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Un conte funeste en huis-clos, sur l’amour qui unit un couple d’octogénaires, sur la mort qui rôde. Michael Haneke invite à partager leurs derniers instants, et à scruter chaque recoin du cadre pour mieux appréhender leur quotidien, leur passé, leurs ultimes désirs d’évasion face à la mort. Une oeuvre magistrale dont le spectateur ressort épuisé.
Amour s’ouvre sur l’image d’un corps quasiment momifié allongé sur un lit, celui d’une vieille dame, Anne. Pompiers et policiers investissent l’appartement, et ouvrent les fenêtres pour évacuer l’odeur de putréfaction. L’un d’eux précise que la fenêtre de la chambre à coucher, elle, « était déjà ouverte ». Par ce geste, son mari Georges l’avait enfin libérée.
Cette libération, le spectateur ne peut la saisir pleinement qu’au terme d’un récit que Michael Haneke aura constamment enrichi de motifs d’enfermement et de délivrance. Passé le prologue, l’histoire évoque patiemment les derniers mois du couple, alors que Georges s’occupe seul de son épouse. Suite à un AVC, la partie droite de son corps ne répond plus, et son esprit aussi s’est partiellement enfui. Dans ce contexte douloureux, la mise en scène de Michael Haneke se charge d’expliciter l’envie d’évasion contrariée de ses deux personnages. Les quatre murs assurent un rempart concret, mais aussi symbolique pour qui observe les objets qui les ornent. Un exemple : lorsqu’un ami pianiste rend visite au couple et leur confie « ne plus vivre que pour Schubert », son contre-champ met en lumière un disque vinyl du compositeur autrichien. Ici, l’horizon se lit en repli. Ce n’est pas en ces murs que l’on échappera à sa condition, semble énoncer Haneke. Peu après, un pigeon désorienté atterrit lui aussi chez Georges et Anne, avant de reprendre son envol dans la minute. Dès la scène suivante, l’oiseau réapparait pourtant sous la forme d’un dessin, disposé sur une étagère et enfermé dans un cadre comme il pourrait l’être dans une cage. Aucune échappatoire n’est envisageable dans ce foyer déjà hanté par la mort.
Leur maison, leur prison, ne saurait offrir à Anne et Georges la marque d’un quelconque espoir de renouveau. Au gré des déplacements du couple, la caméra capte à l’arrière-plan une dizaine de tableaux, disséminés dans toutes les pièces, représentant chacun un paysage ample : forêts, carrières, plages, ou mers et horizons confondus. Vers la fin du film, ces tableaux s’affichent plein cadre à l’image, les uns à la suite des autres. C’est une séquence jumelle d’un autre défilement de peintures : dans Hana-Bi (Takeshi Kitano, 1997), le meilleur ami paralysé du protagoniste avait déjà trouvé refuge dans cette échappée illusoire. Mais ces belles images restent planes, irréelles.
Les rêves et les souvenirs du mari traduisent encore ce besoin d’ailleurs, pour lui et celle qu’il aime. Une scène, glaçante, le voit déambuler dans les couloirs de leur immeuble alors que sa femme l’appelle, au loin. L’ascenseur est condamné, l’escalier aussi. Même en songes, Georges ne peut s’échapper. Cette sensation, il l’a déjà vécue dans son enfance : en colonie de vacances, maltraité par un adulte, il fut enfermé, tomba malade puis admis dans une clinique, « en quarantaine ». Avant de partir pour le camp de vacances, sa mère et lui avaient convenu d’un message codé : il dessinerait des fleurs sur une carte postale seulement s’il passait de bons moments. Il ne le fit pas. Les fleurs, des années plus tard, sont devenues autant d’arbres, autant de forêts sur les tableaux qui ornent son appartement ; pour un même symbole, figé, d’une fuite rêvée. La souffrance, la solitude, l’agonie, il les avait ainsi expérimentées à sa manière, encore petit garçon. Et s’il partage ce souvenir avec Anne, épouse qu’il qualifie d’ailleurs d’« enfant sans défense », c’est parce que l’issue de son calvaire de jeunesse fut heureuse : sa mère vint le chercher, vint le sauver. Alors qu’Anne est au plus mal, c’est cette idée que George cherche à transmettre à celle qu’il aime, celle qui lui échappe : il suffit seulement d’une personne, d’une personne aimante, et pour elle, il sera cette personne.
AMOUR (France, Allemagne, Autriche, 2012), un film de Michael Haneke, avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert, Laurent Capelutto. Durée : 127 min. Sortie en France le 24 octobre 2012.