FRIBOURG 2014 : «Sommes-nous hors de danger ?»

« Rébellion, protestation, entêtement », voici le programme affiché par Fribourg 2014. Si le festivalier est confortablement assis, son esprit s’apprête à gamberger et ses accoudoirs à s’user. Les films engagés de la Compétition autant que les survival de la section « cinéma de genre » s’annoncent des plus remuants.

« Are we safe ? » / « Sommes-nous hors de danger ? ». Pour promouvoir sa 28ème édition, le Festival international de films de Fribourg, communément appelé FIFF, a choisi une image extraite de son film d’ouverture, A Prayer for Rain, avec la citation inscrite en toutes lettres. Tout un programme donc, figuré par ce plan d’un homme coiffé d’un casque de chantier dont l’interrogation semble s’adresser au spectateur tapi hors-champ. En l’occurrence, dans ce récit, la réponse est « non ». Il s’inspire d’une catastrophe industrielle sans précédent : en 1984, une fuite dans une usine de pesticides cause plus de 25 000 morts à Bhopal, en Inde.

HAEUNDAE de Youn Jk Au-delà de la citation, au-delà du fait qu’une « capture d’écran » distille d’emblée les notions d’enfermement et d’avilissement au cinéma, l’image de cet homme casqué peut convoquer une amusante citation a priori totalement hors-sujet du comique Jerry Seinfeld : « Il y a beaucoup de choses que nous pourrions citer comme preuve que l’être humain n’est pas intelligent. Le casque est mon préféré. Pourquoi l’avons-nous inventé ? Apparemment, parce que nous participions à de nombreuses activités qui avaient pour conséquence de nous ouvrir le crâne. Nous avons examiné la situation, et nous n’avons pas choisi d’éviter ces activités, mais plutôt de fabriquer de petits chapeaux en plastique pour que nous puissions continuer à nous ouvrir le crâne. La seule chose plus bête que le casque est la loi qui oblige à le porter, puisque son but est de protéger un cerveau si faible qu’il ne cherche même pas à sauver le crâne qui le contient ». Hors-sujet ? Pas tant que ça, finalement. Il y a dans les films proposés par le FIFF cette année l’idée de faire état d’un monde fissuré, de destructions éparses, dont les causes indiquent au mieux le taux de folie, au pire celui de la bêtise dans lequel il est plongé. La section « Cinéma de genre », via sa thématique annuelle (« Survivre » pour 2014), en atteste à son tour et propose de voir ou revoir les blockbusters coréens Snowpiercer, The Tower et Haeundae, Out of Inferno des frères Pang ou encore Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare avec Steve Carell et Keira Knightley. L’hystérie rôde.

La décontraction affichée de cette section tranche un peu avec le sérieux de la Compétition, mais l’affolement de ses personnages reste comparable. Fish & Cat, le Prix spécial Orizzonti à la Mostra 2013, commence par évoquer un festival de cerfs-volants avant de se réorienter vers le cannibalisme. Les manuscrits ne brûlent pas de Mohammad Rasoulof revient sur la tentative du régime iranien en place en 1995 de diriger dans un précipice un bus transportant des journalistes. Le « revenge movie » To Kill a Man, Grand Prix World Cinema de Sundance, est annoncé comme l’application brutale et amère de son titre-programme. Quant à Han Gong-Ju, le grand gagnant de Deauville Asia 2014, il possède depuis Busan la réputation d’un tourbillon qui emporte ses personnages et les spectateurs aux limites de la folie ; définition que partage sans aucun doute Moebius, le nouveau film de Kim Ki-Duk. Au terme de cette escalade dans la terreur, qui pourrait bien avoir pour point d’orgue le film de torture israélien Big Bad Wolves, la Montgolfière d’or 2013 que nous avons aimé à Nantes et qui se pose désormais en suisse devrait, plus que jamais, s’apprécier comme une bouffée d’air frais. C’est Au revoir l’été de Kôji Fukada, un film qui pourrait, espérons-le, fleurir sur les écrans français à l’automne comme son titre l’indique mais qui se contente d’embellir le printemps suisse pour le moment et de briguer le Regard d’or 2014. Le lauréat succédera aux Trois soeurs du Yunnan de Wang Bing, d’ailleurs lui-même Montgolfière d’or quelques mois plus tôt, en novembre 2012. De bonne augure pour la chronique douce-amère de Kôji Fukada. Exception faite que Wang Bing est déjà de retour en Compétition avec une œuvre colossale : ‘Til madness do us part. A Nantes, son film est reparti avec la Montgolfière d’argent, juste derrière le film de Fukada, donc. Pour eux, Fribourg prend des allures de match retour.

Le Festival International de films de Fribourg se déroule du 29 mars au 5 avril 2014.