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Il est Blanc, elle est Noire, ils s’aiment et se marient en dépit des lois ségrégationnistes de leur Virginie natale : Jeff Nichols change d’époque mais pas de terrain de jeu, et s’en tient à la simplicité de son histoire d’amour en dépit des circonstances qui la rendent exceptionnelle, avec une humilité qui confine à la platitude.
Il va devenir difficile d’exposer sereinement ses griefs contre le cinéma de Jeff Nichols ou au contraire de le célébrer. Le divorce est désormais consommé entre les « pour » et les « contre », on ne peut plus rien dire de bien ou de mal sans se retrouver étiquetté lover ou hater. Nichols, cinéaste autour duquel on se déchire : c’est tout de même incroyable compte-tenu de la douceur de ses films et de leur capacité à célébrer l’amour dans sa forme la plus élémentaire. Un homme, une femme, un enfant : c’est ça la famille pour Nichols et on ne va pas lui reprocher ; simplement remarquer qu’il est bizarre que personne ou presque ne semble trouver vieillotte – c’est le moins qu’on puisse dire mais on n’ira pas jusqu’à employer de qualificatif plus dur – sa vision granitique du père, véritable ou de substitution, un roc capable de résister à la tempête et sans lequel mère, fils ou fille sombreraient. Dans Loving, le père est maçon, c’est dire à quel niveau de symbolisme on en est arrivé, même s’il ne faut pas oublier que l’histoire racontée respecte des faits réels…
C’est désormais tellement installé dans le cinéma de Nichols qu’on en vient même à reconsidérer l’épilogue de Take Shelter, à le voir comme preuve non plus de la communion entre membres d’une même famille, mais de la tyrannie du paternel. Tel un lapsus, le titre même de ce nouveau film invite à privilégier cette seconde lecture : Loving ne relève pas seulement du registre amoureux, c’est tout bonnement le nom du héros masculin, interprété par Joel Edgerton. On croyait parler amour, on va parler papa ; Nichols fait œuvre d’auteur au moins thématiquement. Stylistiquement, c’est autre chose.
Loving se reçoit en fonction du crédit que l’on accorde à son réalisateur, parce qu’on peut prouver avec la même conviction qu’il joue en sourdine ou au contraire qu’il manque de souffle.
Contrairement à l’autre Américain toujours applaudi du bout des doigts à Cannes, James Gray, Nichols n’est pas un classique. Sa patte est reconnaissable à son casting, sa direction d’acteur, à ses décors, moins à la richesse de sa mise en scène, nettement moins à la recherche d’une quelconque emphase, comme l’est Gray. Loving est tellement humble qu’il laisse à ses spectateurs la liberté de croire qu’il ne fait rien ou qu’il fait tout et que ce tout se trouve uniquement dans les détails. Il se reçoit en fonction du crédit que l’on accorde à son réalisateur, parce qu’on peut prouver avec la même conviction qu’il joue en sourdine ou au contraire qu’il manque de souffle.
Seul élément indiscutable : Nichols n’est pas académique. Loving serait déjà un probable candidat aux Oscars, lit-on un peu partout. Il y a une galaxie entière de cinéma entre Danish Girl ou Imitation Game, au hasard, et Loving. Film de procès et mélodrame, Loving ne va que rarement sur le terrain du premier (juste deux brèves confrontations face au même juge) et ne s’épanche jamais comme le second. A l’édifiant, Nichols préfère l’intime, assumant ainsi de raconter un amour ordinaire, seulement rendu extraordinaire par les circonstances, plutôt que de donner une leçon d’Histoire. Il ne raconte pas le combat d’un couple mixte contre une loi raciste, il raconte l’amour entre un homme et une femme alors qu’autour d’eux on s’écharpe pour leur nuire par principe ou pour les protéger (ce qui n’est pas sans poser de problème sur la temporalité du film ; les années filant sans nous faire sentir le poids croissant qui pèse sur le couple). Présenté ainsi, on dirait de l’ascèse, mais l’effet est davantage celui d’une anesthésie.
LOVING (Etats-Unis, 2016), un film de Jeff Nichols, avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Marton Csokas, Nick Kroll, Michael Shannon, etc. Durée : 123 min. Sortie en France le 15 février 2017.