territoire cinématographique incomparable dans lequel circulent des personnages fantômes hantés par l’idée de suicide. Si on peut rester imperméable à l’imaginaire du film, à sa fascination bizarre pour une imagerie de « gang » viriliste (blousons, crânes rasés, armes à feu), le film laisse en tête des images, des visages, des décors inoubliables.

Si peu de films de la compétition se déroulent à Paris, plusieurs mettent en scène des Parisiens en vacances et leur rapport étrange aux décors qu’ils investissent. Dans Peine perdue d’Arthur Harari, deux jeunes femmes descendent près d’un lac pour rencontrer des locaux. Harari part de lieux communs du cinéma d’auteur français : les amours de vacances, l’été, la drague, la plage… Choisissant rapidement le point de vue des garçons du coin, le film finit par partir à la dérive (les deux héros montent dans une barque), et court chercher l’émotion ailleurs. Cette rupture de ton ne fonctionne hélas pas totalement. Dans Geronimo de Frédéric Bayer Azem, un groupe de Parisiens et Parisiennes, parmi lesquels Serge Bozon, débarque dans un village du pays basque à l’occasion d’une fête foraine. Ils sont attendus, puis toisés, par un jeune apache du coin qui les défie aux autos-tamponneuses. Geronimo ne va jamais beaucoup plus loin que son postulat mais propose une atmosphère bizarre et aigre-douce qui séduit malgré tout.

inupiluk

Inupiluk (dont Sébastien Betbeder nous parlait en interview il y a un an) est quant à lui un des rares courts-métrages sélectionnés se passant à Paris. Le cinéaste joue en effet le dépaysement d’une manière différente : deux Parisiens désœuvrés, Thomas et Thomas, reçoivent chez eux deux Inuits, Olee et Adam, amis du père de l’un d’eux. Ils décident alors de leur faire visiter Paris – et vont même plus loin avec une excursion « pour voir la mer » à la dune du Pilat. Mais comme les deux Français ne comprennent pas un traître mot de ce que racontent leurs invités, et vice versa, tout ce beau monde s’invente une manière approximative de communiquer. Le film joue de manière très plaisante avec son dispositif et fait reposer le comique sur ce décalage insurmontable et donc très efficace. L’expérience ethnologique se mue en buddy movie à quatre, et le cocasse n’empêche pas l’émotion, au final, d’advenir. Il semble que Sébastien Betberder souhaite réaliser la suite d’Inupiluk, où l’on verra Thomas et Thomas rendre visite à Olee et Adam au Groënland. On attend ça avec impatience.

On a vu dans cette compétition vendômoise beaucoup de courts-métrages déchirés entre une ambition naturaliste et un désir d’aller vers la fantaisie, l’incongru, le bizarre

On quitte la fantaisie pour un très court-métrage (8 minutes) engagé et percutant. Aïssa, de Clément Tréhin Lalanne, raconte une histoire immense en passant par un (presque) détail : un examen médical. Tandis que la jeune Aïssa est scrutée par un médecin, nous entendons en voix off les conclusions et remarques de celui-ci qui en décrivant avec une telle distanciation le corps de la jeune femme souligne de manière glaçante la cruauté de sa situation. Car Aïssa est d’origine congolaise, et si elle doit subir un examen, c’est parce que les autorités françaises voudraient bien la renvoyer là-bas. Pour cela, il leur faut déterminer si elle ment sur son âge et est en réalité majeure. Ce film au présent est indéniablement fort sans jamais être lourd. L’inclassable Nectar de Lucile Hadzihalilovic, on ne peut plus différent à tous les niveaux, propose un monde étrange où une femme (la reine, semble-t-il) a la capacité de produire du miel : celui-ci coule de ses pores quand elle prend du plaisir. Onirique et érotique, Nectar présente quelques images splendides (format scope et lumière naturelle sont magnifiquement utilisés). Ce poème filmique laisse un peu perplexe mais a le mérite de proposer des pistes interprétatives multiples.

cambodia

On a donc vu dans cette compétition vendômoise beaucoup de courts-métrages déchirés entre une ambition naturaliste et un désir d’aller vers la fantaisie, l’incongru, le bizarre. Un film a réussi la combinaison de ces différentes aspirations. Cambodia 2099 de Davy Chou part d’un matériau documentaire pour suggérer de manière minimaliste un monde de science-fiction étrange et inquiétant. À Phnom Penh, une fille regarde des vidéos « tuto maquillage » sur YouTube, deux amis se racontent leurs rêves de la veille, l’un échange des sms bébêtes avec une fille, l’autre danse en pyjama sur un rond-point… Par petites touches, Davy Chou instaure entre tous ces mini-récits une étonnante continuité : le futur n’est qu’à un glissement subtil du présent, le quotidien et l’extraordinaire se superposent, le documentaire et la fiction sont à un pas l’un de l’autre.

C’est avec cette impression que l’on ressort d’un week-end intense de visionnage de courts-métrages à Vendôme, le premier week-end de décembre.

Le Festival du Film de Vendôme 2014 s’est déroulé du 5 au 12 décembre.

Anna Marmiesse
Anna Marmiesse

Diplômée de la Fémis, filière distribution. Wannabe scénariste. Critique cinéma par-ci par-là et fière détentrice d'un master en philosophie. Fangirl des Beatles, de Gene Kelly et de Marc Planus.

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