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La rédaction d’Accreds s’immerge pour la première fois dans l’étrange ambiance d’un festival de programmes audiovisuels avec le FIPA qui se tient chaque année en janvier à Biarritz. Un rendez-vous qui nous ouvre de nouveaux horizons tout au long de l’année, avec des séries mais aussi des documentaires. Public d’habitués bravant les éléments, accueil chaleureux, programmes forts et aux propositions audacieuses, l’esprit qui plane sur le FIPA est finalement le même que sur celui d’un festival de cinéma. Et ce n’est pas pour nous déplaire.
En quoi le FIPA est-il différent d’un festival de cinéma ? Les projets qui y sont présentés sont tous financés et conçus pour être diffusés à la télévision, voire sur le web, de façon encore un peu marginale. Des conditions de projection idéales donc, pour des programmes qu’on voit habituellement chez soi. Des prix y sont décernés, des contrats y sont négociés, des auteurs viennent y défendre leurs idées. La sélection est faite par catégories : des films musicaux, de la fiction, nouveau terme consacré qui remplace le vieillot « téléfilm », et surtout un grand nombre de documentaires de qualité. Comme nous le disait le réalisateur Rithy Panh il y a quelques jours, le financement du documentaire devient de plus en plus limité au cinéma du fait de sa visibilité toujours plus restreinte, et de son succès déclinant. A l’inverse, l’industrie du documentaire française de télévision reste florissante, et disons-le d’une excellente facture.
Intéressons-nous plus particulièrement à la sélection réservée aux séries télévisées, un format qui trouve aujourd’hui ses lettres de noblesse dans un nombre grandissant de festivals. Si le FIPA a remis un prix d’honneur à Chris Chibnall, le showrunner de Broadchurch, l’occasion pour nous de revenir sur ce qu’elle a eu de déterminant pour la production anglaise, nous y découvrons aussi en avant-première un grand nombre de projets français et européens, asiatiques ou américains (l’éclatant Kingdom notamment).
Petit bras le palmarès du FIPA quand il récompense, avec son Prix de la meilleure série, la très (trop ?) british Happy Valley. Dans une Angleterre verdoyante, fraîche et râleuse, un petit brin de femme se voit forcée à mener l’enquête dans une sombre histoire de kidnapping après une succession de malentendus et de bévues assez éculées, il faut bien l’avouer. Mis à part le postulat de départ, une caustique petite bourgade qui devient la scène d’un enlèvement de haut vol, rien ne nous impressionne dans Happy Valley, ni ses couleurs jaunâtres, ni sa réalisation éprouvée et épuisée, ni son ton gentiment décalé. Étonnamment, Les Témoins, la dernière création du duo Herpoux / Hadmar (Pigalle la nuit, Les Oubliées) estampillée France 2, elle aussi sur le podium avec le prix de la meilleure actrice remis à Marie Dompnier, semble faire preuve de beaucoup plus d’audace et parvient à imposer un style plus tranchant. Herpoux et Hadmar se réjouissent depuis une décennie de revisiter le polar crado en investissant la France invisible (le Nord ici, dans une petite ville sûrement pas très éloignée de celle de P’tit Quinquin). Mis à part son pitch tout droit sorti d’une série américaine, des cadavres déterrés reposent dans des maisons témoins, voilà une production qui n’a pas peur de ses origines et de son territoire. Avouons-le, même Thierry Lhermitte en vieux flic bourru promenant sa canne à la manière d’un docteur House à la retraite est diablement à l’aise dans cette série aux rebondissements à tiroirs qui pourrait réconcilier la jeune génération de sériephile et le public toujours friand de nouveaux polars de France Télévisions. Dans la même veine, il est regrettable que Fortitude, série noire scientifico-conspirationniste qui se déroule dans la commune la plus froide et la plus éloignée du cercle arctique, n’ait pas été récompensée. Cousine givrée de Fargo, cette production britannique dont la diffusion vient de débuter sur Sky Atlantic, réunit un casting de haute volée, avec à sa tête Stanley Tucci, Michael Gambon et Christopher Eccleston (ancien Docteur de Doctor Who et excellent dans The Leftovers sur HBO). Un mélange de saveurs savamment distillées dans un grand fourre-tout émotionnel, entre intrigues politiques, meurtres sauvages et découvertes scientifiques, qui déconcertera les plus pragmatiques et alpaguera ceux qui croient avoir tout vu.
