THE WARD de John Carpenter

Depuis quelques années, le cinéma d’épouvante trouve difficilement l’accès aux salles obscures. La création du PIFF est une aubaine pour le genre. Le festival ravit les fans irréductibles du genre. Sa projection en séance spéciale de The Ward, dernier film en date de John Carpenter (et toujours inédit en salles), est l’un de ses temps forts.

Dans la filmographie de « Big John », cette dernière décennie sonne comme un écho dont la réverbération tend à s’estomper : seulement un film et deux épisodes pour la série « Masters of Horror ». Trois productions qui ont tenté de raviver les fantômes du passé : La Fin absolue du monde se rapproche d’avantage d’une version courte de L’Antre de la folie, quand Ghosts of Mars et Pro-Life ne font que l’effet de placebos en comparaison d’Assaut. Ce retour aux sources masque difficilement un manque d’inspiration. The Ward ouvre une nouvelle décennie pour le cinéaste. Est-ce le chant d’un cygne à l’agonie ou une renaissance artistique ?

Dans ces quelques lignes, il serait impoli de raconter le dénouement de sa nouvelle création. Pourtant la tentation est grande car The Ward est un film schizophrène, un film à deux visages. Telle la confection ratée d’un masque d’Halloween, The Ward se présente comme une banale série B qui déroule un son récit sans surprise. Kristen (savoureuse Amber Heard) est internée dans un hôpital psychiatrique dans lequel séjourne aussi un fantôme peu fréquentable, qui décime un à un les pensionnaires. La mécanique est bien huilée, certainement trop, jusqu’au dénouement final. Si celui-ci peut paraître poussif aux premiers égards, il insuffle au récit une consistance dramatique jusqu’alors absente. Ce tour de passe-passe amène le sujet central du film : la folie. Mais surtout, il permet de discerner clairement la représentation qu’en offre John Carpenter.

Ces dernières années, certains cinéastes ont abordé la folie en privilégiant la mise en scène du processus thérapeutique. Impossible dans ce sens de ne pas rapprocher The Ward de Shutter Island et de Sucker Punch. Leurs réalisateurs respectifs usent des codes d’un genre spécifique et de l’espace qui lui est approprié : Scorsese revisite le film noir en recadrant l’action sur une île, là où Snyder décomplexe le cinéma d’action en projetant le spectateur dans des tableaux variés et proches des standards actuels du jeu vidéo. C’est bien évidemment avec les codes du cinéma d’horreur que Carpenter construit son exploration de la psyché de ses personnages déséquilibrés. En associant un travail rigoureux sur l’espace filmique (chaque salle de l’hôpital à une fonction dramatique propre) et le soin apporté à la création de son « croquemitaine», Carpenter retourne comme un gant l’un des schémas type du cinéma d’épouvante. Lorsque Michael Myers impose le chaos en éliminant un à un les personnages d’Halloween, le massacre ne peut cesser qu’en éliminant son ordonnateur. The Ward inverse ce mouvement. Ici, le « grand nettoyage » mène sur les voies de la raison. Le monstre devient l’élément-clé d’une narration vouée au rétablissement de l’ordre établi.  La dissonance est savoureuse : l’horreur comme remède à l’aliénation.

Les coups de théâtres ont de séduisant cette possibilité de nous offrir une nouvelle lecture, différente mais tout aussi excitante que la première. Dans les grands films  du genre (Psychose, Sixième sens…), les visions se complètent. Avec The Ward, la seconde vision possède l’avantage de purger ses abcès de série B mal fagotée au profit d’une plongée saisissante dans la psychose d’une femme ; l’image y canalise l’esprit et en fournit une représentation dynamique. À la différence de ses confrères de toujours Romero et Argento, Carpenter n’a pas perdu la main. L’efficacité de son style ne s’est pas amenuisée avec le temps. Et ça, c’est une grande nouvelle !

THE WARD (Etats-unis, 2010), un film de John Carpenter, avec Amber Heard, Danielle Panabaker, Lindsy Fonseca, Jared Harris. Durée : 88 min. Disponible en France en DVD et BR  chez Metropolitan.

Julien Felchner
Julien Felchner
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