THE NICE GUYS, la démodernisation du Buddy Movie

Tous les dix ans, Shane Black revient pour réinventer le buddy movie, ou en tout cas lui redonner du souffle. Entreprise de démodernisation en mode burlesque, The Nice Guys passe le crash test de façon assez convaincante.

Considéré comme le maître du buddy movie depuis qu’il a signé en solo le scénario de L’Arme fatale, Shane Black a inspiré bien des scénaristes (américains ou non) qui ont exploité le genre jusqu’à le tarir, voire à le dénaturer. Dialoguiste hors pair, Black n’a cependant rien inventé : on pourra disserter longtemps sur la véritable date de naissance du buddy movie, mais le simple fait que la trilogie La ChèvreLes CompèresLes Fugitifs du trio Veber – Richard – Depardieu soit sortie avant L’Arme fatale en est une preuve parmi d’autres. En 2005, comme pour prouver que sa réputation n’était pas usurpée, Black signait sa première réalisation, Kiss Kiss Bang Bang, avec lequel il tentait de prouver que le plus talentueux des copistes de L’Arme fatale n’était autre que lui-même. Pari en partie réussi, même si le film avait une fâcheuse tendance à s’écouter parler (et à superposer les tunnels de dialogues jusqu’à l’écœurement).

Ryan Gosling et Russell Crowe dans THE NICE GUYS

Dix ans plus tard, et après un Iron Man 3 de triste mémoire (dur dur de ne pas se faire bouffer par le système), Black est de retour derrière la caméra avec, ô surprise, un nouveau buddy movie. Mais si Kiss Kiss Bang Bang avait pour but de moderniser le genre en le débarrassant en partie de son étiquette eighties, The Nice Guys ambitionne quant à lui de replonger tête baissée dans le vintage. Une vaste entreprise de démodernisation, en somme. Direction l’année 1977 à Los Angeles, où une playmate est retrouvée suicidée au volant. C’est la très amusante scène d’introduction du film : la voiture de la jeune femme dévale une colline puis traverse littéralement la maison dans laquelle un jeune garçon était en train d’admirer la page centrale du magazine pour lequel elle venait de poser. Dès cet instant, Black semble tout près de prendre la mauvaise direction : celle d’un cinéma dans lequel les femmes seraient réduites à leurs attributs et où les hommes (personnages comme spectateurs) avaient tout loisir d’en profiter. Il profite au contraire de la fin de la séquence pour adresser un message : l’esthétique vintage, oui, la mentalité bas de plafond, non. En attendant les secours, le jeune garçon couvrira pudiquement le corps de celle qu’il a désirée sur papier glacé. Dans la scène suivante, le malabar ventru incarné par Russell Crowe explique consiste à protéger les jeunes filles et les jeunes femmes de tous les types de prédateurs. Quitte à employer la manière forte.

l’acteur déroule une partition tordante dans laquelle chaque partie de son corps peut donner lieu à une catastrophe et donc à un gag

The Nice Guys n’est pas un film farouchement féministe, mais c’est en tout cas un film respectueux, dont les deux héros sont des mecs mais que ses personnages féminins traversent avec grâce et intelligence. La fille du détective gaffeur interprété par Ryan Gosling ressemble d’ailleurs à s’y méprendre à Sophie, la nièce de l’inspecteur Gadget, dont elle assure les arrières à chaque enquête. Ne manque plus que le chien Finot pour que le tableau soit complet. Sauf que Gosling est moins Gadget que Clouseau : c’est avec un sens du burlesque assez inattendu que l’acteur déroule une partition tordante dans laquelle chaque partie de son corps peut donner lieu à une catastrophe et donc à un gag. Dans Drive et même Only God forgives, Nicolas Winding Refn le filmait droit dans les yeux, déterminé à accomplir sa mission et à sauver la veuve et l’orphelin. Ici, la détermination a disparu, au profit d’une panoplie d’œillades savamment maîtrisées exprimant tour à tour le désarroi, la frousse ou la pure lâcheté. Cela pourrait être too much mais c’est parfaitement réussi. Si bien que Russell Crowe, pourtant parfaitement à l’aise, en est souvent réduit à servir la soupe à son partenaire. C’est le principe même de l’auguste et du clown blanc : l’un est si facétieux que le second se voit contraint de compenser par un excès de sérieux dont il se serait pourtant bien passé.

THE NICE GUYS de Shane Black

De Kiss Kiss Bang Bang, Shane Black semble avoir retenu une chose : trop de dialogue tue le dialogue. L’idée de s’abandonner le plus souvent possible au comique visuel en général et au burlesque en particulier rend le film à la fois plus digeste et moins épuisant. Non seulement les répliques font mouche, mais on a le temps de les assimiler et d’en apprécier les bienfaits sans avoir envie d’appuyer sur la touche pause. Dans la scène finale de The Nice Guys, qui donne tout son sens au titre, on comprend de quoi rêve le cinéaste : de pouvoir remonter le temps en direction des années 70 et de pouvoir faire de ce film le (trop ?) long pilote de ce qui aurait été une série culte, quelques part entre Amicalement vôtre et Miami Vice. L’Arme fatale, Au revoir à jamais, Kiss Kiss Bang Bang, The Nice Guys : à chaque décennie son buddy movie réinventé par Shane Black. Rendez-vous en 2026 pour de nouvelles aventures.

THE NICE GUYS (Etats-Unis, 2016), un film de Shane Black, avec Ryan Gosling, Russell Crowe, Margaret Qualley, Kim Basinger. Durée : 1h56. Sortie en France le 15 mai 2016.

Thomas Messias
Thomas Messias

Prof de maths le jour. Défend la veuve et le cinéma argentin la nuit sur Brefciel.com. Aimerait devenir Ricardo Darín (ou Vincent Gallo) (ou Ricardo Darín).

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