Sébastien Betbeder et 2 AUTOMNES, 3 HIVERS : « pouvoir traiter aussi bien de Koh Lanta que de la mort »

Présenté en 2013 dans la plus petite section parallèle cannoise, l’ACID, le troisième long-métrage du Palois Sébastien Betbeder, 2 automnes, 3 hivers  – sortie en France le 25 décembre 2013 – est un étonnant patchwork, à la fois expérimental et romanesque, drôle et mélancolique, futile et profond. Rencontre avec son réalisateur.

 

2 automnes, 3 hivers est-il le portrait d’une génération ?

Je n’ai pas commencé le projet en me disant ça. Cela aurait été prétentieux. J’avais envie de rendre compte d’une histoire d’amour, du hasard de la rencontre à la décision consciente de rester ensemble, de mettre en parallèle l’histoire d’une amitié entre deux garçons, et d’inclure plein d’éléments ayant pour cadre l’époque désenchantée dans laquelle on vit. Forcément, au bout d’un moment, ça a donné une sorte de portrait d’une génération, mais je ne suis pas parti à me fixant ça comme thématique, c’est venu au fur et à mesure.

 

Le film est très drôle, avec ses nombreuses vignettes et anecdotes rigolotes, et en même temps il est traversé par une profonde mélancolie : le thème de la mort, notamment de la peur de la mort, y est omniprésent. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre les deux tons du film ?

J’avais envie de faire ce que les Américains appellent une « dramédie ». Ce mélange des genres est vraiment ce qui m’intéresse le plus actuellement dans le cinéma et la littérature. Mon film s’annonce clairement comme une comédie – pour autant, j’y ai aussi incorporé autre chose, des éléments de mélancolie, tout simplement comme dans la vie. Il s’agissait de rendre compte des aléas que traversent mes personnages. J’avais aussi envie de personnages optimistes qui, malgré tout ce qu’ils vivent, soient capables de désamorcer les accidents, les contraintes de la vie. Et cette capacité à résister passe par l’humour.

 

Votre film paraît à la fois très foutraque et complètement maîtrisé, fait de bric et de broc et très écrit. D’où cela vient-il selon vous ?

C’est un bordel très maîtrisé ! Le film était très précisément écrit, même dans ses changements de dispositif entre les monologues et les scènes « in situ ». J’avais la conviction que, pour que le film tienne la route, il me fallait un aspect « patchwork ». Beaucoup d’éléments nourrissent cette ambition-là : le mélange des supports, les références à d’autres films… J’avais le sentiment que le fait d’aller piocher à plein d’endroits rendrait mon film plus passionnant, plus riche, plus dense.

 

On a cette impression d’un film très découpé, chapitré, presque martelé.

La grande question, qui m’a préoccupé depuis le tout début, était celle du rythme. Le concept du récit par très courts chapitres existait dans le scénario : je considère ces plans noirs avec un numéro et un texte blanc comme presque aussi importants qu’un gros plan de visage, par exemple. Un intitulé comme « Sarkozy n’existe pas » produit quelque chose chez le spectateur de l’ordre de l’attente, du questionnement. Tous les titres ont été pensés comme parties intégrantes du film.

 

Vous citez de nombreuses références, notamment cinématographiques : Apatow, Bresson, Tanner, Eugène Green… Pourquoi autant ? Sont-ce vos références, celles de vos personnages, les deux ?

Le film a l’ambition de traiter trois ans de la vie de personnages qui me ressemblent, qui ressemblent à mes amis, aux gens qui m’entourent. Et pour ces gens-là, la culture joue un rôle essentiel. Je ne voulais pas me défausser là-dessus. La culture est importante pour mes personnages, elle les aide à vivre, à supporter par exemple l’appréhension de la mort, elle les aide dans les relations amoureuses : on imagine qu’Arman a vu des choses dans des films qui l’aident à séduire Amélie. Je me suis dit : il faut que cela ait une place à part entière. J’ai cherché la manière la plus ludique de faire entrer ces citations dans mon film : chaque citation est amenée à un endroit très précis, et joue une opposition ou un contrepoint avec la scène qui précède ou qui suit cette intrusion.

