DEAUVILLE ASIE 2012 : nuageux, avec des éclaircies

Un émouvant samouraï sans sabre et deux ados nippons dans les ruines laissées par le tsunami : Saya Zamuraï et Himizu auront éclairé une sélection aux thématiques sinistres, heureusement traversée de bébés nés en groupes, de petites culottes baissées et d’une persona non grata qui, pour une fois, n’était pas Lars Von Trier.

Nul besoin de faire le déplacement à Deauville pour savoir que cette quatorzième édition était placée sous le signe du deuil. Il suffisait de lire les pitchs des films présentés. 11 Fleurs : la rencontre d’un petit chinois avec un meurtrier en fuite signe pour l’enfant la « perte de son innocence ». I Carried You Home : « Pann vit à Bangkok. Un jour, elle reçoit un appel de sa tante en pleurs qui lui annonce que sa mère est dans le coma suite à un terrible accident » (un accident plus drôle que terrible d’ailleurs, la mère en question étant victime de l’affaissement de la scène du karaoke où elle chante, à l’occasion d’une scène digne de Video Gag). Death is my Profession (Amir Hossein Saghafi) et Mourning (deuil, mais retitré Querelles pour la France) de Morteza Farshbaf portent bien leur nom. Les films dont le résumé se révélait moins explicite annonçaient la couleur dès les premières minutes : paysages ravagés par le tsunami du 11 mars 2011 dans Himizu (bizarrement la seule évocation du désastre, alors que Deauville Asie coïncidait avec son premier anniversaire), marche expiatrice du héros de The Sun-Beaten Path après une mort accidentelle.

« Mais à Deauville, il pleut tout le temps, il n’y a rien à part des vieux riches » – Pen-ek Ratanaruang, perdant une occasion de se taire

Même les festivaliers venus rencontrer Pen-ek Ratanaruang ont dû en faire leur deuil. Le cinéaste thaïlandais (Vagues invisibles, Ploy) aurait été déclaré persona non grata à Deauville suite à ses déclarations à HK Mania, fracassantes et peu aimables, à l’encontre de la ville normande : « Mais à Deauville, il pleut tout le temps, il n’y a rien à part des vieux riches. C’est une ville chiante ».

La lumière ne pouvait donc venir que de la seule comédie, ou annoncée comme telle, Saya Zamurai. Son réalisateur, Hitoshi Matsumoto, avait laissé sceptique l’auteur de ses lignes lors de la présentation de son premier long-métrage, Dai Nippon-jin, en 2004 à la Quinzaine des réalisateurs ; l’histoire d’un type ordinaire forcé de devenir un super héros. Suffisamment sceptique en tous cas pour ne pas avoir envie de replonger dans l’univers de celui qui se présentait alors comme un sous- « Beat » Kitano. La hargne et la force de conviction d’une poignée de confrères enragés, très emballés par Saya Zamurai, ont eu raison de nos préjugés. Tant mieux. Ce « samouraï sans épée », qui a trente jours pour faire sourire le fils d’un seigneur, un garçon apathique depuis la mort de sa mère (ah oui, le deuil, on y revient), se révèle d’une tendresse inattendue. Certes, les pitreries keatoniennes ou kitaniennes de l’édenté et fou Takaaki Nomi peuvent légitimement laisser perplexe le spectateur occidental, moins rodé à ses facéties que les téléspectateurs nippons :

Takaaki Nomi et ses chutes :

Takaaki Nomi interviewant Tim Burton :

Ce piteux héros est heureusement flanqué d’une adorable fillette dont le revirement de comportement (elle exige de son père qu’il se fasse seppuku au nom de la dignité, avant de retrouver de l’admiration pour lui) tire progressivement le film vers le mélodrame, tout en le dotant d’un supplément de conviction (difficile de ne pas se prendre au jeu, au même titre que les ennemis originels du samouraï qui finissent par grossir les rangs de ses supporters) et de pertinence (jusqu’à quel degré d’avilissement l’humoriste peut-il descendre pour satisfaire son public ?). Saya Zamurai croise L’été de Kikujiro et Hara-kiri, préférant tomber le masque du ricanement et révéler son émouvant visage, lors d’un dénouement exemplaire, soldé en plus par une jolie lettre, lue puis chantée :

A côté de cette heureuse surprise, le reste est apparu plus fade, à l’exception d’Himizu, déjà chroniqué à l’occasion de sa présentation à Venise et du prix du meilleur jeune interprète reçu par son acteur principal, Shota Sometani, jusqu’alors davantage connu pour ses rôles dans des films érotiques :

Ce n’est évidemment pas du côté de Wang Xiaoshuai qu’allait souffler le vent de l’innovation. 11 Fleurs ne prend pas le moindre risque formel et se borne à illustrer sagement, mais pas négligemment, sa chronique d’une enfance chinoise à la veille de la fin de la Révolution Culturelle. L’atmosphère rappelle celle de Shanghai Dreams (un monde rural largué, où échouent parfois les intellectuels chassés des villes), mais le récit profite du point de vue de son tout jeune héros pour se faire plus pédagogique, et embarquer même le spectateur le plus ignorant de la période évoquée. Les mauvaises langues lui trouveront un aspect « la révolution culturelle pour les nuls ». Les autres se satisferont de cette accessibilité nouvelle, probablement encouragée par le fait que 11 fleurs est le premier film à bénéficier du nouvel accord de coproduction entre Chine et France.

