Brive, le festival qui aimait les femmes
Une belle dixième édition où les femmes partagent l’affiche avec la mythologie, où le meilleur du cinéma français côtoie le pire du cinéma allemand.
JE SENS LE MYTHE QUI MONTE EN MOI
Plaisir et frustration mêlés. On trouve dans les meilleurs moyens métrages français de cette dixième édition la vitalité qui manque au long métrage commercial. Qu’attend-on pour la ramener au centre ? 60 ans après la Nouvelle Vague, le cinéma français n’aurait-il pas besoin de se fabriquer une nouvelle mythologie, de se trouver de nouveaux héros ? « Demain, ils feront le cinéma français » déclaraient Les Cahiers du Cinéma en 2010 à propos d’une nouvelle génération de réalisateurs débrouillards. La nouveauté, c’est qu’il est aujourd’hui possible de parler d’un cinéma français indépendant. Ce n’était pas le cas il y a quelques années.
On doit 13 des 23 moyens métrages présentés à des réalisatrices. Beaucoup tournent autour d’une figure féminine, présente ou absente, historique ou mythologique (parfois les deux) : l’écrivain Gertrude Stein, la déesse Artémis, Jeanne d’Arc, la Mère Courage et la mère tout court. Brive, le festival qui aimait les femmes. Un peu pour le pire et beaucoup pour le meilleur.
1 + 1 = 0
Commençons par les indigents At Once et One Song (Grand Prix Europe). Le premier raconte deux fois le même adultère en adoptant le point de vue de l’un puis de l’autre. Un procédé inutile, tout aussi vain que les scènes de sexe. Comme s’il fallait à tout prix mettre ses acteurs à poil pour faire du cinéma de professionnel. One Song est déjà plus sympathique comme version fauchée de Kramer contre Kramer. Un rastaman gagne chichement sa vie et élève seul sa fille après le départ inexpliqué de la mère. Elle revient. Problème : il a rencontré quelqu’un d’autre. Le triangle amoureux n’intéresse pas la réalisatrice Catalina Molina. Tant mieux. Mais que va-t-on y trouver à la place ? Rien, si ce n’est un retour à la situation initiale. Paresseux et anecdotique. La famille dysfonctionnelle est plus belle à voir dans Retenir les ciels, même si l’intime n’est son pas fort. Les espaces sauvages du Larzac ont en effet plus d’épaisseur que les personnages. C’est déjà quelque chose de réussir à capter la cinégénie tout américaine du mythique plateau. Iris (Lolita Chammah) vit dans un coin de paradis avec Ezéchiel et sa fille Luna qu’elle s’apprête à abandonner. Par peur de la perdre. Luna est à la veille de ses quatre ans, l’âge de la sœur d’Iris quand elle a disparu. Trop théorique, platement incarné, ce mal-être maternel n’est pas la meilleure chose à garder de Retenir les ciels. Le premier film des soeurs Laperrusaz emportent néanmoins le morceau grâce à son lyrisme et à sa beauté plastique.
GERTRUDE
On peut le trouver abscons, opaque. Déjeuner chez Gertrude Stein d’Isabelle Prim séduit pour son étrangeté, lynchienne par endroits, et son montage, ludique, inventif, riche en textures sonores. La Fée invitée à déjeuner chez Stein glisse littéralement d’un monde à l’autre. Elle a à sa disposition un fond vert. Une porte vers l’ailleurs, utilisée comme les trous portables dans le cartoon. Dans Déjeuner chez Gertrude Stein, un trio vocal donne à entendre une musique singulière, envoûtante, bien qu’on ait du mal à en saisir le sens. Cette musique est verbale. C’est celle de l’auteur Olivier Cadiot, passé par les mots de Stein pour son roman Fairy Queen – Déjeuner chez Gertrude Stein en est l’adaptation. Là encore, il y a glissement, déplacement : invisible à l’image, Cadiot parle pour l’écrivain, à sa place (parfois, on croirait entendre Vincent Lindon), il est Stein, Christophe fait plusieurs apparitions dans le rôle d’Alice Toklas, son amante et il est plus une voix parlée que chantée (toujours superbe et éthérée), Isabelle Prim prête son timbre doux et brillant à la fée interprétée par sa sœur (Camille Prim). Déroutant et hypnotique.
