BELLFLOWER d’Evan Glodell

Un duo d’adulescents prépare l’apocalypse à coup de lance-flamme et crame sa jeunesse en picole et gonzesses. Plus qu’un teen-movie surréaliste, Bellflower raconte le deuil amoureux avec une hargne qui unit Larry Clark à George Miller.

Tout commence au son de Ratatat sur un enchaînement d’images clipesques. Poseur au possible, Bellflower a tout de l’objet gonflant, narcissique et vain. C’est pour toutes ces raisons qu’il est en fait formidable. La soif de vie et d’excès d’Evan Glodell -acteur principal de son propre film – tient de la catharsis. Rimbaud écrivait déjà en 1870 : «  Nuit de juin! Dix-sept ans! – On se laisse griser. / La sève est du champagne et vous monte à la tête… / On divague ; on se sent aux lèvres un baiser / Qui palpite, là, comme une petite bête… » Alors certes, les héros de Bellflower ont un peu plus de dix-sept ans et le langage est plus direct. On retrouve pourtant cette même fougue de brûler la vie comme une étoile filante.

Plutôt que de dire « Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire. », le discours ici serait du genre : « vous êtes amoureux. -Vos conneries La font rire. » Woodrow tombe raide dingue de Milly. Ensemble, ils parcourent un bout d’Amérique pour aller bouffer dans un ignoble boui-boui. Sauf que Woodrow doit préparer l’apocalypse avec Aiden. Le plus sérieusement du monde, les deux amis fabriquent un lance-flamme, customisent leur bagnole avec un distributeur de whisky et se prennent pour le Seigneur Humungus. Ce personnage de Mad Max 2 donne la teinte « western de l’apocalypse » que mettait si bien en scène George Miller. Par quel miracle un film peut-il réunir Rimbaud et Mad Max 2 ? En s’assumant jusqu’au bout. En refusant de faire la moindre concession.

La stylisation à l’extrême de Bellflower rappelle la liberté folle avec laquelle on peut s’amuser avec les images vidéos. Leur liberté consiste à mettre la caméra sur le mode le plus stylisé d’enregistrement et à se laisser guider. La mentalité d’Aiden et Woodrow s’exprime à travers un déluge d’images saturées, de musiques toutes plus délicieuses les unes que les autres et une énergie dans le montage où le mot « complexe » n’existe pas. Comment reprocher l’approche «film de poseur » dès lors qu’elle reflète l’état d’esprit d’une jeunesse inconsciente ? La nature pré-apocalyptique surplombe le ciel de sa saturation blanche. Un écrêtage que seul le numérique peut offrir. Glodell a même le culot de jouer sur les flashbacks et les situations rêvées comme on n’en autorise plus en école de cinéma. Qu’importe puisque la fougue l’emporte. Le réalisateur a écrit cette histoire en réaction à une déception amoureuse violente. Son cri de colère et de dégoût, il le met à l’écran, à l’instar de ces ados qui tentent de se suicider pour appeler à l’aide. Son personnage fantasme ses pulsions violentes plutôt que de les accomplir. Le vrai Evan met en scène sa tristesse plutôt que de sombrer dans son coin.

Le portrait générationnel qui en découle se situe quelque part entre rire et sang. Tout commence lors d’une soirée où il est question de manger des grillons vivants. Une bonne beuverie faite de rencontres cools, de quelques échanges de numéros et la promesse d’une belle baise. Tout doucement, le basculement glauque évoque l’étrangeté de Gus Van Sant. Il y a ce même goût que dans Paranoïd Park pour le mal être en longues focales agrémentées de flous artificiels. La filiation à Larry Clark saute aux yeux. L’addiction à la mélancolie fait plus de dégâts chez ces pauvres hères que n’importe quelle drogue (filmée comme la chose la plus banale du monde). Quant à la voiture, symbole du fantasme de liberté, elle occupe la même fonction que dans Gran Torino. Peu présente à l’écran, elle est néanmoins l’unique point de fuite. Celui qui doit permettre à Glodell de s’émanciper hors du cadre. Le riff rageur sur la B.O. indique clairement le besoin pour Woodrow et Aiden de s’extirper de leur quartier. Finie la rigolade en mode teen-movie, il leur faut prendre le large, sous peine de provoquer l’apocalypse qu’ils redoutent tant. Les seigneurs Humungus qu’ils rêvent de devenir ne sont plus les idéaux brutaux qu’ils doivent incarner. A l’heure du bilan et de la gueule de bois, le duo constate son manque total de ligne d’horizon vers l’avenir. L’apocalypse est pour eux : « no future ».

Bellflower (U.S.A., 2011), un film de et avec Evan Glodell, Jessie Wiseman, Tyler Dawson. Durée : 106 min. Date de sortie en France : premier trimestre 2012.

Alexandre Mathis
Alexandre Mathis

A chouchouté son blog Plan-c pendant plus de deux ans tout en parcourant le monde avec Typo. Désormais plombier pour Playlist Society. Accrédité à Accreds. Fils caché et raté de Malick et Miyazaki, il marche pieds nus en forêt. Sauf sur les orties, ça pique.

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