BROADCHURCH, saison 2 : comment reprendre ce qui était parfait ?

Créateur, showrunner et scénariste de la série Broadchurch, mais également auteur de théâtre, Chris Chibnall était l’invité d’honneur de cette 28e édition du FIPA (Festival International de Programmes Audiovisuels) pour recevoir un prix commémorant son travail, et accessoirement présenter le premier épisode de la seconde saison de l’un des plus grands succès récents de la télévision. Soyons francs : être à la hauteur de son aînée était un pari impossible.

Les vagues s’écrasent toujours sur les plages du comté de Dorset, réanimant la ville du trauma et de la catharsis la plus connue d’Angleterre. “Tout s’effondre” nous dit-on bientôt, lorsque la mer s’approche les falaises tombent, les enfants aussi, comme le petit Danny Latimer, emporté quelques mois plus tôt. L’Angleterre, la France et le monde ont voulu savoir et ils ont su, lors de la conclusion de la première saison, qui était le coupable du crime atroce qui avait paralysé la ville et fait d’elle le centre de l’attention médiatique de toute la planète. Broadchurch, telle est son nom. Broadchurch va mourir à nouveau et revivre à nouveau. Comme tant d’autres avant elle (on pense instinctivement à Twin Peaks mais ce fut le cas d’un nombre incalculable de séries américaines de networks qui survivent tant que les audiences suivent), Broadchurch ne pouvait s’arrêter là. Son intrigue le méritait pourtant, son coup d’éclat fugace, sa capacité à évoquer la perte d’un enfant sans pathos ni sensiblerie, sur le fil tendu entre l’émotion et le grotesque. Broadchurch avait réussi. Elle avait, lors de sa première diffusion anglaise en 2013, clairement imposé l’Angleterre comme la plus grande pourvoyeuse de séries télévisées, bien au-dessus des États-Unis. Elle avait aussi remis au goût du jour le whodunnit, cette enquête policière où le spectateur cherche activement aux côtés des autorités qui est le coupable du meurtre ou de l’enlèvement d’un individu, souvent jeune et (faussement) innocent. Une kyrielle de clones ont suivi Broadchurch en seulement deux ans. Moins courageuses, moins trépidantes, ou seulement nées trop tard. Ce qui n’a pas empêché Chris Chibnall, créateur et showrunner de la série, de s’imposer un défi de taille : retourner à Broadchurch pour reprendre son histoire, peut-être en faire autre chose, ou tourner élégamment en rond pour tous nous perdre.

Si le passage du dehors au dedans, de l’enquête en plein air aux murs froids des tribunaux, relève d’une démarche de remise en question de son propre matériel narratif particulièrement électrisante, n’omettons pas le lot d’idées éculées qui viennent entacher cette pirouette scénaristique

Même cadre donc, le temps a passé, et la série s’intéresse à la continuation de la vie des personnages précédemment présentés. Pas de repos éternel pour eux, car après la tragédie et le meurtre vient le temps du procès. Habile manière de tourner autour du pot, de revenir sur les lieux du crime, de pister les indices, de revoir les témoignages, d’observer ce qui fut bien mené ou non lors de l’enquête de la première saison. Broadchurch se regarde, galvanisée, obsédée par son pouvoir, dans un nouvel effort pour écraser ceux qui s’y ébattent. La série avance ainsi lentement sur un nouveau terrain, transformant son procedural en pur legal drama, se tournant entièrement vers ces nouveaux procédés parfaitement maîtrisés. Si cette transmutation, ce passage du dehors au dedans, de l’enquête en plein air aux murs froids des tribunaux, relève d’une démarche de remise en question de son propre matériel narratif particulièrement électrisante, n’omettons pas un lot d’idées éculées qui viennent entacher cette pirouette scénaristique : Broadchurch recommence ainsi à zéro et ne peut s’empêcher de nous promettre les mêmes problématiques que lors de sa première saison. Chaque habitant a un secret et ceux-ci n’ont pas encore été tous révélés. Pire, Broadchurch pourrait être le théâtre d’un autre crime à venir, quand le meurtre de deux jeunes filles vient hanter l’enquêteur Alec Hardy, magistral David Tennant un brin plus caustique ; une affaire qui va se résoudre et vraisemblablement se télescoper avec le meurtre de Danny Latimer. Des storylines qui fonctionnent en couches successives, diluant largement la densité du récit de Broadchurch, comme un précepte idiot qui voudrait qu’à chaque nouveau chapitre d’une histoire celle-ci doive étendre son univers, empoisonner son monde et multiplier ainsi ses problèmes jusqu’à ce que tout le monde lui ressemble. Une infection, un schéma de pensée qui s’inscrit dans toutes les familles, vivant ainsi toutes la même tragédie, à l’image finalement de ce qui s’est passé à la télévision anglophone depuis ses deux dernières années avec les innombrables copies de la série.

Les continuateurs ont été nombreux tous comme les clones avoués. Gracepoint, remake plan-plan qui exporte sa misère aux États-Unis, toujours avec la mine patibulaire de David Tennant, n’a convaincu personne. Bientôt, ce sera en France que se déroulera cette trame, en Corse plus exactement, avec la diffusion sur France 2 de Malaterra. Broadchurch, expérience princeps qui reprenait avec inventivité des codes oubliés et une trame poussiéreuse, a multiplié ses doubles. Copies en série qui ne peuvent que vendre la même trame, le même objectif, simulant le renouveau en modifiant des détails comme on joue aux sept erreurs ; sourire en coin pendant quelques minutes avant de se rendre compte de l’inutilité de l’entreprise. Gracepoint n’est que l’un des exemples de la couardise des diffuseurs américains quand ils se décident à remaker une série anglophone sans prendre la peine de la transposer dans un contexte différent, de la réécrire et de la réinventer. On pourrait également citer The IT Crowd ou Absolutely Fabulous ; The Office, à l’inverse, fut l’une des seules réussites retentissantes dans cette catégorie. Broadchurch vient pourtant, avec cette saison 2, de créer son plus redoutable adversaire. Un golem d’images qui ne pourra que détruire ce qui a été si consciencieusement établi. Un frère jumeau dont l’existence même galvaude l’éclat d’une première occurrence, d’un premier récit, qui se devait de ne pas se répéter. Mélancolie de l’emprise du petit fantôme dont le sacrifice fut nécessaire pour donner son ampleur à Broadchurch, trésor de la télévision qui a su nous animer pendant huit heures mais qui avait trouvé son point de conclusion logique, une résolution émotionnelle dont la répétition ne pourra qu’éloigner le souvenir, atténuer l’étrange lien qui nous unissait avec ce jeune garçon dont la perte signa le renouveau de la télévision anglaise.

BROADCHURCH (Royaume-Uni), une série de Chris Chibnall, débutée en 2013, diffusée par ITV. Avec David Tennant, Olivia Colman, Arthur Darvill, Charlotte Rampling. 2×8 épisodes de 50 minutes. Diffusion prochaine sur France 2.

Hugues Derolez
Hugues Derolez

Jeune à problèmes et critique franchouillard pour Vodkaster, Slate et Trois Couleurs.

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