Envoyé spécial à… Vendôme 2013

« Je les aime depuis toujours et de temps en temps je vais les voir » chantait Michel Delpech en parlant du Loir-et-Cher et de ses habitants, une région d’accueil, du travail de la terre, mais aussi de culture. Rien qu’à Vendôme – moins de vingt mille habitants – on dénombre des centaines d’associations et plusieurs festivals de musique, de poésie, et aussi de cinéma. Et tant pis si une partie de la compétition de courts-métrages a déjà tourné ailleurs, c’est clairement par sa chaleur que le Festival de Vendôme marque les esprits.

 

Premiers films, premiers amours : la jeunesse ne cesse de se rencontrer dans l’univers du court-métrage et parfois de la plus belle des façons. La bienveillance du regard porté par les organisateurs de festivals mais aussi par les festivaliers qui y participent a une vertu essentielle : il ne faut pas brusquer les réalisateurs débutants, mais plutôt leur laisser un peu de temps, reconnaître leurs efforts et tenter d’oublier leurs travers. À part quelques exceptions que nous évoquerons par la suite, comme Laurent Achard, rares sont les cinéastes qui se consacrent totalement au format du court-métrage. Nos visionnages et nos pérégrinations nous amènent donc à la découverte de jeunes cinéastes, français, portugais, japonais, qui veulent se hisser au plus haut en partant de l’exercice premier, l’expérience princeps de tout réalisateur qui fait ses armes, le format court. Vitalité d’un cinéma sans expérience qui n’a rien à perdre mais tout à prouver et qui peut se permettre toutes les audaces et toutes les effronteries.

Dans « Dahus », on apprivoise une tarentule, on se bat contre plus âgé que soi, on tombe amoureux, on peine, on veille, on survit, bien heureusement épaulé par le dahu

Les efforts en question ont été notamment remarqués concernant 37°4 Sd’Adriano Valerio, au Festival de Cannes ou Pour la France, de Shanti Massud, au Festival de Pantin, qui l’a récompensé. Le Festival de Vendôme offre une exposition nouvelle, une continuité logique  à ces deux oeuvres à la forte personnalité. Il y a la jeunesse optimiste d’un côté (37°4 S) et celle qui s’auto-détruit (Pour la France). Dans la première catégorie, le très mystique Dahus de João Nicolau (réalisateur de L’Épée et la rose) s’impose en titan, avec son histoire d’amour évidente car d’une pureté confondante. Le cadre des colonies de vacances y est celui de toutes les aventures : on apprivoise une tarentule, on se bat contre plus âgé que soi, on tombe amoureux, on peine, on veille, on survit, bien heureusement épaulé par le dahu, cette créature fantastique dont la durée de vie est supposée tenir à une poignée de semaines estivales, selon les adultes essayant d’insuffler un peu de croyance aux enfants. Comme chez Wes Anderson, on s’y aime intensément, sans sommation et dès le plus jeune âge. L’enfance amène toutes les expériences mais aussi les plus fidèles compagnons. Nicolau retranspose impeccablement les enjeux de cet âge, la perception des couleurs comme celle de l’évolution des humeurs, avec la dose de sérieux et de gravité que nous avions tous lorsque nous tombions amoureux pour la première fois.

On y croit vraiment. Lorsque l’adolescence vient, on pense vraiment pouvoir aimer pour toujours. Comme dans les beaux ornements de Pour la France, son noir et blanc précieux proche de celui de Jean Eustache, où Paris est le centre névralgique de la drague mondiale. Il y reste quelques irréductibles qui se laissent aller, tombent amoureux, et refusent de changer d’idée. Le même paradigme est au coeur de 37°4 S d’Adriano Valerio, petit neveu fébrile de Gus Van Sant, qui signe un film ouaté au cadre enchanté : la minuscule île de Tristan da Cunha, où tout le monde se voit et se connaît, et où deux jeunes gens grandissent en même temps jusqu’à fort logiquement tomber follement amoureux. Tout est flou, imperceptible, baignant dans l’approximation des images qui semblent déjà devenir des souvenirs. Ce garçon, capable de faire le tour de son monde en quelques minutes, apprend que la jeune fille qu’il aime veut partir faire ses études à Londres. Acceptera-t-il de tout abandonner pour la suivre ? Existe-t-il seulement sans elle ? Du premier amour on arrive à la première évidence : rien ne dure toujours. Et pourtant, la supplique finale ne saurait être plus belle : même si elle doit me quitter « tout ira bien ».

