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À l’issue du festival européen du moyen-métrage de Brive, nous avons voulu nous entretenir avec Dania Reymond, récipiendaire du Prix de la jeunesse pour son film Le Jardin d’essai. À cheval entre documentaire et fiction, le film suit les doutes et les espoirs de jeunes comédiens en pleine répétition dans ce parc mythique d’Alger. Film dans le film qui nous dit un peu d’un pays en reconstruction, de son cinéma, de sa poésie et surtout de son bel optimisme.
Tu peux nous parler de la genèse du projet ?
C’est vraiment né avec l’envie de filmer le Jardin d’essai (du Hamma à Alger, ndlr). Pour la petite histoire, le jardin a été créé pendant la colonisation et était d’abord destiné à tester l’acclimatation des plantes exotiques sur la terre algérienne, dans un esprit de conquête du territoire et de transformation du paysage. (Un jardin d’essai est, à l’origine, un jardin botanique établi dans les colonies pour servir de source d’approvisionnement et fournir des renseignements culturaux aux colons, ndlr). Ce n’est que par la suite que c’est devenu un parc. Une légende dit que le premier Tarzan a été tourné là-bas (en effet, c’est une légende : L’homme Singe de W. S. Van Dyke avec Johnny Weissmuller a été tourné à Lake Sherwood en Californie, ndlr). C’était donc l’occasion de filmer un lieu rattaché à l’histoire de l’Algérie et à celle de son cinéma.
Son cinéma, à cause de Tarzan ?
Non, parce que le cinéma est arrivé en Algérie par le biais de la colonisation, ça a d’abord été un outil de propagande. Ensuite, à l’indépendance, il a été utilisé par la nation algérienne pour se forger une identité. En tout cas je trouve que son caractère exotique, tropical, évoque l’imaginaire hollywoodien de l’époque. Il y avait tout cet inconscient du cinéma et de l’histoire de l’Algérie qui se superposent, et ça m’intéresse depuis le début dans mon travail. Toutes ces interactions entre cinéma et histoire, c’est avec ca que je démarre mes projets.
Il y a un aspect protecteur, à la fois du jardin et de la troupe. Deux moments viennent perturber cette quiétude : lorsque des jeunes rappeurs s’insurgent d’être filmés, et un autre lorsque des ados de passage se moquent d’une scène d’amour en plein tournage. Que voulais-tu exprimer, d’abord du cocon que sont le jardin et la troupe, ensuite de ces confrontations avec le « dehors » ?
Peut-être est-ce ma place vis-à-vis du pays qui produit cet effet-là. Je ne vis plus en Algérie depuis mes onze ans. Ce n’est pas vraiment un film sur la société algérienne mais évidemment ça m’intéresse que cette réalité très forte vienne troubler la paisibilité du jardin, ça nous rappelle que le contexte social est assez vif.
Quand vous avez tourné dans ce jardin, il y a eu des réactions de la part des promeneurs ?
Pas tellement parce qu’on avait calqué le plan de travail sur les heures plutôt creuses, histoire de ne pas être trop débordé. Les gens regardaient de loin, ils étaient assez pudiques.
La scène où des jeunes viennent un peu se moquer, ce n’est pas ce qui s’est passé ou ce qui aurait pu se passer ?
C’était prévu dans le scénario, mais je l’ai écrit parce que c’est quelque chose qui aurait pu arriver si on n’avait pas protégé les lieux de tournage. On aurait pu le provoquer, mais ca n’était pas nécessaire parce que déjà prévu dans le film.
Tu parles de provoquer. On sent à certains moments que des plans n’étaient pas dans le scénario…
En fait le film était très écrit, mais je ne voulais surtout pas une histoire toute faite. Je n’ai rien contre le scénario, je trouve ça intéressant d’écrire un film, de le préparer. En revanche, je suis beaucoup moins à l’aise avec l’idée de tourner une histoire toute prête, a fortiori dans ce contexte du cinéma algérien actuel, de cette nation. Ce qui me semblait vraiment important, c’était de montrer que les acteurs s’approprient le film, qu’ils fabriquent leur histoire, qu’ils y mettent toute leur énergie. Je voulais provoquer l’aspect documentaire ; que parfois on s’en foute un peu de comment sont écrites les scènes pour s’intéresser davantage à la façon dont elles sont travaillées. À un moment j’ai vraiment lâché prise, je voulais assister à la rencontre de Samir Elhakim (qui joue le réalisateur) avec les comédiens et leur travail. Du coup ça s’est intriqué. Dans la scène de casting inaugurale par exemple, certaines questions n’étaient pas prévues. Les comédiens eux-mêmes pouvaient jouer ce qui était écrit mais aussi ce qu’ils avaient envie d’y mettre, leurs anecdotes.
Justement, est-ce que les acteurs se reconnaissaient dans la trame du film ? Est-ce qu’ils retrouvaient leur vie d’acteurs en Algérie ?
