KNOCK AT THE CABIN : il était une foi

Quatre inconnus séquestrent deux pères et leur fille en vacances pour les convaincre d’en tuer un parmi les trois, ou bien ce sera la fin du monde… Derrière ce high concept pas si high (et même douteux) autour d’une résilience forcée par un chantage, M. Night Shyamalan signe un film à la forme petite mais pas en petite forme, autour d’un défenseur des Droits de l’Homme qui ne croit plus en sa vocation, comme le pasteur de Signes ou le psychanalyste de Sixième sens avant lui.

 

S’il est un sujet qui taraude depuis toujours Shyamalan, c’est bien la foi. En Dieu (Wide Awake, Signes), en l’incroyable (Sixième sens), en soi (Incassable), en une histoire invraisemblable (La jeune fille de l’eau)… Croire ou ne pas croire, là est la question. C’est sans surprise aucune que Knock at the Cabin prolonge cette étude, sur un mode biblique, et biblique hardcore, davantage Ancien Testament que Nouveau. Un quatuor d’inconnus s’introduit dans une maison où séjournent deux pères et leur fille pour les convaincre d’en tuer un parmi eux trois. S’ils acceptent, l’humanité sera sauvée. S’ils refusent, ce sera la fin du monde et tous trois seront condamnés à errer sans fin sur une Terre brûlée…

Notre quatuor vient vendre son récit, comme on vend une friteuse, à l’image du caméo futé de Shy, qui apparait dans un télé-achat digne de la pub pour régime montrant Hitchcock dans Lifeboat.

Moins Mise à mort du cerf sacré (assassiner la fillette n’est pas un enjeu, la question ne se pose même pas) que Cabane dans les bois (le film de Drew Goddard s’apparente rétrospectivement à une version industrialisée de Knock at the Cabin), ce postulat se veut plus biblique que jamais pour Shyamalan, conteur rompu à l’eschatologie. On reconnaît là l’exigence divine faite à Isaac de sacrifier son fils Abraham sauf que, à la différence du texte sacré, nul ne viendra retenir le bras meurtrier ; le film nous le fait clairement savoir, très tôt. D’abord pris pour des témoins de Jéhovah, les intrus ne prêchent pas vraiment, mais se comportent comme des scénaristes venus vendre leur histoire à des producteurs (des producteurs ligotés, forcés d’écouter ; un idéal en quelque sorte).

On sait, au moins depuis La jeune fille de l’eau, qu’un Shyamalan n’est jamais totalement neutre au regard de la machine hollywoodienne, voire un brin rancunier. Ainsi notre quatuor vient vendre son récit, comme on vend une friteuse, à l’image du caméo futé de Shy, qui apparait dans un télé-achat digne de la pub pour régime montrant Hitchcock dans Lifeboat… Il aura des preuves, ce quatuor. Il est venu avec son PowerPoint : des reportages de fin du monde, en direct sur les chaînes nationales, qui nous laissent sceptiques par leur maladresse. Ailleurs sûr dans sa mise en scène, comme toujours, Shyamalan continue d’avoir du mal à gérer les sources d’images extérieures. Il y a bien eu cette vidéo YouTube d’un suicidé, les bras arrachés par des fauves, dans Phénomènes,  l’apparition fugace d’un alien à la télé dans Signes (et quelle apparition !), mais depuis le final improbable de Glass, le traitement de l’information virale n’est plus heureux chez le cinéaste.

Du tsunami vidéo-amateur visible dans Knock at the Cabin, on retient surtout sa référence à la version longue d’Abyss, autre histoire d’eschatologie punitive (humains, devenez meilleurs ou vous serez détruits), et son invraisemblance totale (qui filme ? Pourquoi personne ne fuit ? Comment croire à du direct alors qu’il s’agit forcément d’un enregistrement ?). Alors on se demande si tout ne fonctionnerait pas mieux sans cet éclairage du hors-champ, si dans le huis-clos total de cette maison coupée du monde, le dilemme ne serait pas plus fort… Sauf que ce n’est pas ce dilemme qui intéresse Shyamalan et c’est précisément là que son film s’avère plus ample que l’épisode de La Quatrième dimension auquel son postulat pourrait le restreindre.

Dans Knock at the Cabin, il n’est question que de redonner foi en l’humanité à un homme qui n’a plus aucune raison de l’avoir. C’est tout, mais c’est une tâche colossale à une époque aussi désabusée et fataliste que la nôtre. C’est même un travail de super-héros.

Le quatuor a raison : la fin du monde est proche. Point. Et au grès de flashbacks s’opère un merveilleux glissement (et un rappel : Shyamalan est au moins aussi doué pour filmer l’intimité que pour créer l’effroi). On voit les deux pères, Andrew (Jonathan Groff) et Eric (Ben Aldridge), lors d’une rencontre houleuse avec les parents – homophobes – du second, puis l’adoption heureuse de leur fille Wen, puis un départ en fanfare pour les vacances qui ressemble à une pub… Et sous ce bonheur croissant et apparent, une rancœur enfle, celle d’Eric, rongé par le dégoût de ses parents à son égard, par le mensonge (lors de l’adoption de Wen, il se fait passer pour le frère d’une épouse inventée à Andrew), par une agression homophobe subie dans un bar, par une défiance constante à l’égard de congénères perçus comme hostiles et qui le pousse à s’armer.