La boîte de jeu de « Jumanji » s’enfonce dans les flots et ressort plus loin, sous une autre forme, une nouvelle boîte de jeu en noir et blanc, dans « Lifeboat »

L’un des interludes de compétition internationale de Vendôme mérite largement d’être mentionné. La Chapelle Saint-Jacques proposait aux visiteurs une succession de mash up, de décryptages interactifs et d’animations farfelues mises en pratique sous l’enseigne Voyage en cinéphilie. À l’image, au sein de cette chapelle tout juste dépoussiérée, nous découvrons une formule étonnante : le cinéma est soluble dans l’eau.

Après un long travail d’archivage, de référencement et de programmation, un algorithme a été mis en place. Sa fonction ? Lier entre elles des séquences de films différents, fluidifier la transition de l’un à l’autre par le montage thématique, par l’association d’idées en somme. Des milliers de séquences aquatiques, du débarquement d’Il faut sauver le soldat Ryan aux chutes d’eau d’Aguirre, se retrouvent accolées, mises bout à bout. L’idée forte du dispositif est de pouvoir jouer sur l’aléatoire et le nombre extravagant d’extraits de films. Cet outil ne liera jamais deux fois les deux mêmes séquences entre elles, ou seulement après des semaines de calcul. La boîte de jeu de Jumanji s’enfonce dans les flots et ressort plus loin, sous une autre forme, une nouvelle boîte de jeu en noir et blanc, dans Lifeboat. Un verre d’eau rempli sera bu par un autre personnage à l’autre bout du spectre du cinéma, trente ans plus tard ou cinquante avant, même liquide, même substance qui fait vivre, l’homme et donc le cinéma, dans un récipient filmique différent.

Les possibilités sont immenses et se déroulent devant nos yeux alors que le sens de ce mash up sans fin prend forme dans notre esprit. Cette narration dissolue nous tire du confort de notre salle de bain jusqu’à l’urgence d’une goélette perdue dans la tempête. Si l’image coule d’elle-même, c’est sa façon d’imposer une nouvelle narration qui frappe, remontage de toute l’histoire du cinéma à travers un seul de ses éléments, synecdoque qui s’aventure sur les terres de l’expérimentation interactive. Aucun de ces montages ne sera jamais le même et aucun spectateur ne l’interprétera de la même façon. Le film est total, unique, épuisant toutes ses possibilités. Il se regarde religieusement, dans un lieu de culte abandonné, et renforce certainement notre croyance en le cinéma et son histoire.

Créé à partir d’un amas de poils, comme une pelote de laine multicolore et protéiforme, « Oh Willy » met en scène le quotidien d’une communauté de naturistes

Qu’est-ce que le court métrage peut nous dire de 2013 ? Qu’a-t-il encore le temps de faire ? Malheureusement, et parfois non sans prétention, les plus jeunes veulent copier les plus âgés. Les courts-métrages présentés en compétition à Vendôme étaient graves, parfois lugubres, avec leurs quotas de cadavres d’animaux par exemple, assez puritains aussi, évacuant toute scène de sexe, leur préférant l’agonie lente des personnes âgées ou désespérées. C’est ce que nous appellerons le syndrome « Amour ». En s’intéressant au même sujet que le film de Michael Haneke, à savoir les derniers instants d’une dame souffrante craignant la mort, le jeune cinéma français ne fait pas que singer ceux qui ont été récompensés, afin de se faire remarquer : il apporte la nuance que certains ont regretté de ne pas trouver dans Amour, il réplique à la froideur clinique du long-métrage de Haneke en proposant des variations autour de lui, plus émotives, fièrement fantastiques.

Petit matin, de Christophe Loizillon, film familial et choral où toute une famille se trouve funestement réunie le jour de la disparition de la matriarche, donne la sensation de vouloir occulter le terrible souvenir d’Amour. On y meurt dignement, dans son sommeil, sans même s’en rendre compte, pour n’exister ensuite que par les souvenirs de ceux qui nous chérissaient. Les courts-métrages qui prennent le même sujet à bras le corps sont des films hommages à la vie et à l’amour qui transcende la mort. En cela, Le Tableau, le dernier film de Laurent Achard (son long-métrage Dernière séance est sorti au cinéma en 2011), a tout de la riposte mystique à l’austérité et au pragmatisme du film de Michael Haneke. Mourir peut aussi être une façon de se débattre avant d’accepter cette invitation, cette ultime aventure, en partant à la rencontre de l’inconnu. Sans expliciter mais en usant de symboliques un peu pompières, Achard fait de l’homme un compagnon de route, qui reste près de ceux qu’il aime jusqu’à la mort, et retient ce qui compte  – ce que nous avons pu créer, comment nous avons aimé, les mots que nous avons prononcé – sans faire table rase du passé.

