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Comme les horloges en panne qui donnent tout de même la bonne heure deux fois par jour, la formule cannoise tarte à la crème « mais pourquoi ce film n’a pas été retenu en compétition ? » tape parfois dans le mille – pour le nouveau long-métrage d’Alain Guiraudie par exemple. Aussi épatant dans sa mise en scène (avec une superbe lumière automnale signée Claire Mathon) que dans son scénario qui multiplie les méandres imprévus et étonnants, Miséricorde nous fait nous perdre pour notre plus grande joie, à la manière dont ses personnages s’enfoncent dans les bois pour y tomber sur de nouveaux coins à champignons.
Ce qui commence classiquement comme un croisement entre un motif de western – un homme devenu étranger à son village natal y revient des années plus tard – et des enjeux classiques de drame (un lacis de relations familiales et amicales ayant tourné à l’aigre), puis prend un tour franchement hitchcockien avec un meurtre non prémédité suivi par une longue scène d’escamotage du cadavre et de fabrication à la hâte d’une fausse piste, n’arrêtera ensuite plus de nous surprendre à chaque virage. Le récit a en effet moins pour fil directeur la logique cartésienne de l’enquête menée par les gendarmes (eux-mêmes plus imprévisibles qu’à leur tour), que les désirs profonds et spontanés des êtres – pulsions de vie ou de mort, de tendresse, de sexe ou de haine, imprévisibles et irrépressibles, parfois même non assumées en public ou non réciproques, ce qui ajoute à l’inextricabilité de la situation d’ensemble.
Guiraudie observe ces dérèglements et leurs ricochets sans juger ni hiérarchiser, mais avec affection et compréhension envers ses personnages (au passage tous brillamment incarnés, par un casting regroupant Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay, David Ayala et Jean-Baptiste Durand, le réalisateur de Chien de la casse) ; avec fraternité envers ses semblables. En découle un portrait de groupe intelligemment et facétieusement amoral, au sens où la morale ne commande rien ni personne. Pas même le curé du village, maillon le plus énigmatique et au final décisif de la chaîne, qui offre au protagoniste le salut par des voies impénétrables, aboutissement parfait de tout ce que contient le film – son ambivalence, entre l’absolution de l’âme et l’attrait de la chair, et son allégorie sur l’acte d’aller aux champignons, sans savoir avec certitude ce que l’on trouvera ni où on les trouvera.
MISÉRICORDE (France, 2024), un film de Alain Guiraudie, avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay, David Ayala, Jean-Baptiste Durand. Durée : 102 minutes. Sortie en France indéterminée.