Newsletter Subscribe
Enter your email address below and subscribe to our newsletter
En plus de nos chroniques dédiées aux nouveaux longs-métrages de Mike Leigh, François Ozon et Joshua Oppenheimer présentés en compétition, quelques mots sur d’autres films vus à San Sebastian cette année : le Lion d’Or de Pedro Almodovar (The room next door), un premier film français se déroulant en Corée (Hiver à Sokcho), et trois candidats à la Concha de Oro du festival (Bound in Heaven, El Llanto, On Falling).
Deux amies de longue date s’étant perdues de vue se retrouvent devant la caméra d’Almodovar, alors que l’une est atteinte d’un cancer incurable et demande à l’autre de l’accompagner pour le temps qui lui reste à vivre. Nous ne sommes pas à Madrid mais à New York, et les deux héroïnes sont incarnées par Tilda Swinton et Julianne Moore, car il s’agit du premier long-métrage américain du cinéaste – le logo Warner Bros. en ouverture n’est pas une hallucination. Adapté d’un roman, The room next door reste loin des sommets de l’œuvre d’Almodovar, même s’il en est proche dans l’esprit : il ressemble à une déclinaison mineure de Douleur et gloire, dont il partage la douceur pour traiter de sujets angoissants et la force intimiste. Le film est d’ailleurs à son meilleur lorsqu’il s’isole avec ses deux personnages et leurs interprètes (parfaites), loin du monde et du passé, qui sont source de scènes explicatives et de flashbacks peu inspirés et encombrants. Très délicat et tendre avec suivre, The room next door brille par à-coups : des choix formels directement hérités de Edward Hooper ou Douglas Sirk (un incroyable fondu au vert, une morte qui réapparaît à deux reprises, pour ne citer que ceux-là), la proposition par Almodovar de la liste idéale de films à voir pour une dernière soirée ciné avant de mourir. Le film n’existe peut-être que dans le but de nous convaincre de revoir une dernière fois (ou voir pour la première fois) Gens de Dublin / The Dead de John Huston, avant que le changement climatique, le néolibéralisme et les fascistes nous emportent tous par le fond, mais c’est une raison tout à fait suffisante autant que nécessaire.
La rencontre, dans une ville coréenne plus proche de la frontière avec le Nord que de Séoul, entre une femme locale dont c’est la réalité subie d’être triste et solitaire, et un homme touriste dont c’est l’image fabriquée à dessein, pour mener à bien son travail d’auteur de romans graphiques qu’il fait se dérouler dans des contrées loin de sa France natale. L’héroïne, Soo-ha, étant de père français qu’elle n’a jamais connu, un lien plus fort que de raison se tisse entre les deux. Il conduira dans la dernière partie du film à la manifestation d’un trouble intéressant et bien mis en scène, produit de la friction entre les émois intérieurs de Soo-ha et les conventions qui lui sont imposées de l’extérieur : elle ne sait pas ce qu’elle cherche (un père, un amant), et ni la société ni son entourage ne l’aident car ils partent du principe qu’elle n’a pas à chercher quoi que ce soit, mais bien à se conformer aux codes en vigueur – être l’épouse d’un mari, et modeler son esprit autant que son corps en ce sens. La poignée de scènes qui composent ce beau climax se distingue malheureusement d’autant plus que le reste du film ronronne, de manière trop scolaire et engourdie (y compris dans son épilogue) pour réellement s’extraire du double carcan du film d’auteur français et du récit de tourisme.
La Chine contemporaine étant l’équivalent en termes de développement de la France de la fin du 19e siècle, il est tout sauf surprenant d’y trouver les adaptations les plus pertinentes de Madame Bovary (c’était d’ailleurs l’inspiration du titre de la Concha de Oro de San Sebastian en 2016, I am not Madame Bovary). Lorsque l’on rencontre l’héroïne de Bound in Heaven, elle traîne sa peine mentale autant que physique – son fiancé la bat – parmi les nantis de Shanghai. Sa rencontre fortuite (qui lance le film sur de très bonnes bases, la scène étant aussi réussie dans sa construction que dans les sentiments qu’elle charrie) avec un homme qui se morfond de l’autre côté de la barrière, parmi ceux contraints à multiplier les petits boulots pour joindre les deux bouts, n’ouvre pas sur un horizon plus heureux. Une visite chez les parents de celui-ci montre en effet que l’on est aussi malheureux et cruel en étant pauvre à la campagne que riche à la ville. Que reste-t-il alors au couple de héros tragiques ? Réussir sa sortie définitive hors du monde, la faire avec panache et à leurs conditions. C’est l’objet de la deuxième moitié du film, un peu en-deçà de la première car plus empesée, d’un romantisme adolescent naïf – mais que la cinéaste fait vivre avec autant de certitude et aussi peu de calcul qu’elle croyait à l’énergie sensuelle et solaire de la passion de ces personnages au cours de la première partie. Dans celle-ci, les références cinéphiles de haut niveau étaient très joliment mises à profit – Godard, Malick, et le Wong Kar-Wai de In the mood for love pour rendre hautement érotique un flirt impromptu à travers la vitre du frigo de sodas d’une épicerie. Ce talent de Xin Huo pour créer de très belles images reste intact jusqu’au bout du film, tout en se maintenant au service du récit sans l’écraser ou s’en dissocier ; et c’est déjà franchement pas mal pour un premier long-métrage.
Il est aussi perturbant que frustrant qu’il ne se soit trouvé personne à l’étape de la lecture et de la validation du scénario de El Llanto pour signaler tout ce qui n’allait pas dès ce moment dans le projet – et qui finit par écraser le reste. Il y a de quoi le regretter car le film démarre bien : une impressionnante ouverture dans une boîte de nuit façon épisode de X-Files (on s’attend à ce que débarque Mulder dans la scène suivante pour présenter cette affaire paranormale à Scully), un premier acte qui parvient à mettre Ring au goût du jour de notre réalité augmentée par les technologies récentes (écouteurs Bluetooth, photos animées, communication permanente par messagerie avec nos proches éloignés physiquement). Et puis tout s’effondre à force de mauvais choix d’autant plus incompréhensibles qu’il semble évident qu’il fallait les éviter. Un flashback qui répète les événements déjà vus, dans un autre contexte qui ne fait que moins bien fonctionner les mécaniques du récit ; une absence totale d’explication ou de sous-texte, quels qu’ils soient, aux fléaux horrifiques qui frappent les protagonistes, rendant le film totalement et invraisemblablement vide de sens ; enfin, corollaire du point précédent, la réduction de l’enchaînement de malheurs à une bien malvenue « malédiction de femmes », victimes gratuites, faute d’autre chose. Quel gâchis.
On Falling repose sur une unique idée : le travail répétitif et semi-automatisé dans les entrepôts géants type Amazon nous vide à petit feu de notre énergie vitale. Problème : cette idée est bien peu cinégénique. Le film se vide lui aussi peu à peu de toute vitalité, trop de naturalisme tuant le naturalisme, un usage trop exclusif des de petites touches et d’une distance médiane neutre éteignant tout intérêt pour ce qui nous est raconté. De plus, sa cible est doublement mal choisie – son écriture donne le sentiment que seule une petite minorité des employés sont touchés par ce mal, sans compter que se focaliser sur ce seul point ignore les autres effets néfastes tout aussi graves de ces emplois – salaires de misère, corps brisés par la répétition des gestes.
Le 72è Festival international du film de San Sebastian se déroule du 20 au 28 septembre 2024.