 

La façon d’amener chaque citation est amusante et à chaque fois différente…

Ce sont des citations joyeuses : j’ai envie de communiquer quelque chose de mon goût pour un certain cinéma. Ce sont des films qui m’ont aidé à un moment donné, et j’avais envie de retranscrire ça. Les œuvres d’art peuvent aider à vivre.

 

2 automnes, 3 hivers témoigne d’une profusion de références, de régimes d’image, de façons de raconter. Comment êtes-vous parvenu à garder une cohérence d’ensemble ?

Ça relève de la « tambouille » d’écriture et de mise en scène ! Au tout début, le projet était celui d’un film assez dense, une chronique, un portrait sur trois années. J’ai alors réfléchi à un moyen presque littéraire de pouvoir construire autour de ça. J’ai donc écrit un monologue, un seul au départ, en me rendant compte que cette forme permettait de dire énormément de choses, de pouvoir passer de l’anecdote à des choses beaucoup plus intimes puis à des choses universelles – de pouvoir traiter autant de Koh Lanta que de la question de la mort. J’avais envie de cet éclectisme total. Puis ce monologue s’est transformé en quatre monologues qui correspondent aux quatre personnages principaux. Et à partir de ce long texte, j’ai commencé à gommer des pans entiers pour faire advenir dans le film des scènes de jeu « in situ » en décors naturels.

 

Votre film a un côté très concret : on ne va pas au cinéma, on va voir un Apatow ; on ne va pas au supermarché mais au Simply Market etc. Était-ce une volonté d’ancrer le film dans un réel précis ?

Tout bêtement, j’avais envie d’être au plus proche du réel. Citer des marques ou des émissions de télé, c’est comme cela qu’on parle tous les jours. Quand on parle des choses, on les cite. En citant, en étant très précis, en parlant comme dans la vie, je pense aussi qu’on atteint des choses plus universelles.

 

Comment avez-vous travaillé avec les comédiens sur ce scénario d’un genre très particulier ?

Je n’ai pas fait de séances de répétitions en amont pour préparer le film, je n’aime pas ça. Je crois vraiment au moment du plateau, à l’instant du tournage, au rapport des comédiens à la caméra, à l’équipe, à moi. Je crois beaucoup qu’il faut préserver les comédiens, les garder pour cet instant-là, ce moment de concentration et de travail très particulier. On a donc commencé le tournage avec les monologues, qui étaient le fondement de toute la structure du film. Chaque comédien avait un jour et demi de monologue face caméra en fond vert. Ce furent les moments les plus compliqués et et les plus intenses en terme de concentration de ma courte vie de réalisateur, parce que je leur demandais des choses très précises. Une fois ce moment passé, j’ai eu l’impression que pour tout le reste du tournage les comédiens étaient remplis de ces monologues-là, et que tout était plus simple. On était dans la neige, dans le froid, mais c’était quand même plus simple : les personnages étaient en eux.

 

Comment s’est fait le choix des comédiens ?

Je ne pense jamais aux comédiens quand j’écris, pour ne pas me freiner dans le champ des possibles d’un personnage, ne pas limiter les images qui peuvent me venir en tête pendant l’écriture. En revanche, une fois que cette partie-là est finie, le choix des comédiens devient la chose la plus importante. Je vais beaucoup au cinéma : il me semble que cela fait partie de mon travail d’aller voir les films des autres, de voir aussi certains comédiens, même dans de mauvais films, afin de chercher qui pourra entrer dans mon univers. J’ai choisi tous mes comédiens. Ce sont des gens avec qui j’avais envie de travailler, tout simplement. Vincent Macaigne le premier : quand s’est posée la question d’Arman, il n’y avait pas grand monde que j’envisageais comme possible en dehors de lui. Idem pour Maud Wyler. Bastien Bouillon est le seul comédien auquel j’ai fait passer des essais. Il est vraiment pour moi la rencontre du film, je ne l’avais pas vu ailleurs. Son personnage est très compliqué, en un sens opposé à Arman.

