MUSTANG ne lâche pas suffisamment la bride

De nos jours, dans un village reculé de la Turquie, cinq sœurs sont enfermées chez elles, accusées d’avoir fricoté avec des garçons : premier long-métrage, Mustang vire certes à l’exposé sur les effets du mariage forcé, mais présente des qualités qu’il serait dommage d’ignorer.

S’il existait une grille critique, listant tout ce que doit avoir un film pour être bon, on pourrait cocher toutes les cases avec Mustang. Interprétation ? Check. Scénario ? Check. Rythme ? Check. Sujet ? Check. Ce premier long-métrage, coécrit par Alice Winocour (Maryland, au Certain Regard cette année), ne présente aucun réel défaut, à moins de considérer comme une lacune l’absence de l’étincelle qui fait passer un film de bon à marquant.

Mustang raconte comment cinq sœurs, accusées d’avoir été inconvenantes avec des garçons, finissent enfermées chez elle, avant d’être mariées de force chacune leur tour. Si vous pensez à Virgin Suicides, vous avez raison, et la comparaison joue définitivement en la faveur du film de Sofia Coppola. La langueur de son alter ego est moins onirique et son histoire, elle, est trop édifiante : cinq sœurs, ce sont cinq manières différentes de présenter un aspect du mariage forcé. On apprend beaucoup au contact de Mustang, qui dispense un enseignement exhaustif, la fiction tournant progressivement à l’exposé. D’autant que, contrairement à ce que laisse présager le début, le film ne met pas en scène une rébellion, mais une soumission.

Il y a des réserves à avoir et pourtant, ce n’est pas ce que nous voulons retenir de Mustang.

MUSTANG de Deniz Gamze EgüvenDommage car la première demi-heure, durant laquelle les cinq sœurs, unies, refusent d’endurer sans rien dire leur punition, tapent, crient, se soutiennent, s’en prennent à la sale voisine qui a bavé sur elles ; cette demi-heure est électrisante. Il y a même une folle péripétie, quand les adolescentes s’enfuient pour assister à un match de foot interdit aux hommes et réservé aux femmes (un événement réellement survenu, afin de punir les hommes pour leurs débordements au stade) : faute de moyens et de figurants probablement, la caméra reste sur elles ; on n’a pas l’impression d’être dans un stade, mais Deniz Gamze Egüven a la bonne idée de filmer ce moment comme une sortie en boite de nuit, apportant un supplément d’euphorie. Le reste s’avère prévisible, sans écart, avec ce qu’il faut de drames… Quant à la désunion progressive des sœurs, elle ne semble pas suffisamment exploitée, alors que chaque nouveau mariage fissure la cohésion du début (jamais on n’accuse l’aînée d’égoïsme, par exemple, alors qu’elle déclenche un effet domino dont sa première cadette est immédiatement victime).

Il y a des réserves à avoir et pourtant, ce n’est pas ce que nous voulons retenir de Mustang. On préfère se souvenir des cascades de cheveux incroyables des jeunes actrices, de la pertinence des thématiques, dures, et de la douceur avec laquelle elles sont traitées (même si le portrait qui est fait du personnage de l’oncle tortionnaire n’avait pas besoin d’être si chargé à la fin). On aurait voulu que Mustang soit plus sauvage, mais même trop sage, il mérite d’être accueilli avec bienveillance.

MUSTANG (France, Turquie, Allemagne, Qatar, 2015), un film de Deniz Gamze Egüven, avec Günes Sensoy, Doga Zeynep Doguslu, Tugba Sunguroglu, Elit Iscan, Ilayda Akdogan. Durée : 97 minutes. Sortie en France le 17 juin 2015.

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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