« Le pays en voie de développement, il te dit merde » : voilà ce que pourrait déclarer Baby Factory

Baby Factory, lui, s’est vu qualifié d’ersatz de Brillante Mendoza ce qui, pour un premier long-métrage, reste loin d’être déshonorant. Le philippin Eduardo Roy Jr. investit la plus grande maternité de Manille, véritable « usine à bébé » du fait de l’importance de la population, du fort taux de fécondité (une patiente vient à peine d’expulser son treizième enfant que la sage-femme lui ordonne de se faire ligaturer les trompes) et de sa précocité (la plus jeune future maman a treize ans et cela n’a rien d’une aberration). On pouvait craindre une démonstration sur l’horreur de naître dans un pays en voie de développement. Il n’en est rien. « Le pays en voie de développement, il te dit merde » : voilà ce que pourrait déclarer Baby Factory.

Les femmes accouchent à plusieurs dans la même salle de travail, les unes alignées à côté des autres, mais chacune dispose de sa propre équipe médicale. Même principe dans les grands dortoirs où l’apprentissage du rôle maternel se fait avec les autres mères. Il n’est pas du tout question de travail à la chaîne ici, mais de fonctionnement collectif. Un fonctionnement collectif du en partie au manque de moyen, mais conditionné avant tout par une approche communautariste de la maternité, qui laisse entendre qu’une femme ne devient jamais mère toute seule. Dommage que Baby Factory se laisse parasiter par ses aspects les plus fictionnels (la relation adultère d’une infirmière avec un homme marié), qui le tirent vers le conventionnel d’Urgences, plutôt que de chercher à retranscrire le vertige suscité par ce lieu hors du commun. Eduardo Roy Jr. finit par rendre banal ce qui est en soi exceptionnel : tant pis pour le sensationnalisme, tant mieux peut-être s’il s’agissait pour lui d’éviter tout exotisme.

The Sun-Beaten Path évite aussi tout exotisme, à sa manière. Ce film sino-tibétain a tout du film standard dit indépendant américain. Road movie, grands espaces, récit initiatique, deuil (évidemment) : du vu, du revu, encore et toujours, et ce n’est pas parce que Lhasa n’est pas Salt Lake City que cela en devient plus intéressant. Ca l’est évidemment toujours plus que I Carried You Home, film thaïlandais de Tongpong Chantarangkul, qui croit encore que montrer des personnages qui pleurent est le plus sûr moyen de faire pleurer le spectateur. Pathétique, voire pitoyable, le parcours de ces deux sœurs accompagnant leur défunte mère dans sa dernière (et première) demeure s’avère interminable. Forcément, à force de pleurer, on voit moins bien la route… La mère n’en finit pas de subir toutes sortes de rituels funéraires, pendant que le réalisateur se prend pour un artiste Instagram dès qu’il a le malheur de repérer sur le trajet un reflet, une goutte d’eau sur le pare-brise ou un brin d’herbe sur le bitume.

Le cinéma sud-coréen est devenu une caricature de lui-même, dont on ne voit désormais en festival que des avortons bons pour la poubelle

C’est pénible, mais ce n’est rien à côté de Pink, heureusement hors-compétition, authentique navet pourtant servi par Jeon Soo-il, remarqué en 2007 pour La petite fille de la terre noire. Une femme hantée par l’image de son père violeur (et qui baisse tout le temps sa culotte, mais on n’a pas encore compris pourquoi), une autre plus âgée qui donne la tété à son fils adolescent et débile mental, l’attardé en question qui se pisse dessus ou s’enferme dans un réfrigérateur abandonné sur une plage, le coït sauvage de sa mère sous le regard du jeune en question (qui ne passe donc pas tout son temps dans son réfrigérateur)… Misogynie, misérabilisme, bêtise crasse qui se voudrait iconoclaste mais reste désolante : tous les travers du cinéma sud-coréen – tout du moins celui qui arrive jusqu’en France – sont là, horripilants et écœurants. Un cinéma qui est devenu une caricature de lui-même et dont, depuis bientôt deux ans, on ne voit en festival que des avortons bons pour la poubelle.

Remerciements à Florian Hien pour les liens vers les vidéos de Takaaki Nomi et vers les articles de HK Mania (ici et ici), ainsi qu’à Nicolas Gili de Filmosphere pour le lien vers la chanson de Saya Zamurai.

Les BA des films sont disponibles ici.