Dernière incarnation notable du crépuscule de l’homme, l’étonnant film d’animation d’Emma de Swaef et Marc Roels, Oh Willy, a fait forte impression dans tous les festivals par lesquels il est passé. Un paradoxe dans sa forme et son histoire captive immédiatement : créé à partir d’un amas de poils, comme une pelote de laine multicolore et protéiforme, Oh Willy met en scène le quotidien d’une communauté de naturistes. Loin du monde, au coeur de la forêt, ce petit village voit revenir l’un de ses enfants, longtemps oublié, longtemps habillé, au moment où sa mère décède. La mort n’est que le commencement d’une escapade lugubre où les souvenirs côtoient la réalité, les morts les monstres, les vivants les étoiles. À la manière de Super 8, le héros part à la rencontre de cette mère disparue et tente de retrouver sa chaleur sous la forme la plus inhumaine qui soit.

Entre « La Linéa » et les films de Bill Plympton, « Us » représente l’humanité par une poignée de simili-cromagnons, ancêtres gueulards des Sims, qui se promènent en vociférant dans un univers vide

Doit-on s’attendre, lors des festivals de courts-métrages de la saison 2014, à voir fleurir uniquement des romances adolescentes ? Des jeunes femmes qui découvrent leurs corps et leurs préférences ? Certainement. Pourtant, fort heureusement, certains réalisateurs échappent à ce phénomène. Nous finirons donc tout à fait arbitrairement par un petit top personnel des créations dont il faudra suivre la carrière avec attention. Us, film d’animation anarcho-créatif, parle autant de nous que de nos coutumes. Entre La Linéa et les films de Bill Plympton, Ulrich Totier représente l’humanité par une poignée de simili-cromagnons, ancêtres gueulards des Sims, qui se promènent en vociférant dans un univers vide. Quand ils découvrent un caillou tombé du ciel, leur monde est réinventé : on comprend que cet objet quasi-mystique est précieux, peut donner un certain statut social à celui qui le possède, mais qu’il peut aussi servir d’arme, d’outil créatif ou tout bêtement de décoration. S’ensuit une ribambelle de cocasseries et de cascades qui résument à elles seules et en quelques minutes le destin froidement crétin et très réaliste de l’humanité.

Avant que de tout perdre de Xavier Legrand s’attache à une femme qui ne supporte plus les coups et les brimades de son mari et décide de s’enfuir loin de lui. Un dernier obstacle s’élève cependant devant elle : alors qu’elle vient expliquer la situation à son employeur sur son lieu de travail, un supermarché, son mari fait irruption. Une dernière fois ? S’ensuit une course-poursuite entre les deux anciens amants cherchant à se libérer de leurs chaînes, une tension graduelle qui rappelle les meilleurs polars télévisuels, distillée sur une durée d’une trentaine de minutes parfaitement justifiée. Le documentaire cru de Valéry Rosier intitulé Silence Radio faisait, lui, figure d’ogre dans la compétition, avec ses cinquante minutes enthousiasmantes ou exaspérantes, c’est au choix. Dans la campagne picarde, la radio locale Radio Puisaleine émet depuis des décennies et continue de trouver son public. Succession de portraits hauts en couleurs, comme un épisode de Strip Tease qui s’intéresserait à toute une communauté, Silence Radio défend avec ferveur l’idée que la radio est, encore aujourd’hui, un vecteur d’interactions sociales, de rencontres, d’amours partagées. On y découvre la vie de l’équipe qui l’anime, son énergie et ses bévues, et ses fidèles auditeurs, à côté du poste, qui suivent jour après jour les mêmes voix pour accompagner leur quotidien. La chanson populaire y est écoutée religieusement, racontée, et fait le lien entre ceux qui restent et ceux qui les ont quittés. Jamais la diffusion sur les ondes de mélodies nostalgiques n’aura eu autant d’importance. Une dernière demeure pour les âmes esseulées.

 

Le Festival du Film de Vendôme 2013 s’est déroulé du 6 au 13 décembre.

 

Hugues Derolez
Hugues Derolez

Jeune à problèmes et critique franchouillard pour Vodkaster, Slate et Trois Couleurs.

Articles: 12