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Les moyens métrages ont la côte cette année. Alors que trois d’entre eux ont connu une sortie dans les salles de cinéma françaises en 2012 (Un monde sans femmes de Guillaume Brac, Le marin masqué de Sophie Letourneur et Ce qu’il restera de nous de Vincent Macaigne), c’est tout naturellement que la neuvième édition des Rencontres Européennes du Moyen-Métrage de Brive s’est trouvée au centre des regards cinéphiles du 10 au 15 avril dernier.
Le Festival présentait avant tout une très riche compétition de films français et européens ; films d’une durée de trente à soixante minutes, puisque c’est là la définition plus ou moins officielle du moyen métrage. Un peu de douceur pour commencer : l’allemand Papa, d’Umut Dag, est le portrait émouvant d’un jeune père pris au dépourvu par la fuite de son épouse et se retrouvant avec ses deux enfants sur les bras. Sans grande originalité formelle et parfois un peu trop « facile » (l’utilisation de la musique, notamment), le film touche pourtant par une justesse de trait remarquable. Tout le contraire de Midsummer night, de la Hollandaise Hiba Vink. Aucun enjeu, aucune intensité ne se dégage de ce moyen métrage vaguement choc qui dénonce de façon bébête et puérile l’hypocrisie dans un groupe d’amis trentenaires partis en vacances ensemble. Le film, sorte de version « jump-cut » des Petits mouchoirs, est bien loin de rappeler le Songe shakespearien dont son titre est inspiré.
On trouvera davantage son bonheur du côté d’œuvres plus expérimentales (et plus latines!), lesquelles ne manquaient pas dans la compétition. À commencer par le très onirique film portugais de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt Palacios de pena avec ses deux petites filles qui traversent l’imaginaire de leur grand-mère mourante : récit « coq à l’âne » et imagerie foutraque intriguent cependant sans passionner. Autre film portugais, Les Llunes de Galileu, muet et en noir et blanc, est en revanche une merveille. Ses longs plans séquences et ses travellings le long d’une mystérieuse rive sont des éblouissements formels qui évoquent parfois le cinéma de Béla Tarr. Le film est supposé être la première fiction du vidéaste Quimu Casalprim-i-Suárez ; on ne demande qu’à le croire mais on a du mal à y distinguer un récit en bonne et due forme. Qu’importe, on se laisse bercer par la beauté lunaire de ce film placé sous les auspices de Galilée. « Et pourtant, elle tourne » (la caméra). Également en noir en blanc et également splendide, La maladie blanche de Christelle Lheureux se déroule lors d’une fête estivale dans un village des Pyrénées. Le film est uniquement en plans fixes, qui composent un univers tour à tour familier et sauvage, doux et inquiétant, concret et onirique. À mi-chemin du récit, un sanglier entre dans le village ; une petite fille le voit, le suit ; et c’est la confrontation au monde sauvage, le retour aux origines. Christelle Lheureux a collaboré à deux reprises avec Apichatpong Weerasethakul – et il est vrai que La maladie blanche convoque silencieusement à chaque plan les mondes de Tropical Malady ou d’Oncle Boonmee (forêt, grotte, animal qui parle). Voilà bien un « songe d’une nuit d’été » réussi. À noter que le film est visible en ce moment sur www.la-maladie-blanche.com, toutes les nuits du crépuscule jusqu’à l’aube.
Côté français, on a également pu voir la très plaisante Vie parisienne de Vincent Dietschy. Contrairement à beaucoup de réalisateurs de la compétition, celui-ci n’est pas un débutant puisqu’il a déjà réalisé deux longs métrages, Julie est amoureuse et Didine. La vie parisienne, badinage en musique, porte parfaitement son nom. Totalement dans l’air du temps, le film peut rappeler Christophe Honoré par-ci, Valérie Donzelli par-là (cette dernière a d’ailleurs participe à l’écriture du scenario). Et, puisque Serge Bozon joue le rôle principal, la boucle du cinéma musical français contemporain est bouclée. Cette impression de « déjà vu » ne gâche pourtant pas une oeuvre qui reste authentiquement drôle et sincère. Avec au casting, en plus de l’adorable Bozon, l’espagnol Esteban, sorte de Jason Schwartzman sous Lexomil dont c’est le premier rôle, et une Milo McMullen au charme très Nouvelle Vague. Le public brivois ne s’est pas trompé en lui attribuant son prix.
S’il y en a un qui a les faveurs du public en ce moment, c’est bien Vincent Macaigne, venu à Brive présenter en compétition sa bête de festival, Ce qu’il restera de nous (lauréat du Grand Prix à Clermont). On veut bien revoir pour la troisième fois ou plus cette confrontation fraternelle et amoureuse où toute parole ne peut qu’être hurlée et tout plan s’étendre comme à l’infini pour ne pas exploser. On pourra encore revoir le film au festival Côté Court de Pantin en juin, ou l’on avait découvert l’an dernier le très étrange Et ils gravirent la montagne, de Jean-Sébastien Chauvin, éducation sentimentale et politique de Fanny et Simon, jeunes gens en fuite qui seront bientôt amants. La trame policière bascule progressivement dans la science-fiction minimaliste ; et le récit « traditionnel » dans la rêverie organique, où la nature prend une place prépondérante. Un conte initiatique beau et bizarre.
