TOUR DE FRANCE à la rame
Pour échapper aux types qui veulent sa peau, un jeune rappeur est forcé de se mettre au vert et d’accompagner dans son périple un peintre sur les traces de l’artiste Joseph Vernet : esthétiquement navrant et d’une grande faiblesse politique, Tour de France trimballe de port en port et de resto en resto un Depardieu au bout du rouleau.
Il y a peu de temps, Gérard Depardieu s’est lancé dans un road movie culinaire pour Arte, A pleine dents !. L’acteur se rendait dans une région de France, vidait le frigo et son appétit faisait le show puisqu’il est par nature spectaculaire. En vieillissant, la plus rabelaisienne des stars françaises est devenue Gargantua, un ogre à qui on pardonne tout, dont le corps et l’histoire personnelle servent désormais de seuls postulats narratifs à un film ou une série. Vous le mettez sur une moto (Mammuth), vous le lâchez dans le désert (Valley of Love) ou dans la forêt (The End), bref vous lui faites voir du pays (Tour de France) : pas besoin de plus, Depardieu fera le reste et notre tendresse pour lui comblera les vides de l’histoire.
Le réalisateur Rachid Djaïdani s’est planté sur bien des choses concernant Tour de France, mais pas sur le choix de l’acteur chargé de camper – on ne parle plus d’interprétation à un si faible niveau de composition – un gros beauf du Nord, raciste comme il faut, mais artiste-peintre aussi. En y réfléchissant, il ne s’est pas planté non plus en s’appropriant la comédie de la cohabitation forcée des contraires, sous-genre qui phagocyte actuellement tout le rire français, en refaisant du point de vue de la minorité Le grand partage ou Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?. Quelle différence y-a-t-il entre le personnage de Didier Bourdon imitant une « maman » noire dans cette ignominie qu’est Le grand partage, et celui de Depardieu rappant La Marseillaise, comme il l’imagine qu’un vrai rappeur le ferait, c’est-à-dire avec haine, violence et vulgarité ? Aucune et c’est bien là le problème.
Djaïdani a le mérite d’exister, mais ce mérite n’est pas une raison suffisante pour qu’on ne l’aide pas à faire davantage que des films qui semblent griffonnés sur un coin de table.
Rengaine, le 1er long-métrage de Djaïdani, avait beau naître d’intentions louables, il ne faisait qu’inverser les rôles habituels, sans faire preuve de davantage de progressisme. Tour de France fait pareil (à cet égard, on se pose des questions sur l’humiliation apparemment suprême que l’on puisse infliger à un homme : l’habiller en femme…). Son héros a beau être un rappeur du nord de la capitale, les mêmes blagues idiotes sont reconduites (quand on lui parle peintre du 18ème, il pense au 18ème arrondissement), le même rire douteux est suscité par l’expression sans langue de bois du racisme, la même idée de réconciliation par le déballage est diffusée, comme si les xénophobes en avaient gros sur le patate et faisaient en réalité un pas vers l’Autre en lui déballant toutes les saloperies qu’ils pensent de Lui.
Djaïdani a le mérite d’exister et de faire exister des personnages trop rares dans le paysage français, mais ce mérite n’est pas une raison suffisante pour qu’on ne l’aide pas à faire davantage que des films qui semblent griffonnés sur un coin de table. Ca ne rend service à personne, surtout pas au cinéma. Rengaine avait mis une éternité à se faire, Tour de France est né en un éclair en comparaison, mais tous deux ont en commun une grossièreté d’écriture et de mise en scène proches de l’amateurisme, que l’envie et l’énergie ne peuvent suffire à compenser. Surtout quand l’énergie s’épuise déjà à tracter un Depardieu à l’abandon, convaincu par rien, vraisemblablement sans texte, parfois hagard tel un sénile arraché à son hospice.
TOUR DE FRANCE (France, 2016, un film de Rachid Djaïdani, avec Gérard Depardieu, Sadek, Mabô Kouyaté, Nicolas Maréheu, Louise Grinberg. Durée : 95 min. Sortie en France le 16 novembre 2016.