ARTÉMIS
Du bricolage, il y en a encore dans Artémis, cœur d’artichaut d’Hubert Viel, une remarquable odyssée de poche tournée en Super 8 et en noir et blanc (son réalisateur revendique l’héritage de la Nouvelle Vague, et la post-synchronisation qui va avec). La mise en abyme fait peur dans les premières minutes. Viel se met en scène dans son propre rôle de « narrateur omniscient ». Finalement, sa présence s’intègre bien à l’ensemble. Elle sert de subtils décalages comiques : Artémis est bien la fille de son père Zeus, mais elle habite à Caen où elle suit des études de lettres. Solitaire, l’héroïne fait la connaissance de l’exubérante Kalie Steaux (Noémie Rosset, une révélation, la nouvelle Arletty, rien que ça !). Les deux filles font une virée en bagnole. En chemin, elles draguent un pizzaiolo, font la connaissance d’un musicien spécialisé dans le « punk pour enfants » (une scène de concert à mourir de rire) et discutent du cinéma de Hawks. Mais Artemis n’est pas une resucée du Marin masqué de Sophie Letourneur. Si le film s’amuse du décalage entre la mythologie antique et le contemporain, il revient au surnaturel à des moments opportuns, selon la logique hitchcockienne du « Un avion à saupoudrer, ça sert à saupoudrer ». Une déesse, c’est divin. Par le truchement de son médaillon, Artémis déclenche la foudre quand deux gendarmes un peu trop zélés passent les menottes à Kalie. Elle peut aussi transformer un homme en cerf s’il se montre trop entreprenant. Mentionnons enfin, au terme du périple, la colorisation de ses souvenirs de famille, vus dans la première partie : une maison de vacances, une vieille casserole sur le feu, du lait chaud versé dans un bol, papa Zeus qui dévale la piste enneigée. Dans cette scène émouvante, Viel réinvestit le Super 8 pour ce qu’il est. Le dieu des petits formats. Mythologie, intime.
JEANNE
La rencontre entre mythologie et temps présent est plus saisissante encore dans Orléans. Transformiste, le film de Virgil Vernier explore différents registres, parfois simultanément. Tout démarre de la manière la plus classique qui soit : pour un documentaire, puisque c’est l’apparence que se donne Orléans dans un premier temps. L’ouverture s’attarde sur les rues, monuments et « vraies gens » de la ville de Jeanne d’Arc. Après cette séquence topographique, tout porte à croire que les stripteaseuses Joane et Sylvia jouent leurs propres rôles (elles sont plutôt crédibles à la barre), tout porte à croire que l’immersion dans le night-club est un témoignage sur leur condition (la barre de poledance comme potence moderne, de nouvelles Jeanne données en spectacle). C’est le cas, mais jusqu’à quel point ? Où s’arrête le documentaire ? Où commence le mensonge ? L’amant nazi de Sylvia a-t-il jamais existé ? Ils doivent être très peu dans le monde ces hommes qui offrent Mein Kampf et des broches en forme de croix gammées à leur petite amie. Vernier a ses petits secrets. Il ne veut rien dire. On ne peut que lui donner raison. Ce mystère fait la magie d’Orléans.
Revenues à leur vie privée et diurne, Joane et Sylvia rencontrent une vraie-fausse Jeanne d’Arc dans un bois puis vont se perdre avec la Pucelle dans Orléans, en pleine célébration. On croirait ces fêtes organisées spécialement pour le moyen métrage de Vernier. Le cinéaste avait sous les yeux des choses fantastiques, des choses de cinéma qui auraient coûté extrêmement cher s’il avait dû les recréer sur un plateau : les Orléanais en costumes, la liturgie comme au Moyen-Age, les jeux de rôles comme d’hypothétiques scènes de film historique et, pour le plus impressionnant, ce spectacle sons et lumières projeté sur les murs d’une cathédrale. Un film en soi. Un film de reconstitution. Les gamins de Super 8 seraient sûrement d’accord : on a affaire à une extraordinaire « plus-value sur la prod ». Orléans ne s’est pas fait en un jour mais en cinq. Un tour de force. Tout le contraire du Jardin d’Attila, un autre film en costume qu’il faudrait regarder avec sa tablette ou son téléphone portable allumés, connecté sur Wikipédia. 30 minutes de carnaval et de propos fumeux sur les mythologies politiques, la propriété, le commerce, l’héritage, la filiation. « Il n’y a pas d’histoire dans ce film » : autant dire qu’on atteint ici le degré zéro de la réflexivité. Le Jardin d’Attila, c’est un peu Barry Lyndon refait par l’équipe de C’est pas sorcier. Dans le générique de fin, on remercie Marx, Proudhon, et d’autres philosophes et écrivains célèbres. Quelle arrogance. LOL.
ANDREA
Dans le panorama consacré au cinéma anglais, on découvrait enfin Wasp, le magnifique premier court métrage d’Andrea Arnold. Rien à voir avec le White Anglo-Saxon Protestant. « Wasp » est l’anglais pour dire « guêpe ». La bestiole se fraye un chemin dans la bouche d’un adorable bébé abandonné sur un parking. Avalera ? Avalera pas ? Ses quatre sœurs assistent à la scène, impuissantes, tandis que leur mère Zoé fricote, juste à côté, avec un ami de son ex. Pour ne pas l’effrayer, elle préfère lui cacher sa progéniture. Pourquoi ne pas avoir fait appel à une baby-sitter ? Pourquoi emmener la marmaille si c’est pour lui dire d’aller voir ailleurs ? Pourquoi les enfants meurent-ils de faim ? Zoé a à peine les moyens de leur payer un coca et des chips. Situé dans les quartiers populaires de Londres, Wasp appelle la comparaison avec Ken Loach. Mais ce serait du Loach hyperactif, dopé à la Red Bull. Le filmage est au diapason de l’énergie débordante de l’héroïne. L’énergie du désespoir ? Plutôt l’énergie sans le désespoir.
Comme semblent le dire Zoe et sa marmaille : see you next year !