Le grand froid et la nouvelle vague de programmes nordiques étaient au cœur d’une sélection de séries parmi les plus convaincantes présentées au FIPA. La tristesse métaphysique du personnage principal de Marsman (Jurgen Delnaet qui remporte le prix d’interprétation masculine) irradie une trame simplissime : un jour tout dérape et Nico Marsman se fait plaquer, perd son boulot et se retrouve seul à s’occuper de son jeune frère autiste. Sans mièvrerie ni surabondance d’effets narratifs, on pénètre les abysses existentiels d’un pauvre homme qui ne peut reconstruire sa vie qu’en s’occupant de celle d’un autre. Un projet de vie qui anime toute la série, un hommage rendu à ceux qui dans l’ombre se tiennent au plus près de la souffrance et qui la guérisse par leur simple présence. La Bataille de l’eau lourde, coproduction entre la Norvège, le Danemark et le Royaume-Uni, ravira probablement les fans de Breaking Bad qui se sont toujours interrogés sur la véritable histoire du chimiste Heisenberg. Qui était-ce au juste ? Oh personne, juste l’un des premiers à avoir donné l’idée de la bombe atomique aux nazis. La bataille de l’eau lourde, plus exactement, correspond au combat mené par les Alliés et la résistance norvégienne pour empêcher les nazis d’accéder à l’arme nucléaire. Si les nazis n’ont finalement pas réussi à produire l’arme atomique, c’est en partie dû au sabotage de forces spéciales, à la résistance de l’élite scientifique face à certains de leurs confrères pour qui l’évolution des technologies était une quête qui justifiait tous les sacrifices. Rythmé à l’excès, comme tout récit télévisuel centré sur la Seconde Guerre mondiale, La bataille de l’eau lourde déploie une multiplicité de points de vue salvatrice, rappelant le rôle de la Norvège dans notre histoire tout en n’hésitant pas à décrire ses défectuosités.
Quelques projets sont à suivre de près, ceux qui vont contre les modes, le rythme frénétique imposé par la télévision, ou qui n’hésitent pas à clamer haut et fort leur belle identité. L’ingénieux Wolf Hall ravira les fans des Tudors ; adaptation signée Peter Kosminsky avec Jonathan Pryce et Damian Lewis, elle décrit l’ascension d’un modeste forgeron dont la vivacité d’esprit et la roublardise lui permettra de devenir le plus proche conseiller d’Henry VIII. Une production BBC de très bonne facture comme la chaîne en est capable depuis longtemps, un pied dans le passé pour passionner les férus d’histoire, un autre bien enfoncé dans notre époque avec ses personnages fissurés, ambigus, dont la noirceur infuse lentement l’ensemble de la série. Citons également la faussement cheap Zagouri Empire, une production israélienne, portrait de famille d’une bande d’allumés, des grands-parents aux petits-enfants, sépharades d’origine marocaine qui se détruisent pour contrôler un juteux commerce de fallafels. Ça a l’air de rien dit comme ça, ce soap exotique et gentiment excentrique, une sitcom familiale bavarde et criarde, mais ses échauffourées comiques, ses affrontements verbaux et son plaisir à dépeindre une petite communauté de marginaux fait de cet empire une affaire qu’on a envie de voir prospérer. Coup de cœur très personnel pour conclure avec la série d’anthologie Finding Life after 55, une production japonaise comme on aimerait en voir plus souvent programmées dans les festivals d’audiovisuel. Rappelons qu’une anthologie peut prendre des formes différentes : une saison narre une histoire, comme c’est le cas dans True Detective ou American Horror Story, ou un récit qui se développe seulement sur un épisode, comme le faisait avec brio les fameux Alfred Hitchcock présente, La Quatrième Dimension ou plus récemment Black Mirror. Cette adaptation d’un roman de Ryu Murakami (à ne pas confondre avec Haruki) s’attache à illustrer cinq vies différentes, rangées, fatiguées, inexorablement amenées à imploser à l’aube de la soixantaine. Candeur et folie douce pour ces hommes et ces femmes qui doivent s’inventer une nouvelle vie, comprendre comment forger leur bonheur, après des décennies passées à ne vivre que par leur travail. Fable indolente et doucement cruelle, Finding Life after 55 rappelle que l’on peut facilement ne pas savoir comment vivre et repousser cette interrogation jusqu’à ses derniers jours. Et tout de même y trouver une réponse, même si ce n’est que pour en profiter un bref instant.
Le 28ème Festival International de Programmes Audiovisuels s’est déroulé à Biarritz du 20 au 25 janvier 2015.