 

Vous êtes passé par l’aide au court-métrage pour financer une partie de 2 automnes, 3 hivers. Par ailleurs, beaucoup de vos précédents films ont une durée hybride (50 minutes-une heure). Qu’est-ce qui vous plaît dans dans l’alternance des formes ?

2 automnes, 3 hivers est un vrai long-métrage d’une heure et demie, mais en effet, j’ai toujours fait ça, passer du long au court. J’ai besoin d’expérimenter des choses. C’est vrai que les contraintes économiques et formelles sont très fortes dans le long-métrage, beaucoup moins dans le court. J’aime alterner les formats, mais j’ai un goût particulier pour le moyen-métrage. C’est un format qui permet de dire énormément de choses, de construire un vrai récit, de vraiment créer des personnages, mais aussi de s’arrêter au bon moment. Je trouve que trop souvent la forme du long-métrage oblige à une psychologisation des personnages, qui peut être évitée dans un film qui durerait entre une demi-heure et une heure. Je viens de finir un court-métrage, et je sais bien que j’y ai tenté des choses que je n’aurais jamais tentées dans un long, et qui vont me servir pour la suite.

C010

 

Ma question chauvine : une partie des scènes se déroulent à Bordeaux, est-ce qu’elles ont été tournées là-bas ?

Nous avons eu l’aide de la région Aquitaine, donc beaucoup de scènes ont été tournées à Bordeaux. On a même triché en filmant pour une grande partie les scènes parisiennes – notamment celles au parc – à Bordeaux.

 

En quoi votre formation tournée vers les arts plastiques et l’art contemporain (les Beaux-Arts de Bordeaux puis Le Fresnoy) a-t-elle nourri votre style de cinéaste ?

J’ai toujours voulu faire du cinéma. Même en entrant aux Beaux-Arts, j’avais vraiment ça en tête. J’ai toujours été intéressé par les liens entre le cinéma et les arts plastiques. Il y a beaucoup de ça dans 2 automnes, 3 hivers, une recherche plastique que l’on peut relier à ma formation. Mais je crois de plus en plus au récit, à la narration. L’art contemporain a un problème avec ça, il a tendance à bannir la narration. Au contraire, dans mon parcours, je cherche des choses de plus en plus narratives, littéraires. Pour autant, la part expérimentale de 2 automnes, 3 hivers est bien réelle.

 

Comment avez-vous ressenti la réception du film lors de sa présentation à l’ACID à Cannes ?

C’était très particulier. Le film a été financé avec très peu d’argent, grâce à une prise de risque monumentale de la part de toute l’équipe, qui a accepté d’être peu payée pour que le film puisse se faire. Nous avons toujours eu l’ambition d’emmener le film à Cannes : c’était notre Graal, notre récompense après tous ces risques pris. On a trouvé que l’ACID était le lieu idéal pour accueillir le film. L’ACID nous a sélectionnés sur une copie de travail, et on a carburé jusqu’à cinq jours avant le festival pour terminer à temps. On l’a fini dans des conditions d’épuisement total et la réception du film nous a d’autant plus ravis. Ça nous a également permis de trouver un distributeur afin qu’aujourd’hui le film sorte en salles dans de bonnes conditions.

 

Quels sont vos projets du moment ?

Je suis en train de finir un court-métrage, Inupiluk. C’est un film « surprise », qui n’était pas vraiment prévu. Le sujet est un peu tombé du ciel : l’arrivée de deux Inuits en France, que j’ai traité entre documentaire et fiction. Le film sera sélectionné au festival de Clermont-Ferrand. Je suis en train d’en terminer la post-production. J’ai aussi écrit une première version de mon prochain long-métrage, qui sera une comédie romantique.

 

Entretien réalisé par Anna Marmiesse