Knock at the Cabin n’est plus un film à pitch – à tous les sens du terme, film high concept et film sur la manière de le promouvoir – mais un film de procès, et pas exactement le procès de l’humanité (l’intérêt serait limité : il y a des gentils et des méchants, on a compris), plutôt celui de la foi en l’humanité. On y vient. Car Eric est avocat, spécialisé dans la défense des droits de l’Homme, cet Homme en lequel il ne croit plus du tout. « Celui qui sauve une vie sauve le monde entier » scandent La Liste de Schindler et Il faut sauver le soldat Ryan. Shyamalan inverse le moto spielbergien d’inspiration talmudique : celui qui sauve le monde entier sauve une vie. La petite beauté se trouve là. Dans Knock at the Cabin, il n’est question que de redonner foi en l’humanité à un homme qui n’a plus aucune raison de l’avoir. C’est tout, mais c’est une tâche colossale à une époque aussi désabusée et fataliste que la nôtre. C’est même un travail de superhéros et, en ce sens, le sacerdoce du quatuor n’est pas loin de l’ordalie imposée par M. Glass dans Incassable, nous y reviendrons… Si l’avocat des droits de l’Homme qui a toutes les raisons d’être misanthrope y croit, alors les autres suivront peut-être (y compris les puissants qui précipitent notre fin ? Shyamalan ne pose pas la question, il n’est pas dans la lutte des classes, c’est dommage). Et l’humanité ne vaudra pas la peine d’être sauvée ; non, mieux que cela : elle vaudra la peine d’être défendue. Réveillé par ses super-apôtres, le « Super-avocat » succède à l’incassable David Dunn.

Knock at the Cabin, c’est un procès en appel. Engagé avec un couteau sous toutes les gorges ; jurés, président, avocats. C’est l’aspect le plus douteux du cinéma de Shyamalan, artiste et villain qui se mue de plus en plus en M. Glass.

L’exploit n’est pas mince pour qui dans le public a joué à The Last of Us, l’a terminé, et a connu ce non-choix qui nous est finalement laissé de ne pas sacrifier la merveilleuse Ellie. Satisfaits, nous achevions ce périple post-apocalyptique en gardant l’exclusivité de l’Amour et nous condamnions par là l’humanité, humanité dont nous n’avions vu que le pire pendant des dizaines d’heures et qui n’avait donc que ce qu’elle méritait. Notre sentence était irrévocable, sans regret aucun. Knock at the Cabin, c’est le procès en appel. Mais engagé avec un couteau sous toutes les gorges ; jurés, président, avocats.

C’est l’aspect le plus douteux du cinéma de Shyamalan, artiste et villain qui se mue de plus en plus en M. Glass. Entre la petite tendance réactionnaire du fonctionnement narratif de Knock at the Cabin, très proche de la peu progressiste série 24h Chrono (Eric fait plusieurs fois remarquer que l’un des assaillants regarde tout le temps sa montre), et l’épilogue problématique de Old, Shyamalan n’attend plus le deuil, il le provoque. Jusqu’ici, la mort n’était jamais souhaitable dans ses films, et quand elle survenait, l’enjeu philosophique était de la considérer comme faisant partie d’un plan qui nous échappait, certes, mais dont la finalité nous voulait du bien. M. Glass n’avait aucune patience pour cela, alors il faisait dérailler des trains jusqu’à ce que du bien sorte de tout ce mal. Shyamalan, lui, fait tomber des avions dans des « pluies de verre » – c’est dit tel quel dans Knock at the Cabin, comme si ce personnage fétiche de M. Glass saupoudrait dorénavant toute la filmographie du réalisateur – qui pressent personnages et public à faire un saut de la foi ressemblant de plus en plus aux plongeons des suicidés de Phénomènes… D’où notre embarras idéologique aux entournures : il y a du panache à mettre l’avenir de l’humanité entre des mains hors-normes (un homosexuel victime d’homophobie et une fillette adoptée à l’étranger, née avec un bec de lièvre), mais aussi une erreur politique à demander tant de sacrifices à un personnage de victime, à exiger le pardon par le chantage, à défausser ainsi les puissants qui les gouvernent, à faire comme si ces derniers n’existaient pas et n’étaient donc responsables de rien.

 

KNOCK AT THE CABIN (Etats-Unis, 2023), un film de M. Night Shyamalan, avec Dave Bautista, Jonathan Groff, Ben Aldridge, Nikki Amuka-Bird, Rupert Grint, Abby Quinn, Kristen Cui. Durée : 100 minutes. Sortie en France le 1er février 2023.