Mais c’est Nos fiançailles, documentaire passablement effrayant sur la communauté catholique intégriste de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (déjà diffuse sur Arte en février) qui a remporté les faveurs du jury pour le Grand Prix France. Pour traiter ce délicat sujet, Lila Pinell et Chloé Mahieu ont suivi plus particulièrement les traces de deux jeunes personnes. L’une, en passe de se fiancer avec un jeune homme falot tombe amoureuse d’un inquiétant militant du GUD ; l’autre, jeune homme bien sous tous rapports, formule le projet hésitant d’entrer dans les ordres. Un véritable récit se dessine à mesure des jours passés en leur compagnie, et la valeur politique du film est intrinsèquement liée à sa puissance narrative et au développement de ses personnages. Tous sont filmés avec une distance digne et juste, quand bien même leurs propos et leurs actes sont bien souvent terrifiants de dogmatisme et d’intolérance. Et si le film déclenche les rires consternés ou outrés de l’audience, ce n’est pas que le ton est moqueur, ni condescendant, mais simplement que les réalisatrices ont su restituer avec puissance l’étrangeté de ce monde si loin, si proche.
Pour en finir avec la compétition, il nous faut citer un film que votre dévouée envoyée spéciale n’a malheureusement pas pu voir : Boro in the box, biographie fantasmée du cinéaste polonais Valerian Borowczyk par Bertrand Mandico, a été le grand gagnant de cette édition 2012, repartant avec le Grand Prix Europe et le Prix du Jury Jeune. On s’est cependant rattrapé avec les autres sections, dont une sélection de films de jeunes cinéastes portugais. On pouvait notamment y découvrir les premiers films de Miguel Gomes, réalisateur de Ce cher mois d’aout et sensation du dernier festival de Berlin avec Tabou. Dans 31, deux jeunes frères et sœurs apprennent le tennis et la vie lors d’un été à la campagne. L’ombre de la dictature plane sur cet objet à la lisière du documentaire et de la fiction, parenthèse estivale pleine de détails cocasses. Encore un film d’été : le beau temps, récurrent sur les écrans brivois, ne l’était pas dans le ciel malveillant dont on a fort heureusement pu s’abriter sous l’accueillant chapiteau du cinéma Rex.
Deux rétrospectives, ensuite : Pasolini et Peter Watkins. Notes pour un film sur l’inde est un passionnant carnet filmé dans lequel le cinéaste italien raconte en voix-off un projet de fiction se déroulant en Inde. Proche dans la forme de Carnet de note pour une Orestie africaine (également présenté à Brive), c’est donc un film sur un film à faire – et qui ne se fera jamais – ou chaque image documentaire fait surgir la possibilité d’un récit, d’un personnage, d’une image. Dans un tout autre genre, La terre vue de la lune est une fantaisie aux couleurs incroyables, dans laquelle un vieux père et son fils au look de Tintin rencontrent une belle sourde-muette que le premier se met en tête d’épouser. Le film était présent dans une VF approximative, ce qui a peut-être ajouté au charme de cette fable où costumes, décors et coupes de cheveux concourent à créer un univers improbable et comique. Au terme d’invraisemblables péripéties, la morale : « être vivant ou être mort, c’est la même chose ». Tout un programme ! Et toute l’étendue du génie pasolinien dans le grand écart entre ces deux œuvres atypiques.
De Peter Watkins, on pouvait découvrir ou redécouvrir son classique Punishment Park, le faux documentaire dystopique La bombe, ainsi que l’unique œuvre de fiction du cinéaste anglais : le film de science-fiction The Trap. Quant à Culloden, il retrace la bataille éponyme de 1746 durant laquelle l’armée britannique écrasa les dissidents jacobites Ecossais. Dans le style faux documentaire qu’affectionne Watkins, les témoins et les participants du combat sont filmés et interrogés par des journalistes de télévision (!), et s’adressent face caméra. Cet anachronisme passionnant et déroutant sert à merveille le propos du film, à la fois commentaire ironique sur la puissance des médias et pamphlet antimilitariste édifiant. Le film s’achève sur des images de désolation sans appel : « ils ont créé un désert et l’ont appelé la paix ». Bam.
Pour finir, un autre choc, et pas des moindres. En exclusivité, on a pu assister à la projection d’un nouveau numéro de Cinéma, de notre temps, la mythique série documentaire créée par André S. Labarthe et Janine Bazin. Dans cet épisode, c’est le toujours fringuant Luc Moullet qui se penche sur le cas Catherine Breillat. De leur propre aveu, les deux cinéastes – venus ensemble présenter le film – sont aux antipodes l’un de l’autre ; la rencontre est d’autant plus électrique et fascinante. Moullet nous invite à rencontrer l’œuvre de Breillat sous la forme d’un puzzle dont lui-même ne connait pas toutes les pièces : il convoque ses propres souvenirs, lacunaires, de critique de cinéma et invite la cinéaste à revenir sur des détails (un long développement sur la symbolique des escaliers dans ses films). Pour les connaisseurs de la réalisatrice de Romance et 36 fillette comme pour les novices, Catherine Breillat : la première fois constitue une belle découverte ou redécouverte de son œuvre subversive, à travers des anecdotes triviales ou des déclarations définitives du genre « je suis la petite-fille de Bergman et de Lautréamont ». Voilà un beau grand écart stylistique, à l’image de celui que les spectateurs du festival de Brive ont connu pendant cinq jours. Richesse et liberté : vive le moyen-métrage !