Oui et même pendant le casting, je me suis assurée qu’il y ait le plus d’adéquation entre ce que j’avais imaginé et ce qu’ils sont, ce qu’ils vivent. Du coup j’ai modifié pas mal de scènes. De toute façon l’histoire est très ténue, il n’en reste pas grand chose, je n’avais pas de discours tout prêt à faire passer. Ensuite il y a la dimension du conte. J’aimais que ce soit un petit conte algérien, c’était important pour moi d’inscrire une histoire de cette terre dans ce jardin qui a été élaboré dans un esprit de conquête.
« À l’indépendance, le cinéma a vraiment participé à la construction du mythe de la nation. En même temps, tous les cinéastes qui ne cadraient pas avec l’esthétique officielle, très populiste, entre le cinéma soviétique et hollywoodien, ont été écartés »
L’interpénétration du conte et du réel, sa langueur m’ont un peu évoqué la saudade qui exprime un désir pour quelque chose que l’on aime et que l’on a perdu, mais qui pourrait revenir dans un avenir incertain. Raoul Ruiz s’en réclamait, est-ce que l’un ou l’autre t’ont inspirée dans la construction du film ?
J’adore le cinéma portugais ! Même si ca ne m’a pas inspiré directement, en tout cas la référence et le rapprochement me plaisent. J’ai quitté l’Algérie très brutalement dans mon enfance, j’ai un rapport très particulier à ce pays, comme beaucoup d’exilés, qui est un mélange d’amour très fort et de quelque chose de perdu. Mais ca évoque aussi sans doute les rêves un peu déçus de la génération de mes parents, qui sont nés pendant la colonisation et ont connu la libération, l’indépendance, avec tout le lot d’espoirs que ca comporte. À cette époque en Algérie, le mieux était possible. Les années 90 ont représenté l’effondrement de tout ça. Je pense que ca hante mon film. Le conte c’est un peu de cet imaginaire-là. Il y a cette mélancolie qui est là, c’est vrai.
Quel est ton regard sur la situation politique, sociale et cinématographique actuelle du pays ?
Je suis un peu à l’extérieur donc ce n’est pas forcément évident d’avoir un regard juste. En tout cas, essayer de comprendre l’histoire du cinéma m’apprend beaucoup sur l’histoire du pays, les deux se superposent. À l’indépendance, le cinéma a vraiment participé à la construction du mythe de la nation. En même temps, tous les cinéastes qui ne cadraient pas avec l’esthétique officielle, très populiste, entre cinéma soviétique et hollywoodien – je ne juge pas -, mais tous ceux qui ne cadraient pas avec ça ont été écartés. C’est assez révélateur de la politique de ce pouvoir. Et aujourd’hui, depuis la décennie noire, toute cette industrie s’est effondrée et rien n’a été fait pour quelle renaisse.
Il y aurait aujourd’hui des réalisateurs pour reprendre le flambeau ?
Oui, il y a une série de films faits par des jeunes réalisateurs vraiment bons, mais ça reste des gestes isolés. J’espère que ça va inciter le pouvoir à ne plus être spectateur de tout ça. Il faut rester optimiste, c’est en train de se faire. Moi je suis trop loin, il faudrait poser la question à des gens qui travaillent là-bas.
Tu disais que le public algérien est très particulier, dans quelle mesure ?
C’est une supposition mais j’ai l’impression que le fait qu’il y ait peu d’images produites par les Algériens sur l’Algérie rend son public très en attente. Il y a un besoin de reconnaissance très fort et, du coup, les déceptions peuvent être très grandes.
Je suis convaincu que non.
(Rire) Je l’espère aussi mais, en tout cas, c’est positif qu’il y ait une pluralité du cinéma qui essaime dans le pays. Ce qu’il faut dépasser c’est l’uniformisation forcée.
Tu as une formation aux beaux-arts, qu’est-ce qui t’a fait aller vers le cinéma ?
Aux Beaux-arts, j’ai intégré un atelier de cinéma où on regardait vraiment des films de cinéma. Le décalage entre ce champ de référence-là et nos conditions de production qui étaient celles des beaux-arts, c’est-à-dire très solitaires et avec peu de moyens, était intéressant.
Tu as reçu le prix de la jeunesse, tu es heureuse ?
Je suis ravie et en même temps étonnée qu’ils aillent vers un film assez déconstruit. C’était un préjugé, j’étais très contente qu’ils aient perçu les enjeux, que ca leur soit complètement accessible. Je suis à la fois ravie, surprise et choquée de mes propres préjugés.
Tu as d’autres projets en France ou ailleurs ?
Je suis en phase d’écriture, j’ai plusieurs projets, notamment en Algérie. Mais pour l’instant je me concentre sur l’écriture elle-même
Tu vas montrer le film là-bas ?
Oui, j’espère. J’aimerais le montrer aux Algériens, pouvoir en discuter avec eux, voir comment ils le reçoivent.
À la fin de l’entretien, Dania tient à ajouter que le film est optimiste, qu’il montre des gens dans l’énergie du travail et la persévérance. « C’est très important pour les comédiens du film : le cinéma et le jeu sont des espérances. Ce film leur rend hommage ».
On épouse tout à fait ce point de vue et on ajoute aussi (parce qu’on avait oublié de le dire jusqu’à présent) que la photo du film est très belle.
LE JARDIN D’ESSAI (France, Algérie, 2016), un film de Dania Reymond. Durée : 42 min.