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Tel Hong Sangsoo à l’autre bout du monde, même si bien sûr dans des contextes et des parcours très distincts, François Ozon tourne comme il respire, essaime ses films dans tous les festivals (San Sebastian cette fois-ci, Cannes, Berlin et Angers pour les précédents), retrouve régulièrement des comédiens qui lui sont chers. Et il n’est jamais là où on l’attend – Quand vient l’automne le voit revenir à un assemblage de classicisme dans la forme et d’ampleur narrative sur le fond qui lui réussit particulièrement, pour échafauder une réflexion aussi touchante que déroutante sur ce que l’on construit de notre vivant et ce que l’on laisse derrière nous du fait de nos choix.
Quand vient l’automne est un cousin étonnamment proche de Miséricorde d’Alain Guiraudie, qui l’a précédé en festival (à Cannes) et le suivra de peu en salles. Prenant place dans un coin volontairement reculé de la campagne (ce qui donne à l’un et l’autre un cadre propice à une grande beauté plastique, élégamment sculptée par la lumière), les deux films portent un intérêt tout particulier à la cueillette des champignons – ils partent de sa nature d’activité amenant hors des sentiers battus, et tirent le fil de sa portée plus symbolique de lien ambigu entre les deux mondes, des vivants et des morts. Les champignons de Miséricorde indiquent à qui sait regarder l’emplacement d’un cadavre que l’on a voulu cacher ; ceux de Quand vient l’automne sont l’outil de l’acte manqué originel du scénario du film, qui voit Michelle (Hélène Vincent) empoisonner sa fille Valérie (Ludivine Sagnier) en lui préparant une poêlée de champignons dont certains sont vénéneux. Valérie en réchappe mais le mal est fait auprès de tous. Cette dernière, aux rapports déjà tendus avec sa mère, refuse de la revoir ou de lui confier à nouveau la garde de son propre fils ; Michelle se demande (ou fait mine de) si elle ne perd pas la tête ; et le spectateur, orienté en ce sens par le montage hitchcockien de la séquence brillamment ciselé par Ozon, avec son lot d’ellipses sibyllines, se demande si Michelle a agi ou non à dessein.
Le récit suit ensuite son cours, aussi fluide et tortueux que celui d’une rivière. Les personnages qui s’y rajoutent (la meilleure amie de Michelle, Marie-Claude, et son fils Vincent, interprétés par Josiane Balasko et Pierre Lottin ; l’ex-mari de Valérie, Laurent) sont à la fois communs et riches de leurs propres zones d’ombre. Les évènements qui se succèdent sont à la fois graves – des maladies, des décès, des ruptures – et circonscrits à un cadre intime, ne dérangeant en rien la marche du monde à plus grande échelle, en dehors du cercle des proches. Enfin, les institutions, tout en rythmant la vie de ces gens (la police, l’église surtout) et en la bornant soi-disant dans une structure morale et légale stricte, ne peuvent en réalité pas grand-chose face à des actes et des aspirations qui battent en brèche ce cadre. Cela est affirmé crânement dans Miséricorde, et passe plus en filigrane dans Quand vient l’automne, entre les lignes de l’ordinaire du quotidien. Lequel ne se mue que sur le temps long, sans que l’on s’en aperçoive si l’on n’a pas le recul qu’offre la fiction, en ampleur romanesque tissée par les décisions des vivants et les circonstances et conséquences des décès des morts.
C’est à propos de ces trépas que le film est le plus délicieusement trouble, car ils existent moins en eux-mêmes que filtrés par les réactions et les récits des survivants, qui les modèlent en fonction de leurs désirs et besoins. Attaché à une héroïne qui s’est toujours fait fort de garder l’entière maîtrise de son destin de femme et qui l’a assumé, peu importe les qu’en-dira-t-on et les effets collatéraux, Quand vient l’automne s’interroge sur pourquoi elle aurait à transiger sur cette position dans sa vie de mère, puis de grand-mère. Le cheminement vers la réponse à cette interrogation est le courant souterrain du récit, qui avance par petites touches, finement écrites et parfaitement interprétées (et à nouveau superbement montées, lorsque le suspense perce à nouveau à plusieurs reprises après la scène inaugurale) : ce sont ses parents que l’on ne choisit pas, mais il n’est dit nulle part que l’on n’aurait pas la possibilité de choisir sa descendance. Et ni les fantômes ni les institutions n’y peuvent rien, dans un dénouement sans heurts où l’on a le mensonge (et donc la conscience ?) tranquille. Dans son premier long-métrage, Sitcom, François Ozon filmait l’explosion sanglante d’une famille qui cochait toutes les bonnes cases au regard des canons de la société ; ici, à l’exact opposé, il accompagne l’éclosion sereine d’un foyer constitué hors des règles et des conventions.
Le 72è Festival international du film de San Sebastian se déroule du 20 au 28 septembre 2024.
QUAND VIENT L’AUTOMNE (France, 2024), un film de François Ozon, avec Hélène Vincent, Josiane Balasko, Pierre Lottin, Ludivine Sagnier. Durée : 102 minutes. Sortie en France le 2 octobre 2024.